Chapitre 3 1/4

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Le 14e, ou l’arrondissement de la Tour Montparnasse était un mélange bobo accueillant de nombreux artistes et de tourisme de par sa proximité avec les vieux quartiers latins ; en recherche permanente d’élévation dans le luxe comme son voisin du 15e. Sauf que ça n’arrivait jamais. Ce n’était pas la première fois que j’y venais. Certains de mes camarades de classe étant potes avec des cataphiles, j’étais descendue une ou deux fois. Quand c’était à la mode, nous passions la nuit dans des grottes à boire des bières et fumer des joints. Je me souvenais encore de l’état de mon bleu de travail, à six heures du matin sur le quai du RER. Nous aurions pu croire que je revenais d’un chantier BTP ou d’une semaine de festivals dans les champs.

En haut de la Petite Ceinture, j’attendais le spécialiste qu’Oberas m’avait forcé à accepter. Un ami qui me doit un service, m’avait-il écrit. Tenant mon téléphone dans une main, l’icône GPS clignotait à quelques mètres de moi. Obe avait raison, c’était bien en dessous. Le soleil venait à peine de se coucher qu’en posant mon regard au bas, sur l’ancienne voie ferrée à l’abandon, je me surpris à vouloir rebrousser chemin.

  • P ?

Une voix grave m’interpella sur la droite. Un homme de la trentaine, grand et à la barbe de quelques jours, venait à ma rencontre. Il portait une cicatrice à l’arcade droite. La lumière du lampadaire se réfléchissait sur la fermeture éclair de sa combinaison épaisse. Son sac à dos, serré sur son torse, paraissait empli de nombreux mystères. Il tenait dans sa main une sorte de talkie-walkie grésillant des bribes de conversations.

  • Sorse ?

Il acquiesça en enfonçant un bonnet sur son front. Sous terre, la température était certes tempérée, mais plus froide qu’à la surface en ce mois d’été. Aussi, je ne fus pas étonnée en découvrant ses mitaines qu’il venait de sortir de sa poche. Il loucha sur mon bleu de travail que j’avais mis du temps à retrouver et sur mes bottes épaisses.

  • Est-ce qu’Oberas t’a briefé ?
  • Je dois suivre tous tes ordres et ne pas m’éloigner de toi.

Il m’analysa une dernière fois, acquiesça puis scruta les environs.

  • Bien. On peut y aller. La voie est libre.

L’homme agrippa les barreaux de la porte ferrée qui nous faisait face, l’escalada sans effort et me tendit la main. J’eus du mal à lever mes miches et mon corps s’appuya de tout son poids sur le haut de la porte, me coupant le souffle. Aie. Si ça commençait comme ça, nous allions mettre une éternité à arriver. Sorse ne cacha pas son sourire et tira sur ma main pour m’aider à passer une jambe après l’autre.

Nous descendîmes sur les anciens rails, dominées par la végétation sauvage grimpante, délimitée par les hauts murs de la Petite Ceinture. À la moitié du XIXe siècle, les trains de marchandises utilisaient cette voie pour faciliter la desserte des zones industrielles et des quartiers en pleine évolution. Désormais, certaines parties étaient réhabilitées en projets écolos. Les bruits de la ville à quelques mètres au-dessus de nous paraissaient loin. Plusieurs minutes passèrent où nous n’entendions que nos pas sur le gravier.

  • Alors comme ça, tu es pote avec Oberas ?
  • Pas vraiment. Disons qu’on se rend service mutuellement.
  • Un service pour le moins insolite ce soir, tu ne crois pas ?

Il me sourit de nouveau. La lune montante rendait son regard brillant.

  • Pour des gens qui descendent depuis des années, il n’y a rien d’insolite là-dedans. Tout va bien se passer.

Encore heureuse. Il ne manquait plus que nous nous errions pendant des jours. J’avais eu vent d’une nouvelle police des Catacombes à force d’entendre parler de disparitions ou de descentes illégales. Au pire, nous finirions par tomber sur quelqu’un. Nous continuâmes d’avancer quelques minutes supplémentaires.

  • Depuis quand tu le connais ? Oberas.
  • Des années. Mais en quoi ça t’intéresse ?
  • Comme ça. Est-ce que tu l’as déjà rencontré physiquement ?

Sorse s’arrêta à l’entrée d’un tunnel et son sévère regard mit fin à la conversation :

  • Non.

