Chapitre 15 : Rage et frustration

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Natasha

L’île de Mitanie s’offrait à nous tel un fruit mûr. Après que la flotte se fut regroupée dans le détroit nous débarquâmes dans une petite ville portuaire nommée Glansk. Elle n’offrit que peu de résistance face à notre armée, préférant jouer son salut sur une soumission rapide plutôt que sur un vain baroud d’honneur.

Le comte du lieu se présenta à nous et nous livra sa cité en ajoutant qu’il ne connaissait rien de nos intentions mais qu’il comptait sur notre sens de l’honneur pour épargner les innocents qui vivaient là. Bien des seigneurs auraient profité de tant de faiblesse pour faire une démonstration de puissance mais, de façon surprenante, Konstantin les retint. Il ordonna qu’on respecte le seigneur local ainsi que ses propriétés et, plutôt que de le détruire, il tâcha de s’en faire un allié. « La violence et la force ne doivent en aucun cas effacer l’esprit et la diplomatie dans une guerre, surtout lorsqu’à deux mille nous affrontons un empire » m’expliqua-t-il avec comme consigne sous-entendue de faire passer le mot afin de calmer ses turbulents vassaux.

Ainsi, après avoir réprimandé les vampires un peu trop contestataires en leur rappelant l’importance de la discipline, je rejoignis mon aimé dans la citadelle de la cité, fort grande au demeurant, surtout comparée avec la petitesse de la ville qui l’entourait. Enfin, en Konstantrie, Glansk aurait fait figure d’immense cité et nul autre qu’un duc eut pu y régner.

Le roi des mers s’assit donc à la place du seigneur dans la salle des banquets avec moi à sa droite et Leonid à sa gauche. En face le comte Gleb et deux de ses conseillers s’installèrent là où ses vassaux avaient tant de fois pris place face à lui par le passé. Konstantin lui expliqua alors sommairement la situation ce qui laissa de marbre notre interlocuteur principale.

« Je comprends… De toute évidence la guerre trouve toujours un chemin pour parvenir jusqu’à nous et l’unification n’a pas mis fin à cela comme beaucoup l’espéraient… ou le redoutaient. Sachez monseigneur que je ne suis pas votre allié mais aucunement votre ennemi non plus. Je tiens simplement à épargner à mes vassaux les affres de la guerre. Je vous fournirai les vivres et le logis dont vous avez besoin mais ne comptez pas sur moi pour chevaucher à vos côtés ! »

Konstantin s’enfonça dans son fauteuil, prit quelques secondes pour réfléchir puis enchaina :

« Fort bien, votre hospitalité nous suffira ! Il nous manque aussi des chevaux, fournissez-nous-en autant que vous pourrez ! Enfin j’aimerai m’entretenir avec votre suzerain, le duc de Lopioumar si je ne m’abuse. Si mes souvenirs sont bons il me tenait en grande estime et nourrissait quelques ambitions pour sa fille et moi. Si vous pouviez organiser une réunion entre lui et moi vous pourriez peut-être même épargner à tout un duché les malheurs du conflit à venir. »

Ces mots me prirent par surprise et pendant un instant je fus incapable de contenir ma stupeur. Gleb ne vit rien ou alors fut incapable d’interpréter mon brusque saut d’humeur. Que comptait faire Konstantin en proposant une audience à un vampire reposant au fond de l’océan ?

Toujours est-il que le comte ne sembla pas surpris par sa demande et obtempéra. A la fin de notre entrevue, une fois que l’ancien maître des lieux s’en fut allé, je questionnai mon roi à ce sujet et je vis que Leonid, s’il ne dit rien, était également curieux de savoir de quoi il retournait.

