Comme chaque année, M. Washington avait autorisé les élèves à quitter le lycée après la pause déjeuner, annulant ainsi les activités culturelles et sportives de l’après-midi. Pourtant, quelques mains s’affairaient aux abords du gymnase. Un homme supervisait le déchargement d’un camion garé devant l’entrée, alors que de nombreuses personnes en bleu de travail fourmillait à l’intérieur, faisant des allers-retours incessants entre l’arrière du camion et le gymnase.

Le spectacle qui se mettait en place, M. Washington l’apercevait depuis son bureau, une tasse de café à la main. La première semaine de cours était terminée depuis quelques heures, mais lui n’avait pas fini sa journée pour autant. Malgré les années qui passaient, la soirée qui se préparait devant ses yeux était toujours pour lui un moment particulier. Il gardait un souvenir ému des bals de rentrée auxquels il avait pu participer étant adolescent, et souhaitait que la féérie qui entourait ce moment réunissant l’ensemble du lycée soit présente chaque année. D’autant plus pour les élèves étrangers qui n’étaient de passages que pour un an, et qu’il fallait donc impressionner.

* * *

Alors que le jour commençait doucement à décliner, Thomas se leva de sa chaise de bureau, puis rangea stylo et cahier. Il venait de finir ses devoirs et pouvait désormais pleinement profiter de son premier week-end de repos. Pourtant, il était stressé par ce qui l’attendait ce soir. Il avait beau avoir côtoyé un grand nombre de lycéens durant cette première semaine, de près ou de loin, il avait conscience que ce soir serait bien différent de la routine quotidienne à laquelle il commençait petit à petit à s’habituer. Ce soir, c’était le bal de rentrée, aussi appelé « homecoming ball », et c’était certainement l’un des moments que Thomas attendait le plus de toute sa scolarité. Pour les élèves de Junior Year comme lui, c’était l’occasion d’assister à une fête grandiose réunissant tout le lycée, mais pour Thomas c’était bien plus que ça. C’était une manière de toucher un peu plus du doigt son rêve américain, de profiter d’une soirée dont il avait vu bon nombre à travers des films. La seule, le bal de fin d’année étant réservé aux élèves de dernière année, la Senior Year.

Thomas ouvrit son placard, et en sortit la tenue qu’il avait emmené spécialement pour l’occasion. Il attrapa une veste de costume bleue, une chemise blanche assortie d’un noeud papillon ainsi qu’un pantalon du même bleu que la veste, et déposa le tout sur son lit. Au même moment, Tracy monta les escaliers puis entra dans la chambre d’Alicia. Celle-ci, sur le pas de la porte, s’adressa à Thomas.

— T’as toute la salle de bain pour toi, j’y suis déjà allée.

Thomas la remercia et, tandis qu’Alicia ferma la porte de sa chambre, ouvrit la porte de la salle de bain, dont il tourna ensuite le loquet. Il prit une douche, se brossa les dents, puis retourna dans sa chambre pour se changer, là où il serait plus à l’aise. Il enfila son pantalon, mit une ceinture, boutonna sa chemise et suspendit sa veste sur sa chaise de bureau. Il se dirigea ensuite de nouveau vers la salle de bain. Il sortit un pot de pâte coiffante de l’un des tiroirs sous son lavabo et l’ouvrit, puis il prit une noisette de pâte, la chauffa dans la paume de ses mains et brossa ses cheveux de quelques gestes. Il aspergea ensuite sa nuque et ses poignets de parfum et retourna à sa chambre. Sur le chemin, il entendit du bruit dans la chambre d’Alicia, sans pour autant savoir qu’elle était la cause de cette agitation. Arrivé dans sa chambre, il attrapa son noeud papillon défait et sa veste qu’il enfila tout en descendant l’escalier.

Assis sur le canapé à regarder la télé, James se retourna en entendant le bruit des marches.

— Prêt ? demanda-t-il à Thomas

— Oui, mais un peu stressé, balbutia légèrement Thomas.

