Chapitre 17 - Je peux te poser une question ?

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Une fois le repas terminé, Thomas et Alicia allèrent déposer leur plateau. Le comportement d’Alicia avait changé, Thomas le sentait. Elle n’était plus la fille enjouée qu’il connaissait jusqu’alors et avait terminé son repas sans un mot. Elle se sentait coupable d’avoir fait valser les illusions de Thomas en éclat, avec le sentiment de transformer son rêve américain en fardeau à venir. Les yeux pétillants qu’il avait n’était plus, remplacés par un regard interrogateur et froid.

Ils se dirigèrent ensuite vers la bibliothèque pour le premiers cours du club photo, et un silence pesant se fit sentir tout au long du trajet. Alicia repris son rôle de guide pour indiquer à Thomas le chemin jusqu’à la salle où ils devaient se rendre. Thomas lui emboîta le pas et sentit au ton monocorde de sa voix qu’il valait mieux attendre avant de remettre les événements précédents sur le tapis.

C’était la première fois qu’il mettait les pieds dans la bibliothèque. Les grands meubles de bois qui composait les rayonnages, ainsi que la moquette rouge amarante, donnait un aspect très ancien à cet endroit. Les nombreuses tables au milieu de la pièce rajoutaient à ce décor une ambiance d’évasion et de mystère. Contrairement au gigantisme de l’architecture du reste du lycée, la bibliothèque était plus renfermée, plus intimiste, et le silence qui y régnait invitait à la contemplation et la rêverie.

Alicia et Thomas empruntèrent un escalier en colimaçon pour gagner le premier étage. À entendre les marches craquer sous ses pieds, Thomas se rendit compte que la bibliothèque était peut-être plus vieille qu’il ne l’imaginait. Arrivé au premier étage, celui-ci suivit Alicia qui marchait avec hâte vers le fond de la pièce. Au bout, il aperçut une porte en bois entreouverte d’où s’échappait un flot inaudible de conversations. Alicia entra la première, talonnée par Thomas. À l’intérieur, il découvrit un petit groupe de personnes assis sur des chaises disposées en arc de cercle, face à M. Spillman qui se tenait assis tout en décontraction sur le dossier de sa chaise, un pied sur l’assise, devant un large tableau vert.


— Vous voilà ! s’exclama-t-il. Nous sommes désormais au complet.


Alicia vint s’asseoir sur l’une des deux chaises qui restaient libres. M. Spillman s’adressa à Thomas et lui demanda de fermer la porte, à la suite de quoi il vint s’asseoir sur la seule chaise inoccupée, à l’opposée d’où se trouvait Alicia.


— Bonjour à tous ! Toutes les têtes que je vois me disent plus ou moins quelque chose, donc vous êtes déjà au courant que je suis M. Spillman, mais vous pouvez m’appeler Ted pendant ce cours. C’est bien le seul privilège que je peux vous accorder, hormis peut-être de vous mettre de meilleures notes pour celles et ceux que j’ai en cours.


Un léger silence flottait dans l’air, tandis qu’Alicia esquissait un rictus.


— Non, évidemment c’est une blague. Vous pouvez bien sûr m’appeler Ted, mais je ne pourrais rien pour vos notes, j’en suis navré.


Les regards de Thomas et d’Alicia se croisèrent et celle-ci fut prise d’un léger rire.


— Nous serons ensemble pendant quelques après-midis pour ce club photo. Vous n’avez certainement pas tous le même niveau de connaissance à ce sujet, c’est pourquoi ce premier semestre sera consacré à vous inculquer les bases de la photographie. C’est un passage obligé avant de vous consacrer au projet du second semestre, que je garde encore secret. Pour ceux qui étaient là l’année dernière, je ne vous demanderai pas de réapprendre ce que je vous ai enseigné l’année dernière, mais tâchez de vous remettre à niveau si vous pensez avoir quelques lacunes. Pour tous les nouveaux, vous viendrez me voir à la fin de cette séance pour que je vous distribue la bible.


M. Spillman se rendit alors vers une table dans le fond de la pièce , où se trouvait une épaisse pile de feuilles. Pendant ce temps, le silence avait laissé place au léger bruit de quelques chuchotements. Il prit un petit tas et revint s’asseoir de la même manière qu’auparavant.


— Rien de religieux là-dedans, c’est le petit nom que j’ai donné à ce guide, sourit-il. Vous ne serez pas évalué sur la théorie, seulement sur la pratique. Mais il est nécessaire de connaître ce qui se trouve dans ces pages pour pouvoir appréhender de la meilleure manière ce qui vous attendra au second semestre. Pour tous les anciens, vous pouvez bien évidemment vous référer à la bible de l’année dernière si besoin, c’est exactement la même.


