Chapitre 2 1/2

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Une coupole s’ouvrait sur une pléthore de végétations luminescentes. Son plafond semblait vivant. Au-delà de ses parois d’un verre à peine perceptible, l’océan s’offrait à moi. Des bancs de poissons étincelants virevoltaient à l’extrémité du dôme tels des étoiles filantes s’enfuyant dans un ciel aux reflets turquin, presque noirs. Dans les profondeurs aquatiques de leurs fibres étincelantes, seules les anémones, méduses et algues illuminaient l’endroit. Elles s’étendaient sur les hauteurs des colonnes que composait l’architecture. Une apaisante mousse d’un vert vif s’étalait, harmonieuse, sous mes pieds nus. Les bruits et les odeurs inexistants trahissaient d’emblée que ce n’était qu’un rêve.

Au centre, je vis la même femme. Ses longs cheveux noirs tombaient sur une robe papillon dont le mauve s’intensifiait à chacun de ses mouvements. Les reflets azurites naissant aux extrémités de sa chevelure rappelèrent les plis sombres de sa tenue. Son visage laiteux en forme de cœur et sa fine silhouette la rendaient fragile. Mais si vous vous plongiez dans ses iris d’eau, une force insensée vous prouvait le contraire. Sa main droite se soutenait à l’un des piliers dont les filaments de lumière jouaient sur son visage fatigué.

À chacune de mes visites, mon cœur se soulevait d’un chagrin que je ne comprenais pas. Je ne pouvais que contempler cet être que mon esprit semblait connaître.

  • La vérité te mettra en danger, naëssi…

Sa voix claire à l’accent chantonnant glissait sur moi comme une eau m’étreignant avec douceur. Je pouvais enfin l’entendre ! Son dernier mot m'évoqua un bref souvenir inconnu et son visage inquiet se tourna délicatement vers moi.

  • Qui êtes-vous…

Ses lèvres fines prononçaient des mots mais je n’entendis plus. Le lieu s’effaçait peu à peu, englouti par une obscurité palpable. D’un geste désespéré, je lui tendis une main, ne voulant pas la perdre à nouveau. En vain. La noirceur aspirait déjà mon corps ne laissant à mon esprit qu’un seul mot : Maman.

Le réveil me ramena brutalement à la réalité, sonnant déjà depuis plusieurs minutes. Je m’étais endormie à mon bureau, les touches du clavier m’ayant offert un nouveau lifting. Mon rendez-vous ! J’étais déjà en retard. La journée commençait mal.

J’arrivais à la Mission locale une heure après celle de mon entretien. La courte distance qui m’en séparait n’eut pas raison de moi. Essoufflée, je débarquais devant le soupir exaspéré de ma conseillère de réinsertion.

  • Perlie… Tu sais que ton attitude est notée dans ton dossier. Pourtant tu ne fais aucun effort.

Si elle savait vraiment. Jocelyne Vauriel, du haut de ses cinquante ans, croisa les bras et abdiqua devant mon regard de chien battu. Justifié, ce regard, avec le sommeil agité qu’ornaient mes cernes déprimés. Nous entrâmes dans son bureau, une petite pièce pourvue uniquement d’une table abîmée, d’une étagère à classeurs et d’une plante qui fit la gueule. Les subventions à l’aide sociale n’étant pas la priorité apparemment.

Jocelyne se contenta de s’enfoncer dans son siège de seconde main, gratta l’arrière de sa tête coiffé d’un chignon maladroit puis murmura :

  • Il serait temps qu’à 21 ans, tu deviennes un peu plus adulte. Tu es désespérante…
  • Comme la plupart des jeunes.
  • Ce n’est pas parce que certains ont décidé qu’ils n’avaient pas d’avenir, que tu dois en faire autant.
  • Ah non ? Le jour où la société reconnaîtra son injustice, on en reparlera.

Jocelyne se tourna vers la minuscule fenêtre qu’éclairait l’espace. Ses rides en avaient vu des choses. Et sa tristesse en disant long sur les peines qu’elle s’efforçait d’amoindrir. J’eus un pincement au cœur.

  • Enfin… Je ne veux pas dire que vous ne servez à rien. Je…
  • Ta bourse a été refusée.
  • Bord… Je vous demande pardon ?

Ma conseillère posa ses yeux noisette à nouveau sur moi et inspira longuement.

  • Ta bourse a été refusée.

Je serrai les dents tout autant que les poings puis me forçai à détendre ma colère naissante. C’était mon troisième dossier de demande de bourse pour entrer dans une grande école de commerce.

  • Qu’est-ce qui n’allait pas cette fois-ci ?
  • Honnêtement. Je n’en sais rien du tout. Ton dossier était solide. Tous les documents étaient validés par la région île de France pourtant. Je… Je ne comprends pas.

Elle s’accouda sur le bureau, le menton supporté par sa main, le regard perdu dans ses papiers. Elle semblait sincèrement peinée.

  • On n’a qu’à refaire un autre dossier pour une autre école reconnue et…
  • Tu ne peux plus, Perlie. À moins qu’une autre école accepte ton dossier, tu dois attendre l’année prochaine pour l’envoyer de nouveau.
  • Putain ! Encore une loi à la con, c’est ça ?
  • C’est pour laisser la chance à d’autres candidats issus de quartiers défavorisés. Je… Je suis désolée.
  • Pas autant que moi.