Dommage. Moi qui souhaitais en savoir plus sur mon co-hacker.

  • La chatière est à quelques pas. Tu n’es pas claustrophobe au moins ?
  • Non, ça va.
  • Je vais te rappeler les règles de base : fais tout ce que je dis, ne t’éloigne jamais de moi, avance lentement en faisant attention à ta tête et à poser tes pieds bien à plat ; si une de tes lampes ne fonctionne plus, tu me préviens ; si tu ne te sens pas bien, tu me préviens ; si tu entends un bruit suspect, tu me préviens. Suis-je clair ?

Je lui répondis d’un salut militaire :

  • Très clair, chef.

Il sortit une carte plastifiée de sa poche, alluma sa lampe frontale et celle de son épaule.

  • Nous avons une bonne heure de marche avant d’arriver à la localisation.
  • Les Catacombes sont si grandes que ça ?

Sorse leva son papier à hauteur de la lampe sur mon propre front. Mes dernières descentes se résumaient aux touristiques, aussi je m’étonnais d’y voir de nombreuses lignes s’entrecroiser, décelais des noms de rue et une sorte de carrière vers le bas.

  • Même après dix ans, cette carte ne révèle qu’une infime partie des sous-sols parisiens. Les tunnels s’étendraient même jusqu’en banlieue. Donc, oui c’est très grand et nous devons avancer lentement.

Il enleva son sac à dos et grimpa sur une sorte de trou creusé dans la roche.

  • Je passe le premier, tu me donneras mon sac à dos ensuite.

Les pieds en avant, il se glissa sans effort. J’eus soudain peur de ne pas être assez fine pour passer. De l’autre côté de l’espace, Sorse me rassura :

  • Je mesure 1m90 et je pèse plus de 90 kg. Si je passe, tu passes.

Sacré complexe féminin à la con. J’entrais de la même manière et m’arrêtai en pleine course. Quand juste au-dessous de vous, il n’y avait que de la pierre, vous aviez cette idée saugrenue de vous dire : Et si ça me tombe dessus ou si je reste coincée, je fais quoi ? Mon cœur commença à battre plus rapidement. L’expert des cavernes tira mes jambes soudainement et m’aida à me relever.

  • Ne t’arrête surtout pas d’avancer quand t’es dans un trou, sinon tu vas paniquer.
  • Merci pour le rappel un peu tard, chef.

Il rigola en remettant son sac sur le dos.

  • Détends-toi. Je sais que tu n’en es pas à ta première descente mais tu n’as rien à me prouver non plus.
  • Comment le sais-tu ?
  • Si ça avait été le cas, tu aurais encore plus paniqué dans la chatière. Elle fait flipper tous les nouveaux.

À mon tour de rire. Il avait raison. Les rares fois où j’étais descendue, j’avais pris des pistes aux entrées faciles avec des escaliers.

  • Tu m’étonnes !
  • Allons-y. Surtout, tu restes près de moi.

Nous nous engageâmes vers le tunnel de gauche. La température s’était déjà refroidie et nous n’entendions que nos pas sur le sol poli. Ça sentait un peu comme dans une cave : l’humidité et la pierre. Je fus étonnée en découvrant les murs lissés de blocs rocheux, aux noms gravés tels que : Rue Notre Dame des Champs, Côté du couchant ou encore Axe du Boulevard Montparnasse. C’était comme s’il y avait des rues en dessous des rues.

  • Ces tunnels-là ont beaucoup été utilisés lors de la Révolution. De nombreuses personnes se sont cachées ici.

Pendant dix minutes, nous avancions doucement dans ces couloirs sombres et tagués puis ils commencèrent à devenir plus bruts et leur plafond plus bas. Le sol à présent bosselé, Sorse me rappela de faire attention autant à mes pieds qu’à ma tête. Je compris l’importance du bonnet qu’Obe m’avait précisé d’apporter qu’après avoir évité de justesse les dangereuses bosses du plafond.

Nos seuls pas résonnants dans les couloirs m’apportèrent une impression de vide. Je pris soudain conscience que nous étions seuls et que la sortie se trouvait très loin maintenant. Comme si Sorse lisait dans mes pensées, il me murmura tout en continuant d’avancer :

  • Tu veux que je mette de la musique ? Quand nous descendons en groupe, il y a toujours un mec avec une Sono. Ça permet d’éviter de tergiverser.
  • Non ça va, mais c’est vrai que l’ambiance à deux est tellement différente.
  • Ne crains rien, je sais où on va.

