Une nouvelle semaine débutait pour Thomas, et pour la première fois depuis la maison des Walker il arrivait un lundi dans un endroit qu’il connaissait déjà. Tout au long de ces derniers jours il avait commencé à prendre ses habitudes, à découvrir le campus, et il était ravi d’entamer aujourd’hui une routine qui serait sienne pendant quelques mois. Après son cours de maths, Thomas se dirigea en compagnie d’Alicia vers le réfectoire. Il prit une assiette au stand « Cuisines du monde », ainsi que des couverts, une bouteille d’eau et une pâtisserie, comme il commençait à en avoir l’habitude. La chaleur extérieure étant agréable en ce jour de septembre, Thomas décida d’aller poser son plateau dehors, sur l’une des tables en bois. Alicia, visiblement réfractaire à cette idée, se laissa convaincre par le regard implorant de Thomas, qui ne comprenait pas d’ailleurs pourquoi celle-ci insistait toujours à manger dans l’un des recoins du réfectoire, à l’écart de l’ambiance générale.

Une fois que celle-ci l’eût rejoint à table, Thomas lui tendit un sourire puis plongea sa fourchette dans son plat. Le soleil brillait de mille feux tandis que les quelques parasols installés dehors tentaient tant bien que mal de faire de l’ombre sur les tables en bois. Thomas s’était désormais fait à la chaleur environnante, et il prenait maintenant plaisir à sortir dehors.

Une fois de plus, du raffut se fit entendre à l’intérieur du réfectoire. Un mélange de bruit de chaise et de plateau très distinctif des bruits de conversations environnantes, qui cessa quelques dizaines de secondes après avoir commencé.

— Impatient de commencer le club photo ? demanda Alicia

— Oui, en plus c’est très différent de ce qu’on fait en France. On a plutôt l’habitude de continuer les cours l’après-midi au lieu de faire une activité comme ici, répondit Thomas.

— J’espère que ça…

Alicia fut interrompu par un groupe de jeunes venu à leur rencontre. Sans demander, l’un d’entre eux, aux cheveux bouclés, vint s’asseoir à côté d’Alicia.

— Bah alors Ali chérie, je ne t’ai pas vu la semaine dernière. Tu m’as manqué tu sais.

— Casse-toi, coupa Alicia.

Interloqué, Thomas assistait sans rien à dire à la scène qui se déroulait devant ses yeux. Le garçon avait une brochette d’élèves à ses côtés, dont il devait probablement être le chef de bande. Il se tenait sur le banc de la table avec une décontraction certaine et commençait à jeter son dévolu sur le plat de frites d’Alicia.

— Lâche mes frites, insista-t-elle.

— Allez, fais pas l’égoïste.

Thomas retrouva ses esprits et se rappela les mots qu’avait eu James à son arrivée au domicile familial. « Je te demande donc de veiller sur elle. Comme un grand frère. ». « J’ai horreur des garçons qui tournent autour de ma fille ». Il jeta un oeil à Alicia, et vit que son expression faciale avait changé, avec un mélange de peur et de colère dans le regard.

— Laisse nous tranquille, s’exclama Thomas, interrompant aussitôt une énième tentative de vol de frites.

Le garçon se tourna alors vers lui, visiblement surpris par cette résistance qu’il n’attendait pas.

— Qu’est-ce que t’as toi ? Et puis, t’es qui au fait ?

— Laisse nous tranquille, répéta Thomas en se levant, sur un ton plus grave. Dégage.

Il était rempli de peur, mais voulait faire bonne figure auprès d’Alicia.

— T’es pas d’ici toi, hein ? T’es un petit nouveau c’est ça ?

Le garçon se tut pendant quelques instants, intrigué autant qu’amusé par le fait que Thomas lui tienne tête. Il s’approcha alors de lui, et Thomas en fit de même. Celui-ci se découvrait un courage qu’il n’aurait jamais décelé, l’adrénaline avait désormais pris le pas sur la peur qui était pourtant toujours bien présente.

— Dégage, renchérit Thomas avec insistance, les yeux dans les yeux avec l’adolescent, qui était légèrement plus petit que lui.

Debout, face à face l’un de l’autre à seulement quelques centimètres, un jeu de regard se déroula pendant quelques secondes, sous les yeux d’une assistance totalement muette. Autour, toutes les conversations avait cessé, et personne n’osait reprendre le cours de son repas, de peur de perdre une miette de ce spectacle.

— J’en ai pas fini avec toi le nouveau. On se revoit bientôt, histoire que je t’accueille comme il se doit.

L’adolescent s’écarta et rejoignit sa bande, et tous partirent en direction du gymnase. Thomas les suivit du regard pendant quelques mètres, et aperçut un autre garçon de la bande faire valser la casquette d’une jeune fille d’un revers de main. Il se rassit face à son plateau, et regarda Alicia.

— Merci, dit-elle d’une voix timide.

— C’est qui ? Tu le connais ? demanda Thomas.

— Peter Johnson, un con. Il s’amuse à emmerder les gens, c’est son passe-temps, à lui et à sa bande.

— Mais personne ne se plaint ?

— Ça a déjà été fait, mais il sait se mettre les bonnes personnes dans la poche, et puis il a de bons résultats scolaires apparemment, donc c’est peine perdu.

— C’est pour ça que tu veux pas manger à la vue de tous ?

— Moi je m’en fous, j’ai l’habitude maintenant. Mais je voulais pas qu’il s’en prenne à toi. Tu viens à peine d’arriver et c’est le genre de truc qui donne une très mauvais image du lycée.

Alicia plongea alors la main dans ses frites.

— Il a vu que tu traînes avec moi, et en plus que tu es nouveau, il va pas te lâcher avant d’avoir eu ce qu’il veut.

— Et qu’est-ce qu’il veut à ton avis ?

— Se venger, tu lui as fait affront en t’interposant. Il a la lâcheté de s’en prendre à plus faible que lui, plus timide, et il ne s’attendait certainement pas à ce que tu répliques.