Chapitre 20 - L'Orange et le Noir

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Des semaines étaient passées depuis que Lara avait enregistré son numéro dans le téléphone de Thomas. Depuis ce jour, il n’avait pas reçu d’appels ni de messages de la jeune fille, et commençait à se demander si ce besoin apparemment urgent de lui parler l’était finalement vraiment. Elle avait dit avoir un planning chargé, alors Thomas n’avait pas cherché à la contacter et se contentait simplement de regarder son téléphone tous les soirs, en attente d’une évolution de la situation.

Ce soir-là, la rue était illuminée par des guirlandes rougeâtres accrochées aux maisons et des lampions portés par les petits enfants costumés du quartier. Des dizaines d’entre eux avaient déjà sonné à la porte des Walker, et Tracy s’était fait une joie de tous les recevoir sur le pas de la porte avec des poignées entières de friandises. Thomas regarda le spectacle dehors lorsque la sonnerie de son téléphone retentit soudainement.


— Allo, Thomas ? demanda une voix féminine au bout du fil.

— Oui c’est moi.

— Comment tu vas mon chéri ? J’espère qu’on ne te dérange pas.

— Non pas du tout Maman, t’inquiètes. Tracy est en train de donner des bonbons aux enfants du quartier, et James fait à manger pour ce soir. J’ai fini mes devoirs alors je vais pas tarder à les rejoindre.

— Je suis contente de t’entendre, tu nous manques tu sais.

— Vous me manquez aussi.

— Et les cours, ça se passe bien ?

— C’est forcément plus dur qu’en France, mais je m’en sors. Et Alicia me permet de m’intégrer plus facilement.

— Ravi de l’entendre fiston, dit une voix masculine.

— Salut Papa.

— On ne va pas te déranger plus longtemps, reprit la mère de Thomas. Passe le bonjour à James, Tracy et Alicia de notre part.

— Bien sûr, comptez sur moi.

— Profite bien d’Halloween, dit son père. Tu nous raconteras demain.

— Ok, ça marche. Bisous à tous les deux, je vous aime.


Un court bip se fit entendre puis plus rien. Thomas était conscient que ce coup de fil n’avait rien d’anodin. Contrairement aux dizaines d’autres échanges téléphoniques qu’il avait eu avec ses parents, celui-ci traduisait un manque au delà des mots. Il était minuit passé en France, et les parents de Thomas avait quand même appelé pour prendre des nouvelles. Ce fut court, certes, mais le son de sa voix avait certainement dû leur faire du bien.

Thomas fut tiré de ses pensées par trois coups donnés sur la porte de sa chambre, qui s’ouvrit ensuite.


— Prêt à venir manger ? demanda Alicia, dont seule la tête dépassait de l’entrebâillement de la porte.

— Oui, j’arrive, répondit Thomas.


Il mit son téléphone dans la poche gauche de son jean, rangea son bureau, puis prit la direction de l’escalier. Arrivé au rez-de-chaussée, Thomas découvrit une table décorée aux couleurs d’Halloween, parée d’une nappe orange et d’un chemin de table noir imitant de grandes toiles d’araignée. Il aida à mettre verres, assiettes et couverts, puis alla s’asseoir.

James arriva à table avec un grand plat dans les mains.


— Attention, c’est chaud, dit-il. Alicia, tu fais le service ?

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Thomas, intrigué.

— C’est une tarte à la citrouille, répondit Alicia, en servant une part de tarte dans l’assiette de Thomas.


Celui-ci inspecta la couleur ocre uniforme de cette tarte, dont seule la pâte lui semblait familière.


— Tu vas voir, c’est bon, ajouta-t-elle.

— Merci, répondit Thomas.


Une fois tout le monde servi, James entama la discussion sur le programme de la soirée.


— N’oubliez pas, départ de la maison à 20h.

— On va où ? demanda Thomas.

— C’est une surprise, sourit Alicia. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il va falloir se déguiser avant de partir.


Le repas se termina quelques minutes plus tard, et c’est le ventre bien rempli que Thomas sortit de table, accompagné d’Alicia. Tout deux montèrent les escaliers et rejoignirent la salle de bain.


— Tu veux quoi ? demanda Alicia.

— Je sais pas trop, qu’est- ce que tu me proposes ?

— J’ai une idée, mais je ne vais rien te dire, ce sera à toi de deviner.


Thomas prit alors le tabouret blanc à côté de la douche, et vint s’asseoir face au miroir. Pendant ce temps, Alicia farfouilla dans ses produits de maquillage, sortit quatre produits aux couleurs distinctes, puis demanda à Thomas de se mettre torse nu.


