2 LES EXAMENS

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Le chant d’un siffleur à ventre blanc me réveilla ce matin-là. Les premiers rayons de soleil effacèrent ma nuit agitée pour laisser place aux examens. Contrairement à la veille, je me sentais zen. Les deux épreuves les plus importantes nous attendaient. La première, un écrit redouté par Jérémie et la deuxième un oral redouté par Perle. – Je pressentais que ce ne serait pas une journée de tout repos.

Je pris une douche parfumée aux fleurs d’hibiscus et me vêtis d’une chemise blanche brodée de fleur et d’une jupe bleu marine pour ne pas avoir chaud durant l’épreuve. Mes cheveux légèrement bouclés par l’eau chaude tombaient de façon désordonnée sur mes épaules. – Je n’eus pas la patience de les dompter ce matin-là. ­­Maquillée d’un baume à lèvre rose, j’étais fin prête. Après une tartine beurrée, un jus de goyave, j’enfourchai mon scooter, en condition pour écouter la musique ambiante d’un quartier se réveillant.

Notre maison située sur les hauteurs de notre commune nous permettait d’avoir une vue imprenable sur le rocher du Diamant. J’aimais mon quartier pour sa nature sauvage et l’odeur marine qui chatouillait mes narines tandis que je longeais son immense plage. Les pêcheurs me firent des signes de salutation alors qu’ils préparaient leurs filets. J’inclinai la tête en retour en esquissant un léger sourire. J’avais du mal à me faire à l’idée de partir loin de mon île. Terminé les ballades sur la plage. Je ne pourrais plus aller me promener sur le marché de la commune. Profiter des marchands étalant les produits locaux obtenus après un dur labeur. Il y avait également les fêtes traditionnelles qui me manqueraient. J’esquissai un soupir à l’idée de rater l’ambiance de Noël et les défilés au carnaval. Laisser mes parents derrière moi également me rendait morose. Ces tristes pensées s’évaporaient à mesure que je sentais l’air frais du matin me réconforter en me caressant le visage.

En quarante minutes, j’étais enfin arrivée. J’avais hâte de retrouver mes compagnons. Notre lieu de rendez-vous était un banc situé près d’un arbre à l’entrée de l’établissement. Les lycéens amassés devant la barrière avec leurs bouquins ouverts effectuaient leurs dernières révisions. La mine déconfite de Jérémie me fit comprendre qu’il s’était levé tôt. Toujours dans l’excentricité, Perle vêtue d’un legging rose et d’un pull jaune brodé de marguerites semblait en pleine forme. Ses habits faisaient d’elle la jeune fille la plus visible de tout le lycée. Impossible de la rater. J’eus du mal à comprendre, comment une jeune fille qui assumait autant son style pouvait-elle être aussi timide.

— Jolie jupe, elle te va à ravir ! me complimenta ma meilleure amie.

— Merci Perle ! je rougis instantanément à son compliment. Allez courage, restons confiant sur cette dernière ligne droite et nous y arriverons, professai-je déterminée.

Perle me sourit tandis que Jérémie se mordait les lèvres. Je me demandais s’il avait cette réaction à la vue de ma mini-jupe ou à cause de la difficulté de l’examen qui nous attendait. Il portait des lunettes de soleil, un polo noir et un jean bleu. Du gel réparti maladroitement dans ces cheveux faisait ressortir des boucles noires désordonnées. Son teint hâlé lui donnait toujours mine irrésistible. Je me surpris à avoir ce genre de pensée vis-à-vis de lui. Appuyé contre un arbre, l’air absent, son regard semblait scotché sur mes jambes. Gênée, je tentai de le sortir de cet état hypnotique :

— Aurais-tu perdu quelque chose ?

Il sourit, releva la tête pour me faire face.

—Je pensais à ton scooter. Il ne m’a jamais paru aussi beau, murmura-t-il en esquissant un sourire.

