Chapitre 6 : Les pouvoirs des anciens Eternels

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J'aurais aimé le détromper, histoire de lui fermer le clapet, lui et son air suffisant. Mais pour être honnête, cela aurait été un mensonge.

Après son entrée spectaculaire, sans le moindre geste, il libéra une onde d’énergie dorée qui réduisit en poussière une trentaine de soldats du Chaos qui se trouvaient près de lui. Un Xenos, soit le plus courageux, soit le plus inconscient, fonça sur lui, arme au poing. Il n’avait pas fait deux pas que, d’un d’une main dédaigneuse, Astérion l’envoya terminer sa course une cinquantaine de mètre plus loin comme s’il s’était pris un bus de plein fouet.

Puis l’Eternel attaqua, l’épée brandie. À lui seul il semblait distordre le temps. Le premier Xenos explosa en morceaux telle une statue de pierre. Deux autres créatures connurent le même sort presque aussitôt. La lame dorée rayonnait intensément dans des parades et estocades que je n’avais jamais vues. La plupart des Xenos ne devaient même pas avoir le temps de comprendre ce qu’il leur arrivait avant d’éclater en gerbes de poussière

Xenos et Gerydïons tombaient sous ses coups, incapables de lui faire face. Lorsque deux rôdeurs tentèrent de l’assaillir, il les pourfendit en plein élan. Les bêtes tombèrent, la tête tranchée. Lorsqu’un Xenos essaya de l’embrocher sournoisement par derrière, l’agresseur se retrouva soudainement balayé par une force invisible. Alors qu’Astérion saisissait au cou un Xenos de sa main gauche, et le tuait d’une simple pression, il lança son arme avec sa main droite. L’épée traversa de part en part tous les ennemis qui se trouvaient sur son trajet avant de revenir dans la main de son propriétaire.

De son côté, il fit autant de ravage qu’elle mais à mains nues.

Une nuée de flèches fusèrent dans sa direction mais une aura dorée le protégeait et elles s’embrasèrent sans atteindre leur cible. Les armes ne l’atteignaient pas, désintégrées par l’énergie qui l’enveloppait.

En le voyant ainsi, je compris deux choses.

La première : aucun mortel normalement constitué ne pourrait faire face à… cela. La seconde révélation était évidente : si Hepiryon, son frère, se battait avec la même puissance dévastatrice, je n'aurais littéralement aucune chance face à lui. Il m’éliminerait d’un simple claquement de doigt !

Pour en revenir à la Grande Bataille, l'arrivée d'Astérion avait sans le moindre doute scellé le sort des ennemis. Les Hommes et les Elementaris, requinqués par l’arrivée surprise de leur meneur, reprirent courage. Les Elementaris se jetèrent dans la bataille sans la moindre prudence et à grand recours de cris féroces, suivis de près par leurs compagnons humains.

Infatigable, Astérion conclut rapidement l’affrontement en invoquant une tornade gigantesque. Les centaines d'ennemis encore debout se retrouvèrent à valdinguer dans les airs, tandis que ses alliés étaient épargnés par les vents. Les cadavres des rôdeurs se mirent à pleuvoir tandis que les rafales emportèrent la poussière de Xenos.

Un bref silence remplaça le tumulte de la bataille. La bataille qui avait duré huit jours sans le moindre répit était désormais terminée. Mais où était le frère d’Astérion ? Ses soldats avaient perdu du terrain peu à peu, pour finalement disparaître entièrement, et il n’était pas intervenu.

Hommes et Elementaris levèrent leurs armes vers le ciel et poussèrent des cris de joie en direction de leur dieu, savourant leur victoire dans l’euphorie. Moi-même je ne pus m’empêcher de sourire devant tant de ravissement. Astérion, de son côté, restait indifférent. Il conservait un visage de marbre tout en observant les alentours proches, puis dirigea brusquement son regard vers l'horizon, comme s'il avait senti une menace.

Si rien ne l’avait laissé prévoir, il avait pourtant raison.

