Chapitre 2 2/2

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Et toi, tes tableaux ?

Elle rehaussa le pinceau dans son chignon et croisa ses jambes. Son sourire s’amplifia.

  • J’ai trouvé un acheteur ! Il est tombé sur une de mes œuvres lors du vernissage de Frédérique, le mois dernier. Il a passé commande.
  • C’est formidable !

J’étais sincère. Ses peintures méritaient d’être exposées. Mais combien le reconnaîtrait ? L’Art était si subjectif. Ma tante ne roulait pas sur l’or. Le métier d’artiste était tellement aléatoire que Diana avait dû prendre un emploi alimentaire pour m’élever. À dix-huit ans, j’avais tout fait pour la délaisser de ce poids en déménageant.

  • N’est-ce pas ?

Diana sourit malicieusement, les joues un peu rougies. Cet acheteur ne la laisserait-elle pas indifférente ?

  • Ce qui explique les dizaines de toiles vierges dans le coin. J’imagine que ton atelier est plein à craquer.
  • Tu imagines bien ! Je vais te montrer.

Elle se leva et m’y entraîna. La pièce avait changé depuis que j’avais quitté l’appartement. Diana avait étendu ses étagères et palettes de peinture dans le coin droit et ses œuvres en cours étaient apposées sur des chevalets de l’autre côté. Là où la lumière de la fenêtre était la plus dense. Des draps et tissus étaient éparpillés çà et là au sol et des pots colorés jonchaient les recoins du fond. Un vrai bordel. J’avais pour habitude de ranger cette pièce pendant que Diana me racontait des anecdotes croustillantes sur certains artistes.

  • Tu ne fais pas semblant depuis que je ne suis plus là, on dirait !

Elle pouffa franchement avant de m’amener vers le premier tableau. Un mélange graphique entre de l’Art Naïf, du Pop Art à la Liechtenstein et du pointillisme. Sur un ciel d’un bleu uniforme, une maison aussi moderne qu’utopiste jaillissait d’une falaise à cascade, dans des couleurs aussi vives que géométriques. Elle ne m’était pas inconnue. Au posca, de nombreuses végétations colorées en pointillés minutieux, s’étendaient jusqu’aux bords de la toile. Détaillée de près, dynamique de loin. C’était vraiment beau.

Accroché d’un scotch au chevalet, je redécouvrais un de mes croquis d’une maison similaire.

  • Tu m’en veux ? Quand j’ai passé un coup dans ta chambre, je suis tombée sur tes croquis et j’ai eu une révélation.

Dans un sourire, je me tournais vers son visage inquiet. Ce n’était pas la première fois qu’elle s’inspirait de mes dessins. Si cela pouvait l’aider à se faire connaître, je n’étais pas contre.

  • Pas du tout ! Tu t’es surpassée ! C’est magnifique.
  • Merci ! Regarde les deux autres sont dans les mêmes tons.
  • Je trouve que ça modernise vachement ton Pop Art.

Ses yeux s’illuminèrent et son sourire s’agrandit.

  • N’est-ce pas ! Mon acheteur voudrait toute une série sur ces maisons usoniennes. Il doit être fan de futurisme écologique, sans doute.

Elle se frotta les mains et se tourna vers moi tout en éloignant une énième boucle derrière mon épaule.

  • Et toi ma belle ? Tu continues de dessiner ce que tu vois ?

Je tournais la tête à gauche, vers mes vieilles esquisses toujours accrochées d’une punaise. La fameuse cité engloutie, autre civilisation qui ne lâchait pas mes songes, se dressait fière à travers mon coup de fusain.

  • Avec la fac et les jobs, je n’ai plus trop de temps.

Ce qui était vrai. Elle semblait déçue.

  • Dommage, j’aurais bien aimé découvrir tes nouvelles créations. Je maintiens que tu aurais dû aller à Versailles en Architecture ou dans l’une des quatre écoles d’Art de Paris. Tu as énormément de talent.

Oui, j’aurais dû. Mais, mon esprit s’y refusait. Je devais aller dans une grande école de commerce, me trouver un vrai job bien payé, m’acheter une maison avec un portail blanc et peut-être même avoir des poules. J’avais cette irrépressible envie de stabilité et de normalité. Je ne voulais pas la même vie que ma tante. Ces pensées faisaient-elles de moi quelqu’un d’horrible ?

Je posais ma main sur son épaule et lui souris.