Sa réponse me déstabilisa. Où voulait-il en venir ? Il était différent. Depuis quelque temps, son attitude avait changé. Il était plus attentif à ce que je portais, me complimentant de temps en temps sur mon physique, et il avait ce besoin tactile de lutter contre les mèches rebelles qui tombaient sur mon visage. À croire qu’il avait été missionné pour ça. Alors que je tentais de lire ses yeux à travers ses lunettes, la cloche sonna comme pour nous ramener à la réalité de l’épreuve qui nous attendait. Je crus percevoir une ombre derrière lui. Prise de panique, pendant quelques secondes, je restai figée. Je n’entendis pas la réflexion de Perle, qui dû me répéter avec insistance.

— Toc Toc Toc Tess ! On sera en retard !

— Tout va bien Tess ? s’inquiéta Jérémie en baissant légèrement ses lunettes. La vue de ses yeux noisette me fit rougir. Il plongea son regard dans le mien ce qui me fit sourire.

— Euh… Oui ça va, je suis prête !

Je jetai un coup d’œil rapide, pour me rendre compte qu’il n’y avait plus aucune ombre derrière lui. Je détournai le regard pour qu’il n’aperçoive pas l’inquiétude qui me gagnait, et j’enchaînai un pas rapide derrière Perle. Nous nous faufilions à travers un nuage de lycéens excités à l’idée de passer leurs examens. Certains semblaient stressés, d’autres confiants. Je pris place dans la salle d’examen.

— Une personne par table ! nous rappela notre professeur concentré.

Cette annonce mina Jérémie qui je pense aurait voulu prendre place à mes côtés.

Durant l’épreuve, les réponses me venaient à l’esprit instantanément. En une demi-heure, satisfaite de moi-même, je m’apprêtai à rendre ma copie en imaginant les mines déconcertées des autres élèves. À tous les coups, ils seraient dégoûtés de me voir finir aussitôt. Le bruit d’une mine cassée attira mon attention. Mon regard s’arrêta sur Jérémie. Quand il me vit, son sourire forcé le trahit. Son apparence abattue fit battre mon cœur un peu plus vite. Il n’y arriverait pas. Pauvre Jérémie. Que pouvais-je faire pour lui ? Désemparée, je regardai ma copie parfaite sans aucune rature. – Paris sans Jérémie ? Hors de question ! à coup de pied je vais t’y emmener ! tu as intérêt à bouger ton arrière-train pour réussir cet examen ! sinon je sens que je vais régler ton compte. – C’est bon ! pas la peine de me stresser ! Je fus saisie par cette voix venant de nulle part. « Qui es-tu ? », entendis-je une autre voix me parler.

— Qui me parle… qu’est-ce que… Jérémie ? m’exclamai-je à haute voix dans la salle.

Tout le monde se retourna vers moi en éclatant de rire, tandis que la sonnerie retentit. Je rougis instantanément. Le prof me regarda mit un doigt sur sa bouche en secouant la tête. J’acquiesçai de la tête rouge comme un piment. Quelques minutes plus tard, il passa dans les rangs ramasser les copies. Jérémie vint vers moi tout souriant. Je ne compris pas tout de suite, troublée par ces voix que j’avais clairement entendues raisonner dans ma tête. Perdue dans mes pensées, j’étais la dernière dans la salle.

— Mademoiselle Kinna Téssia… un problème ?

Je devais être violette. Les joues enflammées, je me levai brusquement en tendant ma copie au professeur impatient. J’embrayai une marche rapide pour rejoindre mes amis sur le pas de la porte.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Tout excité, il me raconta :

— Je ne comprenais rien aux énoncés ! Je vous voyais déjà dans l’avion, sans moi ! Adieu Paris. J’ai failli remettre une feuille blanche ! Et puis tout à coup, tout s’est figé ! J’avais l’impression de revivre le cours et de répondre aux questions comme si je prenais des notes ! Et puis je t’ai imaginée en train de me pourrir la vie parce que je ratais mon examen.

— Qu’est-ce que tu entends par là ?