À plusieurs centaines de mètres, un nuage de poussière apparut, bientôt suivi par le grondement sourd d’une multitude de pas qui martelaient le sol. L’avant-garde d’une nouvelle vague d'ennemis se dessina sous mes yeux, telle une marée de ténèbres. D’une voix charismatique qui porta sur des kilomètres, Astérion tonna :

« Humains, Elementaris, préparez-vous à faire face ! »

Tous regardaient avec horreur le nouveau danger qui s’apprêtait à se déverser sur eux. Mais les paroles de leur meneur les tirèrent de leur stupeur. Femmes et hommes reformèrent leurs rangs. Même si la moitié des leurs étaient morts, seule la détermination se lisait sur le visage. Les Elementaris reprirent également leur position, se plaçant en première ligne.

Lorsque l'armée ennemie s’approcha, je vis qu'elle était menée par un Gerydïon blanc plus massif que les autres. Si la créature était effrayante avec ses longues griffes recourbées, ses crocs proéminents et ses pupilles rouges meurtrières, celui qui la montait l'était encore plus.

C’était Hepiryon, le frère jumeau d’Astérion. Son charisme intensifiait tous nos sentiments les plus sombres et nos peurs les plus profondément enfouies, nous renvoyant à l’état de simples enfants effrayés du noir. Ses longs cheveux bruns flottaient au vent. Sa peau mate s’associait parfaitement aux globes d’obscurités dépourvues d’iris et parsemées d’étoiles qui lui servaient d’yeux. Je pouvais sentir la puissance démoniaque de cet être immortel et le plaisir pervers que lui offrait l’idée même de débuter son règne tyrannique sur notre race.

Son arme, une faux, synonyme de terreur, me fit frissonner malgré moi. Le manche noir long de deux mètres avec sa lame courbée d'un blanc blafard telle une demi-lune, longue de près d'un mètre et demi, ne demandait qu’à pourfendre la chair. Pendant un instant, je retins mon souffle, effrayé. La nouvelle armée ennemie qui se dévoilait dans toute sa grandeur était sans conteste aussi grande que la précédente ! Des dizaines de milliers de Xenos et de Gerydïons suivaient leur leader et chargeaient sans la moindre hésitation le boc formé par les guerriers d’Astérion.

Ce dernier leva la main, comme un signal. Les Elementaris déchaînèrent leurs pouvoirs élémentaires sur l'armée adverse telle une déferlante meurtrières. N’importe quelle montagne aurait pu être pulvérisée par ce torrent de flammes, d'eau, de bourrasques et de pics de roches qui s’abattaient sur l’armée d’Hepiryon. Astérion, placé devant son armée, bien droit, regardait ses créations déchaîner leurs pouvoirs. Je remarquai à ses côtés quatre Elementaris qui se tenaient tels des gardes du corps, tout aussi immobiles. Contrairement aux autres, ils n’avaient pas réagi. Leurs regards, de là où j’étais, me laissaient deviner qu’ils étaient plus puissants et plus importants encore que leurs congénères. Je crus même reconnaître l’Elementaris aux épées embrasées que j’avais aperçu plus tôt. Dans leurs dos, les humains cognaient leurs armes sur leurs boucliers à un rythme régulier, accroissant la tension.

L’impact était imminent.

Hepiryon arrêta sa monture et leva sa main gauche. Son armée, elle, le dépassait en courant sans hésitation face à une mort certaine en hurlant des cris atroces et rauques pour effrayer leurs adversaires toujours immobiles. Un symbole étrange apparut devant la paume du dieu du Chaos. Une vague d'énergie sombre et puissante forma un mur d'énergie pure emplie de noirceur. Les flammes et l'eau se dispersèrent, englouties par cette obscurité. Le vent se calma instantanément et les pics de roches tombèrent en morceaux.

J'écarquillai les yeux, médusé. Certains Elementaris s’effondrèrent, terrassés par la dépense d'énergie qui avait dû être trop importante.

Hepiryon lança sa monture au galop, remontant sur la ligne de front à vive allure. En face, Astérion et toute son armée s’élancèrent d’un même mouvement, démontrant que leur volonté n’était pas atteinte. Les deux frères se dirigèrent l’un vers l’autre, loin devant leurs armées.

Tous deux n'avaient d'yeux que pour l'autre.

La faux d'Hepiryon arrivait à l'horizontale, à environ un mètre du sol pour faucher Astérion. Ce dernier glissa sur le sol, son visage effleurant la terrible lame courbée, et frappa avec précision le Gerydïon. La bête s’effondra en pleine course. Hepiryon sauta de sa monture et atterrit avec grâce.

