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 La cage d’ascenseur qui emmenait Sam au rez-de-chaussée avait l’air plus petite que d’habitude. L’air y était rance et chaud ; il suffoquait et, même en ayant déboutonné le haut de sa chemise, il était trempé de sueur. Sam savait qu’il était fichu : Rochard voulait l’interroger une deuxième fois, ce qui voulait dire qu’il le soupçonnait. Il songea à fuir, à ne jamais revenir au dernier étage. Il écarta très vite cette idée de sa tête : s’il fuyait, on le considérerait comme un espion et il passerait le reste de ses jours à fuir une entreprise implantée aux quatre coins du globe. Cet avenir lui donnait la nausée. Il se vit à la place de Spade dans un fauteuil roulant.

 Sam avait du mal à respirer ; l’air était trop dense dans la cage d’ascenseur. Il suait abondamment, son rythme cardiaque accélérait et des taches aveugles dansaient devant ses yeux. Il se retint aux parois de l’ascenseur pour ne pas tomber. Les étages défilaient à une lenteur atroce. Lorsque les portes s’ouvrirent, l’air frais du rez-de-chaussée le réanima : ce fut comme une gifle qui souffla son malaise. Sam se repeigna, reboutonna sa chemise, réajusta sa cravate et afficha un faciès sérieux et détendu avant de quitter l’ascenseur.

 Eric Muad était accoudé au bureau de la standardiste. Il devisait avec celle-ci de façon totalement décontractée ; il ignorait sûrement que sa vie était en danger. D’un pas pressé, Sam se dirigea vers lui.

 « Hé ! salut Sam, lança Muad lorsqu’il aperçut son collègue. Sacrée soirée, hein ? »

 Sam ne répondit pas ; il attrapa le bras de Muad et le tira à l’écart.

 « Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? demanda Muad. T’as l’air bizarre. »

 Sam vérifia que personne ne les écoutait et, lorsqu’il fut certain que leur conversation serait confidentielle, lança à mi-voix :

 « Qu’est-ce que tu foutais ? T’as raté la réunion de ce matin.

 – La gueule de bois m’a cloué au lit… et puis merde ! T’es qui au juste, mon patron ?

 – T’es au courant que le service anti espionnage est à l’étage ? Ils interrogent tout le monde. Apparemment, il y aurait une taupe au conseil.

 – Oui, je sais. Ma secrétaire m’a laissé un message. C’est l’une des raisons de mon retard : je n’avais aucune envie de me faire emmerder ce matin. Mais c’est pour ça que t’es à cran ?

 – Hier soir, après le casino, où est-ce qu’on est allés ? Srzenski nous a vus ensemble.

 – Ha ha ha ! Quelle soirée ! Je n’ai jamais été aussi…

 – Épargne-moi tes commentaires. Où est-ce qu’on est allés ? Qu’est-ce qu’on a fait ?

 – Eh bien… Je sais plus. On est peut-être allés dans un bar ou dans une boîte. À vrai dire, je n’en ai aucune idée. On était tellement chargés ! »

 Il se mit à rire. Sam, quant à lui, n’avait pas envie de rire. Muad était sa dernière chance de savoir ce qu’il s’était passé cette nuit.

 « Si, je me suis souviens de deux superbes nanas qui nous suivaient partout.

 – Comment s’appelaient-elles ? demanda Sam rendu fou par ce nouvel espoir.

 – Leurs noms ? Tu crois vraiment que je vais retenir les noms de deux putes ? Pour moi, c’est salope numéro un et salope numéro deux. »

 Sam se prit le visage dans les mains : son désespoir était total. Il était sur le point de pleurer ; les larmes lui chatouillaient déjà les paupières. Il se retint, car il ne voulait pas passer pour un idiot devant son collègue.

 « Bon sang ! mais qu’est-ce que tu as aujourd’hui ? demanda Muad qui ne souriait plus. On dirait qu’au petit déjeuner tu as confondu les céréales avec la Ritaline.