« Voyons… Vous n’espérez tout de même pas que je mène une guerre seule face à l’Empire ? Il me faut des alliés et le duc est tout désigné… Naturellement pas celui qui est mort mais je ne doute pas que son héritier sera sans doute compréhensif. Il me paraît évident, étant donné l’effet de surprise dont nous avons bénéficié lors de nos raids du trente et un août, que nul dans l’Empire ne soupçonnait une attaque de notre part. Cela implique donc que l’ambassade du duc était également secrète sans quoi le risque d’une guerre aurait été évident pour tout le monde. Il me semble assez probable que l’héritier du duc fasse parti des rares gens au courant. Nous n’aurons donc qu’à feindre de tout ignorer de sa mission et de n’avoir jamais eu de ses nouvelles. Il nous sera aisé de rappeler au nouveau seigneur que la mer est dangereuse et qu’il est possible que ni son père ni sa sœur ne revienne jamais de leur périlleux périple. A votre avis de quel côté se rangera alors un duc aucunement lié à la famille impériale et dont le père chantait sans cesse mes louanges en vue d’y rentrer ? Il se peut qu’il hésite mais si nous parvenons à faire les innocents, à jouer sur l’affaiblissement constant des grands seigneurs au profit des proches de l’Empereur dont il est la première victime et en lui proposant un mariage royal à défaut d’être impériale, je pense qu’il pourrait être tenté. J’avoue ne pas savoir s’il a une fille mais si c’est le cas notre affaire sera entendue. Avec nos forces combinées aux siennes la prise de l’île de Mitanie ne sera qu’une formalité. Depuis ce refuge, protégés par notre flotte, nous pourrons sereinement préparer la suite des opérations ! Faites simplement en sorte qu’aucun de nos vampires ne parlent du navire que nous avons coulé en chemin. La mort attendra quiconque dérogera à cette règle ! Notre alliance avec le duc de Lopioumar est essentielle ».

C’est ainsi que la consigne fut donnée et que nous attendîmes en pillant les terres alentours, tout en prenant soin d’épargner les fiefs du duc tant convoité. Cinq jours après notre arrivée ce dernier se présenta et l’exécution de marins ivres qui avaient vaguement évoqué notre petite bataille navale fut si impressionnante que personne n’osa plus ne serait-ce que repenser à cette affaire. Depuis les tractations durent et, étant donné que le duc refuse catégoriquement qu’une femme prenne part à ces débats, je suis cantonnée à l’entretien de la flotte et au maintien de la discipline chez ces vampires de plus en plus frustrés, persuadés qu’ils étaient de partir pour une guerre jalonnée de combats et de victoires faciles.

Assurément le respect de l’autorité n’est pas chose aisée mais, même sur moi, les effets de l’ennui commencent à se faire ressentir. J’ai pris l’initiative d’organiser de petits raids sur les côtes du continent qui, bien que militairement insignifiants et ne rapportant que peu de butin, permettent néanmoins d’entretenir l’esprit guerrier et d’éviter que nos vampires n’évacuent leur frustration sur leurs camarades ou les locaux au cours de quelques beuveries. Un autre problème ressort : la plupart d’entre nous est bien plus à l’aise sur un navire que sur un cheval et je pense que le titre de chevalier n’a jamais aussi mal convenu à une troupe de vampires. Il faut dire qu’en Konstantrie les chevaux ne faisaient pas long feux et rares ont été les occasions de chevaucher là-bas. C’est donc une redécouverte des plus laborieuses qui s’opèrent et les nobles d’ici qui nous forment ont tendance à se montrer un peu trop orgueilleux quant à leurs talents équestres. Même avec la meilleure volonté du monde se retenir de tuer des vaincus osant se rire de leurs nouveaux maîtres est des plus ardus. Pour l’instant nos altercations ne dépassent pas le stade des bagarres mais ma patience est à bout et les quelques raids que j’organise sans cesse n’évacuent qu’une partie de la frustration qui s’accumule dans notre armée. Les tractations d’ici sont bien plus longues que celle menées en Konstantrie mais si elles venaient à durer encore une semaine ou deux je ne réponds plus du comportement des marins.

Par-dessus tout l’idée de voir Konstantin se marier et me délaisser entretient mieux que n’importe quoi d’autre la rage qui couve en moi. Je ne peux même pas le voir de temps en temps à cause de l’embarras que créerait la présence d’une amante pour celui qui s’est mis en tête d’épouser une dame de la famille de Lopioumar. Je me dois de résister à mes pulsions. Je me dois de faire passer mon rôle de cheffe en premier lieu mais la tentation de me joindre à mes guerriers avides de violence s’accroit hélas de jour en jour pour tant de raisons que je suis bien incapable de prévoir avec certitude quel sera mon état d’esprit dans les prochains jours si tout cela venait à durer.

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