Chapitre III - "Oria"

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 Le sol se mit à trembler et de grands cubes métalliques jaillissèrent du sol pour former un terrain relativement proche à celui d’une ville en ruine, le même genre d’environnement dans lequel il nous serait possible de rencontrer des Yajuu d’ici peu. Au milieu du champ de bataille, une grande lumière bleue prit lentement la forme de l’adversaire d’Oria. Une Reine de classe 5. Un monstre d’une quinzaine de mètres à la forme proche d’une arachnide, avec des dizaines de tentacules sur le dos. Pour un entraînement, les Yajuu que l’on affrontait étaient des hologrammes augmentés avec une interface physique, mais ça n’enlevait rien à leur force et à leur apparence imposante. C’était encore plus vrai pour le monstre qui venait d’apparaître devant ma soeur. Si d’habitude, les Yajuu étaient composés d’une matière noire solide et lisse, entrecoupée de raies d’énergie provenant de leur coeur en Chromion, celui-ci était différent. Le coeur devait être si profond qu’aucune trace colorée n’émergeait de la peau du classe 5. Seuls ses yeux et l’intérieur de sa bouche circulaire parsemée de larges dents reluisaient d’une couleur grenat. De plus, à l’inverse des autres Yajuu, la surface de ce monstre était couverte de milliers de grandes pointes, particulièrement concentrées sur ses deux premières pattes avant.

 Oria, le regard fixé sur son gigantesque adversaire, décida de prendre l’initiative. Elle grimpa en un éclair sur l’un des blocs, s'agrippant à ce qui devait simuler des fenêtres. Une fois arrivée sur le toit, elle se mit à courir et à sauter d’un bloc à l’autre avec aisance malgré les nombreux mètres séparant chacun d’eux. Le monstre, situé au milieu de l’arène, essayait tant bien que mal de la suivre du regard, mais il ne pouvait pas tourner sur lui-même assez rapidement pour se placer face à elle. Une fois placée à l’arrière du Yajuu, Oria s’accroupit sur le rebord du pilier où elle se trouvait pour se propulser directement sur le dos de son adversaire. L’impulsion créée par son saut fit brièvement trembler l’air, cependant, malgré la vitesse à laquelle Oria se rapprochait de sa cible, elle fut violemment interceptée en plein vol par l'un des tentacules dorsaux qui l’envoya heurter le bloc dont elle était partie, avant de retomber lourdement sur le sol. Le corps d’un humain normal aurait été ravagé et éparpillé par un tel coup, mais Oria, à la base du pilier, s’était déjà relevée. Elle essuya d’un coup de manche le filet de sang qui sortait de sa bouche. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas été blessée pendant une simulation. La vue du sang l’excita et elle afficha un large sourire, un sourire de démence. Ce combat l’exultait au plus haut point car elle savait déjà quelle en serait l’issue. Elle se délectait de son envie de tuer pour devenir plus puissante, et plus son adversaire était de taille, plus sa folie l’emportait…

