Chapitre 16 : Le départ de Nikolaj

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Katrina

2 novembre 5775

Konstantin a fini par accoster sur notre île, sur le fief même de mon père ce qui n’améliora ni son prestige ni sa relation avec l’Empereur d’autant plus que ses vassaux, au lieu de combattre l’envahisseur, semblent marchander avec ce dernier.

« Voilà ce qu’il en coûte de vouloir être aimé au lieu de craint » avait sèchement commenté Stanislsas.

Nos déboires ne s’arrêtèrent cependant pas là. Alors que toute l’armée était regroupée dans les plaines de Fangeon nous apprîmes peu avant le départ de mon père le soulèvement de Valassmar. Des prêtres de Valass alliés à quelques comtes locaux s’étaient révoltés début août et avaient organisé un coup de force, submergeant la faible garnison restante et exécutant sommairement toute la famille de ma grand-tante Anastasia.

Cette nouvelle fut un véritable coup de massue et ce fut cette fois-ci sa sœur que l’Empereur conspua sans relâche, tenant à ce que toute la famille soit témoin afin de rajouter encore à l’humiliation :

« Comment as-tu pu laisser ceci se produire ? Je compte sur toi pour m’informer sur tout ce qu’il se passe sur nos terres et tu n’es même pas capable de connaître ta propre ville ? »

Il continua ainsi quelques minutes sans que cela n’émeuve le moins du monde la première concernée. Elle semblait même détachée, presque indifférente, peut-être encore plus que nous qui nous contentions d’écouter. Lorsque l’Empereur se fut très légèrement apaisé elle prit alors la parole d’un ton des plus banals.

« Sire, je suis navrée de cet échec toutefois je dispose de moins d’accès au culte de Valass qu’aux autres milieux. Toujours est-il que notre armée ne peut de toute façon pas traverser la mer sans flotte. Cela peut être une bonne occasion : au lieu de la laisser inactive en pleine guerre envoyons la reprendre notre ancienne capitale, faisons un exemple de ces félons et éradiquons une fois pour toute cette religion anachronique au profit du culte impériale ne croyez-vous pas ? »

Stanislas se calma aussi vite qu’il s’était emporté, comme si la voix de sa sœur avait quelque effet relaxant sur lui. Il nous scruta un à un jusqu’à ce que son regard se pose sur Vlad.

« Mon fils, tu reprendras notre fief ! Nikolaj, tu devras te débrouiller seul face à Konstantin mais je tiens à ce que chacune de nos armées soient menées par un membre de notre clan. Pour ma part je resterai avec le reste de nos forces afin de dissuader ceux qui verraient dans nos malheurs une occasion de se révolter. »

Aussitôt un sourire carnassier s’afficha au milieu de la tête monstrueuse du deuxième prince qui s’exclama :

« Avec plaisir ! L’idée de faire la guerre sur mer ne m’enthousiasmait guère et même s’il ne s’agissait que d’une traversée, l’éventualité de mourir coulé sans avoir pu combattre me parait peu souhaitable. Au moins pourrai-je répondre par le fer à celui qui tenteras de m’occire sur terre. Père, je vous jure que ces vermines orneront les murs de votre ancienne demeure et qu’après cela plus aucun seigneur n’osera contester notre suprématie. En réalité je crains que nous n’ayons été trop cléments avec les ducs rebelles par le passé. »

Stanislas le reprit vivement :

« Contente-toi de reprendre notre cité ! Nous voulons régner sur les autres familles, pas toutes les exterminer ! La terreur n’engendrera que la défiance à notre égard. A l’inverse Nikolaj arrête de t’imaginer que parce que tu as été un bon et généreux suzerain tes vassaux te le rendront nécessairement. Le pouvoir est alliage de coercition et d’intérêt. Chatiez durement nos ennemis et montrez-vous clément sans être laxiste avec ceux qui se soumettrons ! »

A ces mots il s’en alla après avoir laissé le soin à ses fils de préparer leurs campagnes respectives. Mon père était déjà sur le départ. Son navire personnel était prêt à partir et il avait longuement discuté avec le capitaine sur les façons de parvenir à Erhiv sans se faire capturer par la flotte de Konstantin. Il ne transporterait aucune armée avec lui faute de bateaux en nombre suffisant mais au moins pourrait-il coordonner la défense de l’île depuis l’intérieur. Peut-être pourra-t-il ainsi davantage convaincre ses vassaux de le suivre qu’en leur envoyant d’innombrables missives qui semblent jusqu’ici avoir eu un effet très limité.

