Chapitre 18 - Une rencontre encore plus inattendue

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La nuit avait visiblement porté conseil à Alicia, qui avait retrouvé sa joie de vivre. La discussion qu’elle avait eu avec Thomas y était sans doute également pour quelque chose. Pourtant, elle avait décidé de s’installer dans son recoin habituel pour déjeuner. Thomas, lui, ne s’y était pas opposé, conscient désormais des problèmes de la jeune fille. On ne chasse pas si facilement ses vieux démons.

Dehors, une pluie torrentielle s’abattait sur les vitres du réfectoire. L’eau ruisselait comme des larmes sur un visage, et le ciel était d’un gris effrayant. À l’intérieur, les places étaient comptées et beaucoup de lycéens se retrouvaient debout à attendre pendant quelques minutes qu’une place se libère enfin. Thomas et Alicia, eux, avaient été parmi les premiers à se présenter au réfectoire et n’avaient eu aucun mal à trouver une place où déjeuner. Thomas n’était pas mécontent de se trouver loin de la cacophonie générale, et terminait tranquillement son plat. Ici, où personne ne venait jamais, il n’avait pas à craindre la pression d’un autre élève impatient de trouver une place libre où manger.


— Désolé, je vais devoir y aller, s’excusa Alicia.

— Tu vas où ? demanda Thomas.

— J’ai cours de techno. Ça te dérange pas si je te laisse seul ?

— T’inquiètes pas, vas-y. Je mange mon dessert et je vais aller réviser à la bibliothèque.

— Ok, super. On se retrouve à la maison.

— Ça marche. À toute.


Alicia se leva de table et prit ses affaires. Elle adressa un regard à Thomas puis alla se décharger de son plateau sur le chariot de dépose près d’une poubelle. Thomas se retrouvait alors seul pour la première fois dans ce réfectoire, dos au bruit des conversations et des soupirs. Il commençait à s’habituer à sa nouvelle vie, et n’avait plus aucun problème à s’imaginer traîner seul dans les couloirs du lycée. De toute façon, il ne pouvait pas demander à Alicia de faire la baby-sitter tout le temps. Cette occasion surprise était pour lui le bon moment de prendre une certaine liberté et de gérer son après-midi comme il l’entendait, à savoir aller réviser à la bibliothèque pour compenser les lacunes naturelles qu’il avait par rapport aux autres élèves.

Alors qu’il croquait dans sa part de gâteau au chocolat, il sentit un léger souffle à son oreille gauche. Il se retourna et vit 4 adolescents, soda à la main. Il reconnut immédiatement l’élève qui vint s’asseoir là où Alicia se tenait quelques minutes auparavant. Peter Johnson.


— Bah alors, tu manges tout seul le français ? dit-il sur un ton dédaigneux.

— Qu’est-ce que ça peut te faire ? répliqua Thomas après avoir fini sa bouchée, sans même s’interroger pourquoi Peter l’avait appelé « le français ».

— Elle t’a abandonnée Ali chérie ?, ricana Peter. C’est triste.

— Laisse moi tranquille.

— Oh bah non, c’est justement toi que je cherchais.

— Qu’est-ce que tu me veux ?

— T’as visiblement la mémoire courte.


Peter détacha le couvercle de son verre transparent, qu’il posa sur la table. Thomas remarqua alors que ce qu’il pensait être du soda était en fait un mélange de liquide et de glace pilée de la même couleur.


— Je t’avais bien dit hier que je t’accueillerai comme il se doit.


Aussitôt après cette phrase qui sonnait dans sa bouche comme le climax d’une longue attente, Peter aspergea Thomas. Il reçut le liquide froid et collant en plein dans les yeux et le reste du visage. Totalement désorienté par cet aveuglement soudain, il s’efforça tant bien que mal de s’essuyer les yeux. Privé de l’un de ses sens, il entendit des voix ricaner comme des hyènes autour de lui et, quelques secondes plus tard, il sentit un second verre lui être versé sur la tête, puis un troisième, puis un quatrième. Paralysé par la violence de ce qu’il venait de vivre, Thomas ne chercha pas à se défendre, ni même à s’essuyer les yeux. Désormais le liquide commençait à couler sur sa nuque et dans son dos.


— T’es tout beau maintenant, rit une voix masculine qu’il n’avait encore jamais entendu.

— On est quittes désormais, alors ne t’avises jamais plus de me tenir tête, dit Peter. Compris ? termina-t-il avec son meilleur français.


Celui-ci n’attendit pas de réponses et déguerpit avec sa bande. Thomas patienta quelques instants pour se remettre de ses émotions, lorsqu’une main vint se glisser sous son aisselle gauche.


— Lève-toi, ordonna une voix tout en agrippant le bras de Thomas.

— Je ne vois rien, rétorqua-t-il.

— Tiens mon bras et suis-moi.


Il reconnut alors une voix féminine.


— Alicia ? demanda-t-il.

— Non, c’est pas Alicia, répondit la voix. Suis-moi, il ne faut pas qu’on te voit dans cet état.


Thomas suivit donc cette voix à l’aveugle pendant quelques secondes, agrippé à son bras fin. Elle se stoppa soudainement, puis Thomas entendit le son d’une clé tournant dans une serrure, et une porte qui s’ouvrit.