Nous passâmes quelques petites salles creusées dont les restes de bouteilles et de bougies fondues dans des canettes découpées, trahissaient un coin de passage récurrent. Je fus ébahi par les nombreux graffitis artistiques présents. Je croisais de faux vitraux peints sur des portes rouillées, des personnages aztèques ou mayas colorés ou d’autres rappelant ceux des artistes contemporains croisés dans les rues de Paris. Un Bob l’Éponge m’accueillit sur la gauche et de l’autre côté, une ruine antique se reflétait sur une eau nuancée de camaïeux infinis. De quoi rendre jaloux des tableaux qualifiés d’œuvres d’Art.

Quelques espaces en regorgeaient à tel point que nous ne pouvions plus déceler la pierre en dessous. Les multiples tags unifiant les murs faisant ressortir les tableaux impressionnistes peints par-dessus. Comme un Musée atypique. Puis un long couloir nous accueillit dans une forêt d’énormes champignons clairs bombés aux parois sombres. Coucou, Alice. Je ne pus m’empêcher de faire ma touriste et pris quelques clichés. Nous dépassâmes même un petit lavoir d’époque creusé dans la roche. Sur le côté, une sorte de recoin étroit rappelait grossièrement une douche. Sorse repéra mon étonnement.

  • Tu sais, il y a même des thermes de l’autre côté de la carte.
  • Vraiment ?
  • Oui, les catas ne sont pas que des ossuaires. Il y a aussi eu des fermes de champignons, des exploitations de calcaire, des bunkers.

Je glissais volontiers mes mains dans l’eau et en versais sur ma nuque. Elle était fraîche.

  • Je ne pensais pas que les Catacombes avaient tout ça.
  • Et je ne te parle pas des rituels sataniques et des énormes fêtes organisées.
  • La fameuse légende urbaine !

Mon expert des grottes me répondit, le sourire en coin :

  • Si seulement… Bien. Nous avons descendu 10 mètres. Nous allons faire une pause.

Sorse m’amena vers une salle basse de plafond présentant des sortes de canapé de pierres taillées grossièrement sur les recoins. Certaines bougies posées dans des trous du mur étaient déjà allumées depuis longtemps. Mais ce qui m’impressionna le plus fut le paysage japonisant étalé sur les murs. D’un ciel de rose et d’orange, une mer agitée rappelant celle de Kanagawa, surgissait du bas pour s’éclater sur des falaises de forêts aux multiples verts grimpant vers des montagnes enneigées. Un énorme héron blanc s’envolait sur tout le côté gauche du ciel.

  • Magnifique…
  • En semaine, on est plus tranquille pour apprécier tout cela, il y a moins de gens. Tiens, bois un peu.

Il me tendit une gourde de son sac. Depuis plus de trente minutes, nous avions marché sans nous arrêter. Avec un briquet, il alluma les mèches des bougies restantes et lorgna de nouveau sur sa carte.

  • Le bunker est à quelques mètres. On y sera bientôt.
  • Le bunker ?
  • Oberas ne t’a pas expliqué ? La localisation se trouve dans un vieux bunker allemand de la Seconde Guerre mondiale.

Je sortis de nouveau mon téléphone pour confirmer la localisation de mon GPS, mais impossible de capter un réseau.

  • Non, en effet.

Il prit une gorgée d’eau, alluma une cigarette puis m’observa silencieusement.

  • En quoi ces gravures t’intéressent ?

Devais-je lui dire la vérité ? Oberas lui en avait-il parlé ? Non, il vaut mieux se taire. Ou alors, dis-lui partiellement la vérité.

  • Je fais une thèse sur l’Art dans le monde souterrain, je suis à la fac. Voilà pourquoi j’ai pris plusieurs photos. Je reviens, il faut que je fasse pipi.
  • Il y a un recoin à droite. Ne t’éloigne pas plus et crie si besoin.

Pisser déjà accroupie, c’était galère, mais en plus, il fallait enlever quasiment toute la combinaison. Le tout avec peu de lumière et un sol pas du tout plat. Si des nanas souhaitaient partager leurs astuces, j’étais preneuse.

À peine eus-je refermé ma fermeture éclair que j’entendis des pas traînants et de la musique. Je me redressais en reculant et butais dans Sorse qui me fit signe de me taire. Il glissa doucement la main à l’intérieur de sa combinaison et nous attendîmes, alertes.

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