 Forcée de constater que sa tentative d’attaque arrière s’était avérée être un échec, elle se rabattit sur une attaque frontale du sol. Si la finesse et la stratégie ne l’emportait pas, rien ne valait une bonne attaque directe. Le Yajuu avait eu le temps de se tourner vers elle. Après un cri métallique strident, il amorça un coup avec sa patte avant droite en la soulevant d’une bonne quinzaine de mètres. Alors que le membre immense s’approchait à une vitesse dangereuse, Oria ne semblait pas encline à esquiver, mais se préparait plutôt à frapper. À l’instant exact où l’attaque s’abattit sur elle, son poing vint s’écraser sur l’extrémité de la patte de son adversaire. Même à l’intérieur de la salle de contrôle, pourtant constituée du même métal qui composait la salle d'entraînement, la puissante onde de choc engendrée par cet impact se fit ressentir. Le coup du Yajuu aurait pu réduire un véhicule blindé en fine lames de métal, mais c’était sans compter la force de son adversaire. Elle avait pris l’avantage en envoyant l’avant du corps du monstre voltiger. Le classe 5, qui imposait jusqu’à lors une supériorité écrasante, se trouvait désormais dans une posture difficile, n’ayant que ces deux pattes arrières encore au sol et toute sa partie ventrale exposée. Sans attendre ni ressentir la moindre pitié pour son adversaire, Oria se jetta à nouveau vers lui et propulsa son poing dans l’abdomen de la vulnérable petite bête, qui fut oblitérée par cet ultime assaut. La matière noire visqueuse contenue à l’intérieur de cette dernière tapissa tout un coté du dôme. Le peu qui restait du monstre se désagrégeait lentement en petits polygones bleutés. Oria, qui était retombée sur le sol après ce saut impressionnant, s’était couchée sur le dos au milieu de la pièce. Alors qu’elle reprenait encore son souffle, elle laissa échapper un rire frénétique de satisfaction. Une fois de plus, elle était la prédatrice.

*****

 Je sortis de la cabine en courant pour la rejoindre. Le bruit résonant de mes pas croisa son rire dément. À quelques mètres d’elle, je m’arrêtai, figé par le regard qu’elle me lança. Un regard empli de colère. C’est comme si elle renvoyait toute sa frustration sur les combats en simulateur, s’exaltant de manière proportionnelle à la force de son adversaire.

“ Oria… “

En entendant ma voix, son visage se détendit et laissa place à celui auquel j’étais bien plus habitué. De retour avec son sourire habituel, sa voix s’éleva avec force.

Oria: “ C’était énorme ! “

“ … “

Oria: “ Haru ? “

“ Tu es effrayante quand tu t’énerves… “

Oria: “ Tu sais… Je ne suis pas vraiment moi-même pendant les combats. Mais si je devais me poser la question, je dirais que c’est plus une sorte de joie super intense que de la colère. En soit, le Yajuu n’a rien fait pour mériter que je l’abatte sans même y réfléchir, mais cette sensation qui traverse mon corps à chaque fois qu’un de mes coups l’atteint… Je ne m’en lasserais jamais. “

“ Tu veux dire que tu n’es jamais en colère quand tu combats ? “

Oria: “ Franchement, je ne pense pas. La dernière fois où j’ai été en colère dont je me souvienne c’était quand notre père s’acharnait à essayer de m’empêcher d’utiliser mes pouvoirs… “

“ Faudrait faire gaffe à ce que ça ne devienne pas addictif quand même… Tu pourrais mettre ton équipe en danger si tu pars combattre seule. “

Oria: “ C’est justement parce que je peux me donner à fond ici que j’en profite au maximum. Quand j’aurai une équipe, je me raviserai. “

“ Bref… Sinon, une Reine de classe 5… Oria, est-ce que tu te rends compte que ça fait de toi seule l’équivalent d’au moins deux ou trois équipes complètes de bon niveau… “

Oria: “ C’est exactement ce que je disais. En utilisant nos pouvoirs au maximum, on peut devenir des héros, voire mettre un terme définitif à l’infection Yajuu. Aucun d’entre eux ne nous résiste. Je ne comprends pas la réaction de notre père… “

“ Ce qui effraie papa, c’est que tu perdes le contrôle. Vu ta puissance, si ça venait à arriver, c’est l’humanité qui serait en péril. “

Oria: “ Tant que tu seras avec moi, ça n’arrivera pas… “

Pendant notre dialogue, notre père avait eu le temps de nous rejoindre.