— Ben tu sais, je t’entendais me dire des trucs genre, bouge ton arrière train ! À coup de pied je vais t’y emmener ! Paris ne se fera pas sans toi ! Des trucs comme ça ! Mais c’est sans importance j’ai assuré… j’ai réussi Tess !

Sa phrase me surprit. Les mêmes mots, la même intonation. Qu’est-ce qui se passait dans ma tête ? D’où venaient ces voix que j’avais entendues distinctement. Perdue dans ma réflexion, je ne me rendis pas compte que Jérémie me serrait dans ses bras en me faisant tourbillonner. Il était si fier de ce petit miracle. Les joues toujours en feu, je détournai la tête afin de lui cacher mon embarras. Je ne pris pas la peine de poser la question à Perle vu que c’était sa matière préférée. Elle me fit un clin d’œil, puis se tourna vers le héros du jour.

— J’ai lu des témoignages de personnes ayant vécu ce genre d’expérience dans un bouquin. Il traitait de la folie ! n’y aurait-il pas des cinglés dans ta famille ? Ainsi tout s’expliquerait !

— Tu rigoleras moins à l’épreuve de cet après-midi Mademoiselle la schizophrène ! tu vas nous sortir la Perle timide ou la Perle qui crache son venin ? rétorqua Jérémie en mettant ses lunettes avant de s’éloigner vers la cafétéria.

— Perle ?

Elle baissa la tête d’un air désolé.

— Que veux-tu que je te dise ! c’est plus fort que moi ! il va s’en remettre ne t’inquiète pas pour ton petit doudou[1] ! il faut couper le cordon ou alors te poser les vraies questions !

— Mon petit doudou ? Couper quel cordon ? Vraiment toi ! je suis d’accord avec Jérémie. On ne peut pas être timide et balancer des bêtises comme ça ! allons manger ma Schizo !

— Lol, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi !

Elle éclata de rire en me donnant une petite tape amicale sur l’épaule. – Pour appeler quelqu'un doudou, il faut être fixé sur ses sentiments. La question ne s'est jamais posée pour Jérémie qui pour moi n'était qu’un ami.

Alors que je me dirigeais vers la cafétéria, je repensais aux voix que j’avais entendues. Il y avait l’histoire de Jérémie mais également cette autre voix étrangère qui s’était immiscée dans ma tête.

Après m’être rafraîchie aux toilettes, je rejoignis ma petite équipe. Je m’attendais à ce que ce déjeuner soit mémorable, mais la nourriture de la cafétéria qui devait avoir un goût de victoire n’avait aucune saveur. En temps normal, Jérémie nous compterait la puissance de son inconscient et combien il en était fier, mais la tension était palpable dans notre équipe. Jérémie vexé avait mis ses lunettes de soleil cachant ce regard de tueur que je connaissais trop bien. Indifférent, il ne prêtait plus attention à nous. Je le vis à sa moue inflexible et son sourire effacé. Perle, avait quant à elle un regard de chien abattu. Nous savions que l’épreuve la plus dure était à venir. Il s’agissait de la présentation orale de notre projet.

— Comment te sens-tu Perle ?

Elle tournait nerveusement la fourchette dans son assiette. Peut-être cherchait-elle à lire l’avenir dans son plat de pâte. Quoi qu’elle y vît ne la rassura pas, vu les longs soupirs qu’elle esquissait. Je devais lui remonter le moral autrement, c’était peine perdue. Je lui professai :

— Perle ! nous sommes une équipe ! nous ne te lâcherons pas ! mais il faut absolument que tu te reprennes ! je fus prise de remord à l’idée de l’impact de cette phrase sur elle.

— Oui, mais… c’est au-dessus de mes forces ! moi devant tous ces élèves… je suis paniquée !

Elle se leva et s’apprêtait à partir quand Jérémie tout à coup, d’un geste rapide, la retint fermement par le poignet et l’avertit sur un ton agressif en faisant descendre ses lunettes sur son nez.