Il se retourna vers son frère qui s'était lui aussi relevé.

Leurs armes brandies, ils se toisèrent. Autour d’eux, leurs deux armées se percutèrent dans un fracas assourdissant. Mais les deux Immortels restèrent sur place, tournant et formant un cercle, attendant le moment opportun pour charger.

Une main se posa alors sur mon épaule, me faisant sursauter. Je tournai la tête le Astérion du présent que j’avais presque oublié.

« Je pense que tu en as assez vu. »

Je m’apprêtais à dire que je voulais connaître l'issue de cette guerre mais le souvenir se troubla peu à peu, pour finalement disparaître.

De retour au cœur de ma conscience, le paysage blanc et sobre me parut si paisible contrairement au sang et à la violence à laquelle je venais d’assister. Je retirai ma main de l’épaule d’Astérion et reculai de quelques pas, encore secoué.

« Pourquoi m’avoir ramené ? articulai-je avec difficulté. Que s’est-il passé ensuite ? Comment une telle bataille a-t-elle pris fin ? »

Toujours prisonnier de ses chaînes, Astérion m’observait attentivement.

« Nous avons combattu, répondit-il finalement. Encore et encore. Notre duel a semblé interminable, même pour moi. Et finalement, alors que j'avais enfin réussi à percer sa garde pour le transpercer en plein cœur, il parvint à faire de même. »

Il me désigna d’un geste du menton la longue cicatrice qui balayait son corps spirituel le long de son torse, causé par la faux de son frère.

« La puissance de nos coups était trop importante pour nos propres corps, reprit-il. Tout puissant furent-ils.

— On peut détruire le corps d’un Immortel ? m’étonnai-je.

— Oui, seules nos âmes sont éternelles. Même sous un état aussi insignifiant que nous l'avons été durant plusieurs millénaire. Mais nos corps, bien qu’extrêmement résistants, n'étaient pas indestructibles. Peux-tu imaginer l’énergie libérée par des Eternels au summum de leur puissance ? Notre combat nous a mené tout autour du globe avant de se terminer hors du champ terrestre. Notre chair, usée, a fini par céder.

— Mais… Et la bataille…

— Nos ultimes coups ont libéré une vague d'énergie si dévastatrice qu’elle a secoué la planète entière. Les océans se sont soulevés et les terres se sont morcelées. Que ce soient les Hommes, les animaux ou les végétaux, notre puissance a éteint de nombreuses vies ce jour-là. Cela mit également fin à la bataille : Xenos comme humains ont été frappés. Fort heureusement, il y a eu des survivants, notamment quelques Elementaris d'après mes derniers souvenirs. »

J'étais perdu. Totalement. Je me laissai tomber par terre et pris ma tête entre les mains. Des dieux ? Une guerre antique face à des monstres qui, aujourd’hui allaient tenter de me tuer ? Il me fallut plusieurs inspirations pour réussir à calmer les battements hystériques de mon cœur. Je craignais de faire une crise d'angoisse si je ne calmais pas rapidement.

Je finis par me relever et faire les cent pas, pragmatique.

J’étais en danger de mort parce que ce dieu se trouvait en moi et représentait le seul obstacle au retour de son frère dénommé Hepiryon. Néanmoins, ce que je n’admettais pas c’était que je puisse représenter une menace ! Cet Immortel, Astérion, admettait lui-même qu’il était sujet de ma volonté, or je n’avais pas la moindre intention de me battre contre des morts-vivants et une divinité !

« Que se passerait-il si je mourais ? finis-je par questionner Astérion. Qu’est-ce que tu deviendrais ?

— Je serais libéré de ton corps et renvoyé à l’état de simple esprit vagabond en attendant de récupérer suffisamment de force pour trouver un nouvel hôte. Entrer dans le corps d’une personne requiert énormément de ressources que seul le temps peut nous offrir. »

Je repris mes allers-retours.

« Et, ajouta-t-il, il n’y a aucun moyen de m’extraire d’ici et d’empêcher qu’ils te pourchassent.

— Arrête de lire mes pensées ! m’écriai-je, irrité.

— Ton esprit m’est ouvert et j’entends tes pensées flottées dans les airs, stupide mortel ! Je n’ai qu’à prêter l’oreille pour les entendre !