 – C’est la merde, Éric ! Le service anti espion a un putain de confesseur et il n’hésite pas à s’en servir. Spade s’est déjà fait lobotomiser ; tu l’aurais vu, on aurait dit un zombie. Rochard, celui qui mène cette enquête, est un malade. Il n’en a rien à foutre qu’on se fasse lobotomiser ; au contraire, ça à l’air de l’amuser. Il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas trouvé l’espion. Et si aucun d’entre nous n’est l’espion, alors, on y passera tous !

 – En effet, la situation est plutôt craignos. Mais ça ne sert à rien de te mettre dans un état pareil ! Tu n’as rien à te reprocher. Attends un peu et ce Rochard finira bien par trouver ce salaud d’espion.

 – Tu ne comprends pas. Rochard me soupçonne parce que je ne me souviens pas de ce que j’ai fait cette nuit. Dès que Rochard soupçonne quelqu’un, il l’envoie au confesseur. Et puis… et puis il y a ce message que j’ai reçu à cinq heures du matin qui me fait passer pour l’espion. Maintenant que je l’ai écouté, je ne vais pas pouvoir m’empêcher d’y penser pendant l’interrogatoire, ce qui n’arrangera en rien mon cas. Ils utilisent un scanner de pensée : ils sauront très vite que je leur ai caché ce message. Je suis baisé !

 – Un message ?

 – Oui, quelqu’un m’a piégé !

 – Quelqu’un du conseil d’administration ? Du genre, Srzenski ?

 – Oui, sûrement. Mais ça peut aussi bien être toi !

 – Hé ! vas-y mollo, OK ? Je n’ai aucun intérêt à me débarrasser de toi. Tu sais très bien que je suis le dernier que Vermont choisirait pour devenir PDG. Il pense que je suis un arriviste et un branleur.

 – Oui, excuse-moi. Je suis sur les nerfs. »

 Ils se regardèrent en silence ; Sam ne savait plus quoi dire. Au bout d’un moment, Muad soupira et sortit de sa poche un stylo et une carte de visite. Il écrivit quelque chose dessus et la tendit à Sam.

 « Je vais te donner une autre raison de t’en vouloir pour m’avoir soupçonné, dit-il. »

 Sam prit la carte de visite. Muad avait écrit dessus une adresse ainsi que deux lettres en majuscules : AZ.

 « Qu’est-ce que c’est ? demanda Sam.

 – L’adresse de Az. Elle pourra t’aider à recouvrer ta mémoire. Ne me demande pas comment j’ai eu son adresse ; c’est personnel.

 – Az ? C’est une psychiatre ?

 – Non, pas vraiment. Disons plutôt qu’elle a un don pour lire dans l’âme des gens.

 – Tu te fous de ma gueule ? Je te dis que je suis sur le point de me faire lobotomiser et toi tu me donnes l’adresse d’un charlatan ! C’est quoi ces conneries, pour un supplément de cinquante balles, elle lit mon avenir dans des feuilles de thé ?

 – Ce n’est pas ce que tu crois. Il n’y a rien de magique. Elle utilise des substances chimiques et tout un tas de scanners pour te débloquer la mémoire. Je ne sais pas vraiment comment elle s’y prend, mais c’est une pro. Elle est capable de t’effacer un souvenir, t’enlever une addiction, une phobie ou encore te faire perdre du poids. Si tu veux savoir ce que tu as fait cette nuit, va la voir. Elle te dira tout. »

 Sam regarda un moment la carte de visite. S’il arrivait à recouvrer la mémoire, il prouverait à Rochard qu’il n’avait rien à lui cacher. Peut-être que cela pouvait lui éviter le tête-à-tête avec le confesseur.

 « De toutes les façons, je n’ai rien à perdre, dit-il en rangeant la carte dans sa poche. »

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