— Perle ! il est hors de question que j’échoue à cause de toi ! tu connais la règle. Chaque personne du groupe est obligée de présenter une partie. C’est une épreuve déterminante ! cesse tes enfantillages et prends ta vie en main. Si tu continues de vivre ta foutue timidité comme un handicap, tu t’en voudras toute ta vie d’avoir abandonné !

Ces mots durs résonnèrent si fort dans la cantine que tout le monde se retourna vers notre table. Perle gênée, dégagea son poignet avec force et s’enfuit larmoyante vers les toilettes. Contrariée, les bras croisés j’aboyai :

— Bien joué !

— Arrête de faire ta mère poule ! tu ne l’aides pas !

Il mit ses lunettes de soleil, se leva de table et s’en alla, sans rien ajouter. Il avait raison, je le savais, mais je ne pouvais me résoudre à la laisser en larme dans les toilettes. En allant la rejoindre, je tombai sur Mike. J’imaginai la mine penaude de Perle, les yeux verts inondés de larmes, passant devant son fiancé secret. Cette scène avait dû la retourner. Mike ne dut pas comprendre mon regard surpris et rempli de déception. Il me fixa étrangement puis continua son chemin.

— Tu te rends compte de ce que vient de me faire cette andouille ! Jérémie tu me le paieras, s’écria- t-elle en donnant un coup de pied à la porte des toilettes.

— Ne le juge pas aussi sévèrement, tu sais très bien que c’est pour ton bien qu’il… il est juste très maladroit… il ne trouve pas toujours les mots justes !

Mais rien à faire, ses larmes coulaient sur ses joues à me fendre le cœur. Elle avala difficilement sa salive, passa de l’eau dans ses cheveux, puis me reprocha :

— Si en plus tu prends sa défense !

Déchirée entre mes deux compagnons, je détestais prendre parti. Qu’est-ce qui m’avait pris de lui poser cette question devant Jérémie. Je n’eus pas le temps de lui répondre quand la cloche retentit. Déjà quatorze heures. L’heure de la sentence pour Perle. Je la saisis par les épaules, fixant ses yeux rougis par ses larmes, en tentant de la rassurer :

— Perle, tu as la chance de prouver à Jérémie qu’il s’est trompé sur toi. Tu as un challenge à relever et tu vas leur montrer qui tu es. Une femme forte qui dégomme les portes des toilettes à coup de pied ! Pendant ta démo, tu seras à l’aise, maîtrisant ton sujet, avec une prodigieuse assurance. C’est maintenant que tu te donnes à fond, car tu es une battante !

Il y eut comme un courant d’air qui ouvrit la porte des toilettes comme pour nous dire que c’était l’heure. Elle me fit un signe en hochant de la tête, essuya son visage avec un mouchoir, puis se mit en marche.

Les exposés s’enchaînaient lentement. La tension était palpable. Je regardais ma compagne stressée. Ses jambes claquaient l’une contre l’autre nerveusement. Si j’étais à sa place, mes genoux seraient violets. Il y avait comme un air de détresse qui accompagnait son regard. Je savais que jamais elle n’y arriverait si elle restait dans cet état.

Jérémie quant à lui avait les traits serrés, les sourcils froncés et le regard fixé sur le crayon avec lequel il griffonnait sur une feuille blanche. Je voyais Paris s’éloigner à la vue de mes deux guerriers affaiblis. Était-ce la providence qui était avec moi, la cloche retentit et provoqua un soupir de soulagement simultané entre Perle et moi.

— Les exposés reprendront demain. Et le premier groupe nous présentera la confection d’un logiciel prévisionnel de météo. Vous pouvez disposer !

Les épaules de ma meilleure amie se détendirent à l’annonce du professeur. C’était comme s’il venait de lui annoncer que son cœur ne lui serait pas retiré aujourd’hui – bien que nous serions les premiers à passer le lendemain. Jérémie, quant à lui, sortit de la salle, contrarié. Je ne l’avais jamais vu dans cet état-là. Attristée, son attitude me fit l’effet d’une douche froide.

[1] Doucou : désigne une personne aux Antilles pour lequel on a de l’affection

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