— Excuse-moi d’être trop préoccupé par le fait que des cadavres meurtriers veulent m’assassiner pour penser à « fermer mon esprit ! Tu dois m’aider à trouver une solution, j’ai des exams dans quelque mois et j’ai bossé dur pour les réussir ! »

Il sembla interloqué.

« Comment peux-tu songer à tes études dans un moment pareil ?

— Tu ne sais pas…

— … tout ce que tu as sacrifié pour en arriver là ? Un an de travail acharné en étudiant sans arrêt chaque jour de chaque semaine pour réussir ta première année tout en travaillant en parallèle dans ce restaurant les week-ends en dormant moins de cinq heures par nuit ? Oh que si je le sais ! Je sais tout de toi et de tes songes Peter Leroy ! Mais ce qui t’attend n’est en rien comparable : cette fois on parle de vies humaines ! »

Je restai interdit devant son ton abrupt. Nous défiant quelques instants du regard, je finis par détourner les yeux. Il avait raison, ce n’était pas comparable. Pour autant, je ne pouvais quitter ma vie d’un claquement de doigt !

Je finis donc par poser la question inévitable :

« En admettant que ce soit vrai et que je considère la chose, tu m’as dit que ton frère voulait m’éliminer par le biais de ses sbires parce que tu représentes une menace. Par quel moyen tu pourrais t’opposer à lui ?

— Il n'a pas encore pris possession d'un corps et ne peut agir directement. Pour le moment, nous sommes deux coureurs dont l’objectif est d’acquérir un nouveau corps avant l’autre. Si j’obtenais ton corps, je serais en mesure de contrer toutes ses tentatives pour se réincarner et de protéger ton peuple face à ses créatures qui cherchent un hôte pour leur maître. Nous pouvons empêcher qu'une bataille comme celle que je t’ai montré se reproduise en tuant le mal à la racine. Je le peux !

— Et je suis incapable de faire ça ? Empêcher sa réincarnation ?

— Impossible, affirma-t-il. Tu n’es qu’un homme. »

Alors qu’il avait dit ces mots avec une certitude évidente, je sus avec conviction qu’il venait de me mentir.

« Tu mens ! rétorquai-je. J’ai mes chances ! »

Il plissa les yeux.

« Tu pourrais peut-être empêcher sa réincarnation, admit-il finalement, mais pour cela tu devras faire face aux Xenos et aux Gerydïon que je t’ai montrés dans mon souvenir ! Tu avais peur au point que tu te serais évanoui si tu avais été conscient !

— Mais tu as dit que j’obtiendrai des pouvoirs !

— Que tu vas devoir apprendre à maîtriser ! rétorqua-t-il. Tu ne sais pas te battre ! Je ne sais même pas quels pouvoirs s’éveilleront en toi et lesquelles tu seras en mesure de maîtriser ! Si tu venais à mourir, il n’y aura plus aucun rempart pour s’opposer à mon frère ! »

Je le regardai, déconcerté, et toujours aussi dubitatif.

« Tu ne me dis pas tout. »

De nouveau, sans savoir comment, j’étais sûr de ce que j’affirmai.

« Tes capacités sensorielles et spirituelles croissent de façon remarquable, remarqua-t-il avec surprise. Mes pouvoirs renforcent déjà ton esprit et...

— Peu importe ! l’interrompis-je. Qu’est-ce que tu me caches ? »

Il serra les dents devant mon audace avant de reprendre :

« Si Hepiryon arrivait à retrouver un corps, ce serait un corps volé à un mortel. Dans cette éventualité, il ne serait pas aussi puissant que dans mon souvenir. Il serait limité, tout comme moi si j'avais le contrôle de ton corps. »

Il me laissa assimiler ses paroles avant d'ajouter d'un ton calme :

« Mais il resterait d’une puissance incommensurable, Peter. Tu ne peux pas imaginer un seul instant lui faire face…

— Tu ne me dis pas tout ! insistai-je. Je le sens et…

— En effet ! me coupa-t-il. Mais certaines choses doivent rester dans l’ignorance. Et tu ne me contraindras pas à te dire ce que je ne souhaite pas partager avec toi. »

Je lâchai un soupir, agacé, avant de jeter mes bras en l’air en signe de contrariété. Après quelques instants, il demanda :

« Après ce que tu as vu et avec ce que tu sais, penses-tu être capable de te battre face à ce danger ? Car que tu le veuilles ou non, l’un de nous deux devra se battre. Tu ne peux pas l’éviter. »

Je le fixai, paralysé. Je ne savais plus quoi dire.