— Vas-y, entre, indiqua la voix.


Il leva aussitôt la main droite devant lui pour se protéger d’obstacles éventuels tout en marchant à tâtons. Encore abasourdi par ce qui venait de lui arriver, il faisait une confiance aveugle à cette voix qui le guidait. Celle-ci prit ses deux mains et les posa sur une surface lisse et arrondie, lui intimant de ne pas bouger, puis referma la porte.

Thomas entendit ensuite un bruit métallique puis de l’eau qui s’écoulait, et ne tarda pas à comprendre qu’il se trouvait au-dessus d’un lavabo.


— Baisse doucement la tête, indiqua la voix.


Thomas s’exécuta sans un mot et ses cheveux furent rapidement au contact de l’eau.


— Désolé pour ça. Peter est un con, grommela la voix.

— Tu le connais ? demanda Thomas.

— Ouais, soupira la voix, tout en passant ses mains dans les cheveux de Thomas. Il t’a pas loupé, et ses abrutis de copains non plus.


La voix s’efforçait d’enlever minutieusement tout le liquide et le reste de glace pilée. Ce massage improvisé n’était pas sans déplaire à Thomas, qui profitait de ce réconfort improbable.


— Je leur avait pourtant demandé de ne pas le faire, souffla-t-elle.

— Quoi ? Tu traines avec eux ? s’interrogea Thomas.

— Ce serait beaucoup trop compliqué à t’expliquer, et tu ne me croirais pas.


La tête désormais trempée d’eau claire, Thomas entendit la voix fermer le robinet. Il n’avait toujours aucune idée de l’endroit où il se trouvait, et l’absence de passage semblait indiquer qu’il ne se trouvait peut-être pas dans les toilettes. Il essaya timidement d’ouvrir les yeux lorsque sa vision fut recouverte d’un épais voile blanc.


— Tiens, sèche-toi les cheveux. T’inquiètes, elle est propre.


Thomas prit en main l’épais voile blanc, qui n’était autre qu’une serviette, et commença à sécher ses cheveux tout en se relevant.


— Par contre ne bouge pas, tu vas tâcher ta chemise.


L’adolescent s’exécuta et continua d’agiter la serviette sur sa tête tout en restant penché à un angle de presque 90°. Il sentit une présence derrière lui, puis des mains venir l’enlacer au niveau de son torse.


— Ne bouge pas, intima la voix alors que Thomas commençait à tourner la tête.


Un à un, les mains de la voix défirent les boutons de la chemise de Thomas avec une délicatesse qui contrastait totalement avec la violence du bizutage qu’il venait de subir. Il sentit une main se balader jusqu’au dernier bouton, près de la ceinture, tandis que l’autre tenait le col de sa chemise.


— Tu as fini avec la serviette ?

— Oui, merci.


La main baladeuse récupéra la serviette et la voix demanda à Thomas d’enlever ses bras des manches de sa chemise. Lorsque ce fut fait, la main qui en tenait le col finit d’enlever la chemise du dos de Thomas. Celui-ci tourna légèrement la tête pour tenter d’apercevoir le visage de la personne qui venait littéralement de le déshabiller. Ne voulant pas se faire remarquer, il ne put que déceler une longue chevelure blonde foncée.

La voix passa un coup de serviette sur la nuque et le haut du dos de Thomas puis l’autorisa à se relever. À cet instant, il vit pour la première fois le visage de sa sauveuse. Ses longs cheveux, ses oreilles, les contours de son visage, tous ces éléments lui revinrent en tête aussi brusquement qu’un flash-back en version accélérée. Il ne faisait aucun doute, la coïncidence avait mis sur son chemin la fille à la robe bleu pale qu’il avait aperçu lors du bal de rentrée. C’était bref, mais Thomas en était désormais persuadé, il s’agissait de la même personne.

La jeune fille tendit la chemise de Thomas, qui la prit et l’enfila à toute vitesse, très gêné de se retrouver dans cette situation, torse nu devant une personne qu’il ne connaissait pas. Pendant que Thomas s’affairait, elle souriait d’un large sourire aux dents blanches comme la neige, entourées de lèvres assez pulpeuses pour être sensuelles sans être vulgaires. Une fois rhabillé en quatrième vitesse, Thomas croisa le regard de la jeune fille et plongea dans ses magnifiques yeux bleus.


— Allez, file maintenant, coupa la jeune fille en rigolant. Je vais devoir fermer.

— Merde, mon sac, s’affola Thomas.

— À côté de l’étagère. J’allais quand même pas le laisser.

— Merci, répondit Thomas avec soulagement.


Sur ces mots, il mit son sac sur une épaule et ouvrit la porte. Le réfectoire était désormais vide. Thomas le traversa avec hâte, gêné à l’idée que quelqu’un puisse le découvrir dans cet accoutrement, une chemise boutonnée à la hâte et les cheveux encore à moitié mouillés. Ce n’est qu’après avoir monté quelques marches de l’escalier menant au hall principal, qu’il se rendit compte qu’il n’avait pas demandé le prénom de sa bienfaitrice.

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