À cet instant, Alicia leva la main.


— Oui, Alicia.

— Monsieur, Thomas ne va pas en avoir besoin, il habite chez moi donc je pourrais lui passer mon exemplaire.

— Excusez-moi, lequel d’entre vous est Thomas ? demanda-t-il.

— C’est moi, indiqua Thomas en levant la main à son tour.

— Et bien Thomas, te voilà dispenser de nouvelle bible. Si l’un des anciens souhaite un exemplaire tout neuf, qu’il vienne me faire signe tout à l’heure.

— Nous n’avons que peu d’heures à passer ensemble, et croyez-moi, le temps passe vite. Je vous demanderai donc d’assimiler chaque leçon avant de venir pour qu’on puisse en discuter tous ensemble ici. Aujourd’hui, on fera bien évidemment une entorse à cette règle, mais il est important que ce soit le cas pour toutes les prochaines fois.


* * *


Alors que James continuait de regarder le match de l’équipe locale de football américain sur la télévision, et que Tracy était à table en train de consulter son ordinateur, Thomas se leva du canapé, salua ses deux parents d’accueil, puis monta les escaliers. Arrivé sur le palier, il se dirigea dans la salle de bain. Quelques minutes plus tard, une fois lavé, il toqua à la porte de la chambre d’Alicia. (Celle-ci avait l’habitude de monter se coucher quelques minutes avant tout le monde, pourtant Thomas entendait parfois du bruit au-delà du mur qui séparait sa chambre de celle de la jeune fille, signe qu’elle était toujours éveillée.)


— Entre, dit-elle à travers la porte.


Thomas entra et découvrit pour la première fois la chambre d’Alicia. Il n’avait aperçut l’intérieur qu’en partie lorsqu’Alicia ouvrait la porte pour en sortir ou entrer, et n’avait pas chercher à la découvrir plus tôt, par respect de son intimité. La chambre d’Alicia était assez banal, similaire à celle de Thomas, à ceci près que des tournevis et des composants informatiques traînaient sur son bureau, à côté d’un caisson à tiroirs transparents qui semblaient en être remplis.


— Excuse-moi pour le bordel, dit-elle en rangeant les quelques affaires qui traînaient.


Elle était habillée d’une simple nuisette rose pale, signe qu’elle n’allait sans doute pas tarder à se mettre au lit.


— Tiens, dit-il en tendant à Thomas un épais tas de feuilles agrafées. Voilà la bible.

— Merci, répondit Thomas. Dis moi, je peux te poser une question ?

— Bien sûr, qu’est-ce que tu veux savoir ?

— Pourquoi tu es si différente avec moi qu’avec tout le reste du lycée ?


Le visage d’Alicia se ferma et elle alla s’asseoir sur le bord de son lit.


— Je ne t’ai jamais vu aussi joyeuse avec les autres, continua Thomas. On dirait que tu les évites.


Alicia prit alors la tête dans ses mains.


— Désolé, c’était idiot, ça ne me regarde pas, s’excusa-t-il tout en prenant la direction de la porte.

— Non, reste, dit Alicia, avec quelques faibles sanglots dans la voix. Viens t’asseoir.


Thomas posa la pile de feuille sur le bureau d’Alicia, et vint s’asseoir à l’autre extrémité de son lit.


— Tu sais, je n’ai jamais été très en confiance autour de tout ces gens. Le lycée, c’est pas une partie de plaisir pour tout le monde.

— Mais tu avais l’air tellement sûre de toi ces derniers jours, jusqu’à ce midi en fait. Tu sembles maintenant si timide au contact des autres,

— Si je suis en confiance avec toi, c’est simplement parce que tu es le plus vulnérable de nous deux. Tu débarques dans un nouveau pays, tu es loin de tes parents, sans repères, alors c’est très facile pour moi d’être une boussole et de paraître confiante face à toi, mais c’est qu’une façade très facile à tenir.

— J’imaginais que tu faisais le chaperon pour ma première semaine de cours mais que tu aurais eu envie d’aller retrouver des amis ensuite.

— J’ai pas d’amis ici, à part toi bien sûr. Je veux dire, l’année dernière j’étais toute seule, et j’ai appris à m’adapter, dit-elle en essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues.

— Je suis désolé

— T’inquiètes, tu n’y es pour rien. Et je suis plutôt contente de savoir que tu es là, sourit-elle.

— Et ce garçon, Peter, il t’emmerdait aussi l’année dernière ?

— Oui, mais bon, je ne suis pas la seule dans ce cas. Et puis, il me reste plus que deux ans à faire ici, donc j’encaisse. C’est un sale moment à passer, mais avec toi c’est un peu plus supportable.

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