Je ne pris pas la peine de la saluer et franchis le seuil du bâtiment, déçue. La Mission locale était une bonne option pour intégrer des écoles réputées, sans débourser un an de week-end à voler des touristes sur les Champs-Élysées. Mais il le fallait. Je devais être normale, m’intégrer dans cette société.

Remontant la rue commerçante, je saluais Rajesh, le cuistot du restaurant indien qui prenait sa pause avant d’enchaîner son service. Hamza qui tenait le Kebab en face, était déjà bien occupé. Vers midi, la rue se remplissait de tous les employés des petites entreprises et d’étudiants. Près du canal, la municipalité avait construit un petit parc, il y avait peu. Les mères surveillaient déjà les petits à l’air de jeux. Ça faisait du bien un peu de végétation car à en croire les quelques arbres qui se battaient en duel, notre Maire n’avait jamais mis les pieds dans notre quartier.

Je contournais le parc pour me rendre chez Diana, ma tante. Tout le monde l’appelait ainsi car ce fut plus facile à dire sans devoir expliquer toute l’histoire. Elle habitait plus loin, dans les hauteurs du 20e, au-dessus du parc des Buttes Chaumont et avait un ascenseur, elle. Je composais le code d’entrée et m’y engouffrais pour une minute à peine de bonheur. Flemmarde.

Le couloir lumineux du 5e étage présentait plusieurs portes bleues. Je sonnais à la dernière d’où s’entendait une mélodie latine et une petite femme à la quarantaine m’ouvrit. Des effluves de peinture et d’huiles essentielles s’engouffrèrent dans mes narines. J’avais oublié cette odeur. Ses yeux tombants se plissèrent, appuyant ses rides. Elle souriait.

  • Perlie ! Que me vaut l’honneur de cette visite ?

Je ris. Son enthousiasme à l’humour léger me faisait toujours du bien.

  • Je passais dans le coin et tu me manquais.

Ses lèvres s’étirèrent et son regard se fit compatissant.

  • Tu es toujours la bienvenue, Perla.

Elle me laissa entrer en coiffant, au passage, mes cheveux bouclés de ses doigts.

  • Tu pourrais mieux te peigner quand même !

Pardon ? Ses cheveux bruns étaient noués en chignon rapide par un pinceau abîmé et c’est moi qui ne faisais pas d’efforts ? Me reprocher des choses qu’elle ne faisait pas elle-même ne m’avait pas manqué. Je retenais un rictus. Après tout, elle m’avait élevée pendant presque dix ans.

Le salon aux mobiliers colorés mais dépareillés, était ouvert sur une cuisine à l’américaine. Il y avait un balcon sur le côté. La porte au fond menait vers les chambres et celle de droite vers l’atelier de ma tante. Il y avait encore quelques-uns de mes dessins accrochés au mur ou sur le frigo. Je soupirais de nostalgie. J’avais vécu ici jusqu’à ma majorité.

  • Tu as déjeuné ? Il me reste des lasagnes à réchauffer.

La recale de ce matin m’avait coupé l’appétit.

  • J’ai mangé, c’est gentil, merci.
  • Comment se passent tes candidatures ?

Je grimaçais. Elle sentait souvent ce qui n’allait pas. Je m’avachis sur le canapé et observais la salopette peinturlurée de Diana. Sa propriétaire changeait la dosette de sa cafetière de compet’ avant d’appuyer sur le bouton.

  • Mal mais j’imagine que c’est marqué sur ma tête.

De dos, ma tante acquiesça avec silence tout en ouvrant ses placards muraux, récupéra des tasses et des petits gâteaux. J’ajoutai :

  • Dernière chance refusée. Je dois attendre un an pour renvoyer mon dossier. Ou voler une banque entre deux. Qui sait ?

Ou revendre beaucoup de datas en peu de temps. Peut-être que le salaire de la prochaine mission pourra me payer un an d’études. Diana rigola avant d’apporter le plateau sur la petite table ikea.

  • Bon. Au moins, tu peux toujours entrer en deuxième année de Fac d’Histoire de l’Art. Tu n’es pas sans rien.

Je soupirais avant de prend ma dose de café. La plupart des étudiants finissaient en Histoire de l’Art ou en Communication par dépit. Soit parce qu’ils s’étaient fait recaler par des écoles privées ou des cursus plus spécifiques, soit parce qu’ils ne savaient pas trop quoi faire de leur vie. Non, je n’étais pas dure, c’était tout simplement la réalité.

  • Tu l’as dit mais bon…
  • Arrête de tout anticiper et vis le moment présent. Tout va bien. Tu as un emploi, des études, tu vis dans ton propre studio. Laisse faire les choses tranquillement !
  • Tu as sans doute raison…

Diana n’était pas au courant de ma double vie. Elle était persuadée que j’enchaînais les jobs étudiants ci-et-là. Pourrait-elle comprendre réellement la raison qui se cachait derrière tout ça ? Elle qui me réveillait souvent en pleine nuit suite à des cauchemars ; qui s’ébahissait de me voir noircir des carnets entiers de choses irréelles. Et qui s’inquiétait de mes sursauts ou de mes angoisses lorsque nous visitions des Musées. Ma tante savait que je n’étais pas le crayon le mieux taillé de la boîte, mais fit tout ce qu’elle put pour m’offrir une vie décente.

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