Chapitre 11 - M. Spillman

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Thomas suivit alors Alicia, et tous deux traversèrent le grand couloir en direction de la salle de classe B22. Il s’interrogeait beaucoup sur « Art de la communication », l’une des options qu’il avait choisi quelques semaines auparavant. L’intitulé de cette matière était assez vague pour en être intriguant, « Art » était un bien grand mot et « Communication » l’était tout autant. La documentation qu’il avait trouvé pour présenter cette matière, dont un court résumé figurait entre celui des options « Art culinaire » et « Conceptions technologiques », ne l’avait guère aidé. Et l’incertitude que lui procurait ce vague intitulé se mêlait au sentiment d’abandon qu’il anticipait de plus en plus à mesure qu’il avançait, suivant Alicia dans les couloirs du lycée.


Si elle se dirigeait vers la salle B22, c’était surtout pour y accompagner Thomas. Elle n’assisterait pas à ce cours, qui ne faisait pas partie des options qu’elle avait choisi, mais consciente de l’inconfort que peux constituer une rentrée, elle tenait tout de même à être présente le plus possible pour son frère d’accueil.


— On y est, la salle est au fond de ce couloir, dit-elle en désignant l’entrée d’un bâtiment attenant au couloir principal. Le cours suivant est dans le même bâtiment donc tu devrais facilement trouver.

— Merci, répondit Thomas.

— Je te retrouve tout à l’heure ici pour le cours de maths. T’inquiète, ça va bien se passer, rajouta-t-elle.


Alicia avait effectivement remarqué qu’une pointe de stress commençait à gagner Thomas. Il pensait maîtriser l’anglais, c’était en tout cas l’un des meilleurs élèves dans son lycée en France. Mais ici, entouré de gens pour qui c’était la langue maternelle, dont les conversations s’échangeaient à vitesse grand V, Thomas craignait d’être vite perdu. Il quitta Alicia, lui fit un signe de la main, puis se rendit compte que le moment qu’il vivait à l’instant ressemblait de façon troublante à sa rentrée de primaire, quand sa mère l’avait amené pour son premier jour. Il avait grandit depuis, mais se retrouvait finalement dans la même situation, à ceci près qu’il retrouverait sa « maman » bien plus vite cette fois-ci.


Thomas prit alors la direction du bâtiment où un grand B peinturluré quelques mètres en hauteur ne faisait aucun doute sur le chemin qu’il prenait. Après tout, il n’y avait aucune raison qu’il se perde., tout semblait bien indiqué. Il entra dans le bâtiment, et suivit des élèves. Après quelques secondes à balayer sa tête de gauche à droite en quête du numéro 22, il l’aperçu gravé sur une simple porte mélaniné qui était grande ouverte. En s’approchant, Thomas remarqua avec surprise que seulement deux personnes étaient déjà assises. Il entra par l’arrière de la salle puis s’installa à son tour, au premier rang, ouvrit son sac et mit la main dedans afin d’en sortir de quoi écrire. La salle se remplit rapidement après son arrivée, et très vite seules les places du fond restèrent inoccupées.


Un homme entra quelques secondes plus tard, s’adressa à l’assistance d’un bref « Bonjour, bonjour » enthousiaste et vint poser sa serviette en cuir abîmée sur l’épais bureau à gauche du tableau noir. Il plongea la main dedans et en sortit une petite boîte métallique, de la taille d’un paquet de cigarettes. Il ouvrit la boîte métallique et attrapa l’un des objets cylindriques qui était à l’intérieur. Il se retourna face au tableau puis repris la parole.


— Bienvenue dans votre cours d’Art…


Il avança de gauche à droite, bougeant son bras droit avec de grandes gestes. Quelques légers crissement se firent entendre dans la pièce.


— de la Communication.


L’homme se retourna, puis agita ses mains une nouvelle fois, les écartant comme lorsqu’on commence une brasse.


— S’il vous plaît, pourriez-vous écarter vos tables pour laisser un chemin libre au milieu, demanda-t-il.


Les élèves concernés s’exécutèrent aussitôt et libérèrent un espace au milieu de la pièce, la séparant en deux. Thomas, assis près de la droite du tableau et du mur, regarda cette agitation d’un oeil intrigué. Après un remerciement, l’homme continua son discours.


— Je suis M. Spillman, et c’est avec moi que vous apprendrez à manier l’art de la communication durant ce semestre. Mais les plus attentifs d’entre vous le savent déjà.


Pendant qu’il parlait, Thomas remarqua que la tension visible sur le bas de sa chemise bleue trahissait un léger embonpoint.


— L’objectif de ce cours est double : vous apprendre à mieux vous exprimer, et vous permettre de déchiffrer les discours pour faire de vous des jeunes gens éclairés.


M. Spillman, posté au milieu de la salle, tournait sur lui-même en quête constante du regard de ses élèves, comme un humoriste sur scène cherche à capter l’attention de son public.


— Vous êtes la génération de demain, celle qui doit être encore plus intelligente que la précédente, celle qui peut et doit faire bouger les choses. Mais pour ça, il vous faut savoir exprimer vos idées, et ne pas corrompre votre jugement par des discours mensongers/truqués. C’est pourquoi tout au long de ce semestre, nous allons voir quelques mécanismes de discours que vous pourrez mettre plus tard à votre avantage.


M. Spillman retourna tranquillement devant son bureau, et s’assit dessus.


— Alors, dites moi ce que vous inspire le terme de communication.

— Conversation, dit une voix timide au milieu de la salle de classe

— Exact, répondit M. Spillman tout en cherchant du regard un autre élève qui oserait prendre la parole.

— Marketing

— Oui, bien sûr, en quelques sortes. Autre chose ?


Un léger silence se fit sentir, alors que M. Spillman continuait d’inspecter la classe en quête d’une personne qui rebondirait sur les deux autres participants. Thomas ne se sentait pas de participer pour le moment, il n’était pas encore assez en confiance pour énoncer une idée à toute la classe et dévoiler son accent de « frenchie ». Puis une main se leva, et une voix s’éleva.


— Manipulation, dit un jeune garçon portant d’épaisses lunettes rectangulaires.


Thomas entendit de petits ricanements provenir du fond de la classe, auxquels M. Spillman ne porta pas attention.


— Intéressant, répondit-il. Et pourquoi ça ?

— Vous venez de le dire, il faut faire attention aux discours mensongers. La communication peut donc parfois être une manipulation.

— Tout à fait, c’est justement pour ça qu’il est important pour vous de faire la différence entre la vérité et le mensonge, entre la sincérité et la manipulation.


* * *


Thomas sortit soulagé de son premier cours dans son nouveau lycée. Soulagé, car il n’avait pas eu de grandes difficultés à comprendre le professeur et les réponses des élèves. Soulagé aussi, car il appréhendait ce premier cours, mais fut agréablement surpris par la présence de M. Spillman. Ce monsieur d’un certain âge, à la barbe presque hirsute, ne lui avait pourtant pas fait forte impression lors de sa présentation dans l’auditorium, mais le voir à quelques mètres seulement, dans cette petite salle de classe, avait bouleverser l’opinion préconçue qu’il en avait. M. Spillman était sage, attentif, et Thomas avait déjà hâte d’assister à son prochain cours d’ « Art de la Communication » la semaine prochaine. Il lui fallait désormais rejoindre le deuxième cours de la matinée, avant de pouvoir retrouver Alicia dans le hall principal pour le cours de maths.

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