Tensei: “ De toute manière, à partir de maintenant, la seule chose que je puisse faire c’est avoir confiance en vous et vous souhaiter bonne chance pour la suite. Vous êtes libres, la porte du centre est grande ouverte. Vous avez rendez-vous à l’Académie à quinze heures pour rencontrer vos équipes respectives et obtenir votre arme. J’ai également placé 100.000 crédits sur chacune de vos cartes. C’est le mieux que je puisse faire, vous devrez gagner le reste vous même. “

“ Tu restes à Central Spire ? “

Tensei: “ Oui. J’ai encore beaucoup à faire, mais vous pouvez passer de temps en temps si ça vous tente. “

Oria: “ Je pourrai refaire des simulations ? “

Tensei: “ Bien sûr, ça serait du gâchis de ne plus utiliser la salle. “

“ Tu es sûr ? Ça ne risque pas de faire empirer le contrôle de son pouvoir. “

Tensei: “ Non, ne t’en fais pas, ça n’a aucun rapport. Si ça avait été le cas, ça ferait bien longtemps que je lui aurais interdit d’en faire. Je vous expliquerai le fonctionnement de votre pouvoir le jour où je n’aurai pas d’autre choix. Dans les cas précédent que j’ai pu observer, un hybride qui comprend son pouvoir est tenté d’aller y chercher plus de puissance. “

Oria se releva et se s’agrippa à mon bras gauche. Elle me regarda avec des yeux emplis d’impatience. Je posai ma main sur son crâne et elle souria en appréciant les caresses. J’avais également hâte de sortir, je ne pouvais plus attendre.

“ Bon, et bien c’est parti, à plus tard papa… “

 Debout devant la grande porte de Central Spire, nous hésitâmes à avancer. En face de nous s’étendait une grande avenue bondée de monde. Au centre, quelques véhicules tentaient de traverser la foule. Les bruits de leurs klaxons et des cris des conducteurs se mélangeaient aux voix puissantes des commerçants qui vantaient leurs produits dans des échoppes situées le long des bâtisses. Malgré la pluie battante, les gens ne se pressaient pas. Ils gardaient leur rythme monotone et foulaient d’un pas cadencé l’asphalte détrempé. Le quartier central de Central Spire était relativement aisé, ce qui expliquait l’allure des passants. Tous vêtus d’habits propres foncés, certains portaient même de petits chapeaux en guise d’accessoire ou des bijoux scintillants. Pourtant, on arrivait à distinguer dans la foule quelques personnes dont les revenus devaient être beaucoup plus modestes. Sur les côtés de la route, les bâtiments formaient d’immenses et sombres remparts. Les pierres volcaniques noires dont ils étaient constitués étaient par endroit redoublées d’une épaisse couche de métal, reluisant sous les gouttes de pluies qui coulaient des toits en tôle. À l’extrémité de l’avenue, de deux ou trois kilomètres de longueur, on pouvait apercevoir le bâtiment de l’Académie Ryoushi, qui semblait déjà impressionnant malgré la distance. Couplé à ce ciel grisonnant, la vue me laissa un goût amer. Un spectacle dénué de couleurs, où tout le monde marchait en silence à la même vitesse, avec pour fond sonore le bruit des moteurs et le fracas de la pluie sur la tôle des maisons.

 Je me tournai vers Oria et fus surpris de constater que ses yeux ne lui montraient pas la même chose que les miens. D’un éclat si coloré qu’ils contrastaient complètement avec le reste de la scène, ils scintillaient d’une lueur d’envie de découverte et d’aventure. Là où je voyais un ciel gris, elle voyait un espace infini. Là où je voyais un simple véhicule utilitaire, elle voyait un moyen de traverser le monde. Là où je voyais du goudron trempé, elle voyait un sol nouveau qu’elle était impatiente de fouler. Elle fixa son regard vers moi, comme pour me demander si elle avait le droit d’y aller. En guise de réponse, je lui tendis ma main. Elle posa délicatement la sienne entre mes doigts. Elle était la reine et j’étais le valet qui lui ouvrirait le chemin.

À cet instant,

sa main était encore chaude.

Ses yeux emplis de bonheur ne pouvaient voir la frigide réalité.

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