— Fais-moi confiance, sourit-elle en prenant un pot qui semblait des plus ordinaires.


Elle mit une noix de pâte dans ses mains et l’étala sur toute la chevelure de Thomas. Le regard plongé dans les gestes énergiques d’Alicia , il vit à travers le miroir ses cheveux blonds devenir rapidement verdâtres. Après un rapide lavage de mains, elle ouvrit un écrin cylindrique, agita une sorte de gros pinceaux à l’intérieur, puis sur le visage de Thomas comme s’il était une toile.

Instinctivement, celui-ci ferma les yeux et ne les ouvrit que quelques secondes plus tard, lorsqu’il ne sentit plus les poils de cette étrange brosse sur sa peau. Il fut stupéfait lorsqu’il se découvrit dans le miroir, le visage complètement blafard et les cheveux d’un vert digne des plus dégoutants marécages.


— Attends, c’est pas fini. Tu veux bien refermer les yeux s’il te plait ? demanda Alicia.


Thomas s’exécuta et ne tarda pas à sentir les passages d’une brosse plus fine sur ses paupières. Il continua de garder les yeux fermés, bien que les va-et-vient avaient cessés. Il entendit un son de plastique puis fut saisit lorsqu’il sentit une matière encore inconnue toucher ses lèvres. La matière légèrement huileuse parcouru l’ensemble de sa bouche et se perdit jusqu’à ses joues.


— Voilà, tu peux ouvrir les yeux.


Thomas découvrit alors un visage qu’il ne reconnaissait pas. En s’approchant du miroir, il inspecta ses cheveux, son teint, l’épaisseur noire autour de ses yeux et le grand sourire rouge bariolé entre ses deux joues.


— Le Joker, s’exclama-t-il.

— Ca te plait ?

— Carrément ! Par contre, il me manque…

— T’inquiètes, viens avec moi, coupa Alicia.


Elle ouvrit la porte de la salle de bain et prit la direction de la chambre de ses parents, suivi de près par Thomas. Une fois tous les deux entrés, il découvrit un endroit de la maison qui lui était encore inconnu. Une vaste chambre s’étendait sous ses yeux, avec un spacieux lit double en son centre, face à une télévision d’un autre temps. Alicia se dirigea vers un grand placard dont elle fit coulisser les larges panneaux qui servaient de portes. Elle saisit une chemise verte et une veste de costume bordeaux, puis les tendit à Thomas.


— Tiens, dit-elle. Ça sera sans doute un peu grand pour toi mais j’ai rien d’autre qui peut faire l’affaire.


Thomas les prit puis sortit de la chambre en compagnie d’Alicia.


— Les pantalons de mon père sont beaucoup trop grands pour toi, donc il vaut mieux que tu prennes un des tiens, expliqua-t-elle tout en refermant la porte.


Thomas la remercia puis se dirigea vers sa chambre, tandis qu’Alicia indiqua qu’elle allait se préparer elle aussi. Il déposa les vêtements de James sur son lit, puis farfouilla dans son armoire et mit la main sur un pantalon d’un bordeaux légèrement différent de la couleur de la veste. Il enfila ensuite la chemise, puis la veste, tout en faisant attention à ne pas mettre de maquillage dessus. Une fois habillé, il jeta un oeil à ses poignets cachés par les manches trop longues de la veste, puis regarda de quoi il avait l’air dans le miroir incrusté de son armoire. Il ne ressemblait plus à Thomas, tout en étant bien conscient qu’il ne ressemblait pas tellement au Joker non plus, mais il était content de l’effort qu’avait fourni Alicia pour le mettre dans la peau du personnage. Ce costume le faisait entrer dans un autre monde, où le Thomas timide et réservé pouvait s’effacer et où un alter ego plus libre et plus amusant pouvait apparaître, l’instant d’une soirée. Il commença à mimer des expressions faciales qu’il avait vu dans des films, et fit un grand sourire à son reflet. Il ne savait pas ce qui l’attendait, mais il avait hâte.

Il sortit de sa chambre et ferma la porte derrière lui. Alors qu’il commençait à descendre les marches de l’escalier, il entendit un bruit derrière lui. Il se retourna et vit la porte de la salle de bain s’ouvrir. Il s’arrêta et aperçut Alicia sortir de la pièce, habillée d’un blouson doré au quadrillage losangulaire, d’un simple t-shirt blanc et d’un short en jean partiellement troué. Elle arborait désormais des lèvres d’un rouge profond et deux couettes aux pointes colorées.

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