— T’inquiète pas, tu vas voir ça va être super.

Tracy sortit de la chambre d’Alicia et prit part à la conversation.

— Alicia n’en a plus pour très longtemps.

— Ah les femmes, s’amusa James.

Elle descendit les marches de l’escalier et se rapprocha de Thomas.

— Oh, tu es très élégant, observa-t-elle. Mais laisse-moi faire ce noeud papillon.

— Je veux bien, répondit-il. Merci.

Tandis que Tracy arrangea quelques derniers détails sur son col de chemise, un bruit de porte se fit entendre de nouveau à l’étage. Le léger craquement des marches retint l’attention de Thomas, James et Tracy qui fixèrent l’escalier. À mesure qu’Alicia descendait, les pans d’une robe noire apparaissaient, flottants au-dessus de chevilles légèrement visibles. Thomas était surpris de voir son amie, qu’il considérait presque comme sa soeur, vêtue de cette façon. Elle, qui était plutôt habituée à porter un jean et le bomber rouge bordeaux du lycée, était resplendissante dans cette tenue. Thomas prit quelques instants pour l’observer avec attention. La robe était assez ample, mais resserré au niveau de la taille, pourvue de large bretelle et d’un discret décolleté.

— Tu es très jolie, assura Thomas.

— Merci, souria-t-elle. Tu n’es pas mal non plus.

Alors qu’Alicia détournait le regard de Thomas, visiblement troublée par le compliment qu’elle venait de recevoir, James mit la main sur les clés de voiture posées sur la table de la salle à manger.

— En voiture, s’exclama-t-il.

Toute la famille se dirigea vers le garage, où le 4x4 attendait. Thomas ouvrit l’une des portes arrière et la tint pour laisser galamment Alicia s’installer à l’intérieur. La tenue un brin cérémoniel de Thomas lui faisait pousser des ailes, il se sentait en confiance accoutrée de cette façon. Si bien que la crainte qu’il ressentait quelques minutes auparavant s’estompait petit à petit. Ne restait alors dans sa tête plus que l’excitation d’une bonne soirée qui s’annonçait.

Quelques minutes après leur départ de la maison, Tracy, assise devant sur le siège passager, se retourna en direction des deux adolescents assis à l’arrière.

— J’ai un petit quelque chose pour vous, annonça-t-elle avec un grand sourire. Ça devrait vous plaire.

Elle sortit alors de son sac deux petites boîtes en bois, de tailles différentes. Elle tendit la petite boîte à Thomas et la plus grande à Alicia.

— Allez-y, ouvrez, indiqua-t-elle, toute contente de la surprise qu’elle venait de faire.

Thomas souleva alors le couvercle de la boîte et aperçu une petite boutonnière à l’intérieur. Il la prit en main puis jeta un oeil à Alicia, qui ouvrit au même moment sa boîte. Elle en sortit un bracelet en tissu orné de quelques fleurs, les mêmes que celle qui décorait la boutonnière qu’il avait en main, un petit bégonia.

— Bon, je sais qu’on fait plutôt ça pour les amoureux, continua Tracy. Mais c’est la première fois que tu vas aller au bal accompagné, Alicia, alors avec ton père on s’est dit que c’était tout de même de circonstances.

— Merci, répondit Alicia toute gênée.

— Merci, renchérit Thomas, gêné lui aussi par cette attention.

Après quelques secondes de flottements, où un silence de plomb s’installa dans la voiture, Tracy fit une remarque, interloquée.

— Alors, qu’est-ce que vous attendez ?

Le silence une fois rompu, Alicia et Thomas s’activèrent à ajouter ce cadeau surprise à leur tenue. Alicia enfila son bracelet tandis que Thomas ajusta la boutonnière à sa veste, non sans difficulté.

— C’est pas vraiment comme ça que ça devait se passer, mais soit.

Tracy détourna alors sa tête pour regarder devant elle. À l’approche d’un grand bâtiment illuminé, James, jusqu’ici très silencieux, ajouta avec enthousiasme :

— Nous y voilà !