  • La prochaine fois, je t’amènerai mes derniers croquis.

Elle me caressa la joue et me rendit mon expression.

  • Tes parents seraient fiers, tu sais. Tu es devenue une belle jeune femme.
  • Justement, Diana, j’aurais quelques questions au sujet de…
  • De l’accident ?
  • Pas que mais…

Ma tante soupira et repartit dans le salon pour enclencher de nouveau la machine à café. Je la suivis et repris place sur le canapé.

  • Je t’ai tout dit la dernière fois. Tes parents et toi rentriez d’un voyage quand le véhicule à dévier de la route. Ils sont morts sur le coup et toi, je t’ai retrouvée plus tard dans une famille d’accueil.
  • Je sais. Je sais. Mais tu savais d’où on venait ? Mes parents t’avaient dit quelque chose en particulier ? Sur quoi ils bossaient ?
  • Perlie, tu avais arrêté avec ça. Pourquoi, recommences-tu soudain à replonger là-dedans ? Tu sais que cela te fera plus mal qu’autre chose.
  • Je sais mais j…
  • … J’ai toujours l’espoir même infime d’avoir un nouvel indice pour lever le mystère de la mort de mes parents. Je t’ai déjà dit tout ce que je savais.

Je déglutis avec difficulté. J’avais besoin à nouveau de l’entendre. Peut-être avais-je omis un détail ?

  • Je sais mais… Redis-le moi encore une fois. S’il te plaît.

Diana se leva pour récupérer sa tasse, me lança un regard compatissant, reprit sa place et expira bruyamment.

  • Tes parents partaient souvent en voyage. Ton père était archéologue et ta mère historienne. Pas étonnant qu’ils soient souvent en déplacement dans d’autres pays, convoqués pour analyser des vieux objets, des sites. Le soir de l’accident, ils revenaient d’Allemagne, il me semble. Une conférence sur la civilisation sumérienne, je crois. Ils ont perdu le contrôle de leur véhicule et ont fini dans le décor. On t’a cherchée pendant des jours. Et finalement, un an plus tard, je t’ai retrouvé grâce au Centre de la Protection de l’Enfance. Ils m’ont raconté qu’ils t’avaient découverte de l’autre côté de la forêt, errante, toute sale, et blessée sur le bas-côté de la route. Tu semblais amnésique et ne te souvenais que de ton prénom. Puis, ça prit un an de plus pour que ton adoption soit acceptée.
  • Est-ce que j’ai dit quelque chose de particulier ?
  • Rien, Perlie. Je sais que tu te poses beaucoup de questions sur ce que tu...vois ou ressens. Je t’assure que si j’en savais plus, je te le dirais.
  • Et dans mon ancienne maison ? Il y avait quelque chose ? Des documents ? Des écrits sur les travaux de mes parents ?
  • Après leur mort, on n’a rien trouvé. Ce qui était pour le moins perturbant. La maison était presque impersonnelle. Tous leurs dossiers avaient disparu. Encore, aujourd’hui, je me demande bien ce qui s’est passé.

Tout ce qui me restait de mes parents était dans deux minuscules cartons, l’un chez elle, l’autre chez moi. Diana avait dû vendre la maison pour pouvoir, avec peine, acheter cet appartement. À Paris, le seul 2 pièces que tu pouvais trouver à un prix abordable, c'était un bikini.

  • Assez tergiversé ! Tu sais bien que te replonger là-dedans va te faire souffrir à nouveau. Tu avais dépassé tout ça, je ne comprends pas pourquoi tu reviens dessus. As-tu découvert quelque chose ?

Peut-être.

  • Est-ce que tu as vidé ma chambre ? J’aimerais retrouver un de mes carnets de croquis. Celui sur la ville en cercle, tu sais ?

Elle balaya le salon de la main.

  • Je n’ai rien touché. Tu peux y aller.

Rien touché, rien touché… Quand j’ouvris la porte, j’y découvris un amas de caisses de peinture, d’accessoires et de toiles près de la fenêtre. J’en souris franchement.

  • Rien touché, t’es sûr ?

L’aveu amusé dans sa voix me parvint à l’étouffé :

  • Bon. OK. Je me suis un peu étalée. Je retourne peindre, Perla. Prends ton temps.

J’entendis la vaisselle s’entrechoquer dans la cuisine, la porte de son atelier se fermer et la radio italienne grésiller l’instant d’après.