La veille de son périple il dina seul sans même notre mère avec ma sœur et moi et nous présenta ses adieux de façon sobre mais limpide :

« Mes enfants, je ne suis aucunement sûr de ne serait-ce que survivre à ma traversée. Si je venais à périr entretenez et honorez mon héritage. Katrina, tu deviendras duchesse, quant à toi Feodora je te léguerai le titre de baronne de Chankmor. Il est certes fort humble mais je ne doute pas que tu feras une excellente suzeraine. Enfin, je vous en conjure, n’écoutez pas aveuglément votre grand-père. La bonté est plus souvent récompensée qu’il ne le pense et si ce n’est pas par amabilité, faites-le par intérêt car, à moins de n’avoir aucun scrupule, rares sont les gens trahissant une confiance donnée gratuitement et sans arrière-pensée. Mon histoire ne sera peut-être pas un bon exemple de cette vérité mais je suis intimement persuadé que c’est vrai. »

Le dîner s’acheva dans une certaine morosité emprunte de dignité. Si mon père venait à avoir était un piètre prince dans la vie au moins se rachèterait-il dans la mort. Du moins avais-je l’impression que c’est ce qu’il pensait.

Vlad au contraire était au comble de la joie. Ces innombrables blessures ne l’avaient nullement découragé de guerroyer et il était plus que ravi d’enfin mener une campagne sans être subordonné à son père. Je vins souvent le voir pendant qu’il planifiait ses opérations et encore plus lorsque mon père fut parti.

« - Vous semblez me regarder avec amusement et curiosité ma nièce, deux choses que je n’ai pas l’habitude voir chez les gens qui m’observent.

- Oh, mon oncle, c’est que vous semblez vous amuser autant qu’un enfant avec de nouveaux jouets. Il est bien rare de voir pareille expression sur un visage, qui plus est ce visage !

- Ah ! Ah ! Ah ! Ce n’est pas faux. Que voulez-vous, je pensais être né à la mauvaise époque, ne pouvant compter que sur d’insignifiantes révoltes pour égayer mes siècles en ce monde et voilà qu’une guerre dont on ignore encore l’ampleur se déclenche au moment où je m’y attendais le moins. Ajoutez donc au plaisir de mener seul une armée la surprise et l’idée que tout cela risque d’encore s’aggraver et vous aurez la réponse à vos interrogations quant à ma gaieté de ces derniers temps.

- Vous ne changez pas mais, bien que je n’y connaisse finalement que peu de choses, je trouve étrange que l’on puisse aimer tuer et risquer d’être tué.

- Que voulez-vous, bien des gens ne s’habituent jamais à la guerre quand d’autre, sans aller jusqu’à la craindre, y vont par devoir presque à reculons. Ce n’est pas mon cas ! Elle est en vérité un subtil mélange de sublime et d’horreur qui, chacun à leur manière, me comble de joie. Rejeter l’un au profit de l’autre est absurde. Les pacifistes regrettant la période de paix qui semblait s’ouvrir à nous n’ont aucune idée de la magnificence d’une charge, de l’héroïsme des guerriers dans la bataille et de la transcendance que cela entraine chez le plus vulgaire des vampires. A l’inverse ceux qui ne voient que cela et omettent la souffrance et les malheurs engendrés par tout conflit sont aveugles. Il faut aimer tant son aspect destructeur que sa beauté pour pleinement apprécier la guerre ! Je m’en vais sous peu y mener une génération de vampires ventripotents, dont votre promis, et je puis vous assurer qu’ils en reviendront grandis et que je me chargerai d’effacer la médiocrité de leur âme au profit d’un courage et d’une abnégation qu’ils n’auraient jamais acquis sans cela ! »

Un peu plus et il m’aurait demandé des comptes pour le vampire admirable que j’épouserai. Je suis certaine que Pavel n’a nullement besoin d’une guerre pour être vertueux et qu’il ne devra ses nombreuses qualités qu’à ses talents et à son travail et nullement aux horreurs qu’il aura rencontrées. Hélas trop de vampires culpabilisent d’être nés à cette période et sont persuadés de trouver une rédemption à leur confort dans d’inutiles conflits qui ne feront qu’engendrer malheur et désolation mais qui légitimeront à leurs yeux et à leurs yeux seuls la richesse et les prérogatives dont ils jouissent à chaque instant. L’héritier du comté d’Or ne fait pas exception.

Lorsque je vins le voir peu avant son départ il semblait heureux d’enfin partir bien qu’un tantinet anxieux sans qu’il n’ose l’admettre. Il jura encore qu’il me ferait honneur sur le champ de bataille et toutes ces choses qui, bien que je les trouvasse idiotes, m’émouvaient malgré tout. Etrangement je réalisai que j’avais dû me faire à l’idée de son départ car j’étais moins inquiète qu’auparavant, comme si j’étais persuadée qu’il ne lui arriverait rien.

On ne l’est jamais vraiment mais c’est une épreuve bien maigre que d’attendre le retour de l’être aimé parti guerroyer par rapport à celle du chevalier devant offrir son sang à une cause qui lui est le plus souvent bien lointaine.

Je l’attendrai donc, comptant les jours et les mois, priant autant que possible pour sa survie et tâchant également d’à mon tour faire honneur à mon promis par ma conduite.

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