Ma chambre n’avait pas réellement changé. Il restait encore mes derniers cahiers d’école, quelques livres sur le bureau, des stickers et des photos de mon vécu et tout un placard en bordel de mes exploits passés. En y replongeant, je trouvais des anciens contrôles de mathématiques ou de français. La nostalgie me fit sourire. Finalement, je n’avais pas encore tout brûlé après mon Bac. Une boîte peinturlurée d’une énorme vague me fit de l’œil et je m’assis en tailleur sur la moquette pour la redécouvrir. Il y avait d’anciennes photos : Diana et moi en vacances à la plage, quelques copines de collèges et d’autres clichés avec mes parents.

Petite déjà, j’avais ce regard perçant amplifié par le ton blond de ma touffe de boucles. Je me suis toujours étonnée de n’être ni brune aux yeux noisette comme ma mère, ni auburn aux yeux bleus comme mon père. Un sacré mélange explosif des deux, plutôt. Je mis cette photo dans ma poche et continuai mes recherches, une étagère plus bas.

Les carnets étaient bien là. Beaucoup étaient crayonnés de paysages fantaisistes et d’êtres surnaturels provenant des bribes de mes songes. Mais la ville, elle, était plus que réelle. C’était indéniable. Je le vis enfin. Celui à spirales et à la couverture sombre. Je l’avais débuté vers quatorze ans avec une esquisse de colonnes gravées aux symboles étonnants. Puis d’années en années, ma vision de cette cité se fit plus vaste jusqu’à la schématiser dans son ensemble. Il était là. Le fameux croquis dessiné, il y avait trois ans. Mon téléphone vibra.

   [Oberas] - P, j’ai la main sur le téléphone du 34. De ton côté, à en croire tes recherches d’hier, tu ne serais pas en train de géolocaliser les photos des gravures, par hasard ?

   [P] - De quelles recherches tu parles ?

   [Oberas] - Tu as uploadé un dossier sur le troisième serveur. Est-ce que tu vas enfin me dire ce que c’est ou je dois trouver moi-même ?

Merde. Par fatigue, j’avais dû sauvegarder sans réfléchir. Il ne pouvait pas accéder aux fichiers mais pouvait voir le journal des transferts dans les logs. Je pensais avoir plus de temps avant de tout lui révéler.

   [P] - Un jour, je te raconterais ce que tu veux savoir. Aujourd’hui, j’ai juste besoin de me rendre sur place pour confirmer la similarité avec mes dessins.

   [Oberas] - Tes dessins ? Je croyais que le croquis appartenait à tes parents.

Merde. Que devais-je lui répondre sans que cela envenime notre relation ? Je revins dans le salon et rangeai le carnet dans mon sac à dos. Puis je saluai ma tante d’une bise rapide. Si je devais tout lui raconter depuis le depuis, je préférerais être assise à mon bureau, chez moi.

Je pris le métro pour aller plus vite, les écouteurs de mon MP3 de nouveau dans les oreilles. Aujourd’hui, je remontais un peu les années avec le groupe Offspring. Peut-être que Pretty Fly en boucle pourrait me donner la confiance nécessaire à cette révélation qui m’attendait. Quelques minutes plus tard, Obe soulagea ce poids angoissé qui naissait dans mon ventre.

   [Oberas] - P, tu n’es pas obligée de me raconter. Je veux juste m’assurer que tu ne fais pas une connerie en allant quelque part sans sécurité.

   [P] - Je vais juste faire un tour de repérage avant, je suis pas bête.

   [Oberas] - Tu es déjà descendu sous Paris ?

   [P] - Quand c’était la soirée tendance du samedi soir, oui. Pourquoi ?

   [Oberas] - Et tu n’as pas eu peur ? Ça peut être dangereux.

   [P] - J’étais bien entourée et j’ai fait que les descentes touristiques. Où veux-tu en venir ?

Mais de quoi me parlait-il ? J’avais regardé rapidement l’endroit en mode satellite, mais je n’avais pas cherché plus loin. Me disant que je m’en occuperais après avoir récupéré mes croquis. Puis mon cerveau se rebrancha en connectant les photos rocheuseuses des gravures aux dires d’Obe. C’était sous terre ! Forcément !  

   [Oberas] - Si tu tiens à voir ces gravures de tes propres yeux, il faudra descendre dans les vraies Catacombes.

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