En à peine le temps d'une journée, je venais d'entrer dans une guerre qui n'avait même pas encore commencé et pour laquelle personne n'était au courant ! En voyant toutes ces images, j'avais peur. Terrifié même. Que pouvais-je faire face à tout cela ? Des dieux, des monstres c'était bon pour Héraclès, Ulysse, Percy Jackson ou un quelconque autre héros grec ! Je ne voulais pas de ces responsabilités ! Je voulais juste finir mes études et poursuivre ma vie tranquillement !

Un instant je fus tenté de laisser la place à Astérion. Prendre ses chaînes et me débarrasser de toutes ces responsabilités. Mais d'un autre côté, qu'est-ce qui me prouvait que tout cela était vrai ? Je n'étais pas idiot. Tout cela ne pouvait être qu’un énorme mensonge dans le seul but de prendre le contrôle de mon corps ! Finir enchaîné pour l'éternité me répugnait ! Mon existence perdurait éternellement mais je n’aurais l’opportunité de ne rien faire excepté lui servir de pantin ! Sans oublier qu’il insinuait que j’obtiendrais potentiellement ses pouvoirs ! Les pouvoirs d’un dieu !

Une telle possibilité était alléchante.

Était-ce égoïste ? Bien sûr. Je mettais l'avenir de mon espèce en péril en faisant un tel choix car si son histoire à propos d’Hepiryon était vraie, rien ne m'assurait de réussir à l’arrêter. Pour autant, rien ne me prouvait son existence contrairement à Astérion qui lui était bien réel. Je ne pouvais plus en douter. Un destin et des capacités hors du commun s’offraient donc à moi, chose que rêverait d’avoir n’importe quel homme ! Je ne voyais pas le mal d’être ainsi tenté par un tel pouvoir.

« Tu n'es pas obligé de prendre une décision maintenant, me glissa Astérion, mais il ne faudra pas tarder. Les ombres se renforcent au fur et à mesure que le temps s’écoule. Elles cherchent l'hôte idéal pour mon frère, en plus de te chercher toi. Quand elles auront trouvé cet homme destiné à devenir le corps de mon frère, et qu’elles l'auront convaincu, elles n'auront plus qu'à attendre son réveil. Il prendra alors le contrôle de cet humain et probablement rien ne pourra l’arrêter hormis moi.

— Mais quel genre d'homme voudrait d'un dieu dans sa tête ? demandai-je. Sans vouloir te vexer, partager sa tête n'est pas une partie de plaisir.

— Les hommes sont avides de pouvoir, tu le sais probablement. Il suffira de lui proposer l’immortalité et d’immense pouvoir pour qu’il accepte. Mais mon frère brisera son âme et le soumettra à sa volonté aisément. »

Il appuya longuement son regard comme s'il savait que j'étais moi-même tenté par ses pouvoirs. Avant qu’il ne reprenne, je m’exclamai :

« Ce qui m’amène à ma seconde question : pourquoi ai-je toujours le contrôle si ton esprit est si supérieur au mien ? N'y a-t-il donc pas un moyen de faire la même chose pour Hepiryon ? Ainsi, son hôte aura accès à ses pouvoirs et pourra les utiliser pour de bonnes choses !

— Les choses ne marchent pas de cette manière ! s’agaça-t-il, brusquement. T’expliquer pourquoi le processus n’a pas fonctionné correctement chez toi ne servirait à rien.

— Mais ce pourrait être la clef pour le vaincre ! Pourquoi garder secret une telle…

— Ne te méprends pas, m'interrompit-il, sèchement. Ton cas est exceptionnel. Je te le dirais s'il y avait une chance pour que cela fonctionne : je souhaite autant que toi empêcher cette guerre. »

Je ne saisissais pas sa réticence mais je compris que cela ne me mènerait nulle part d'insister. Cette fois, il ne mentait pas.

« Je ne veux pas te laisser le contrôle, dis-je finalement avec certitude. Pour le moment je vais attendre de voir si les pouvoirs dont tu as parlé se développent chez moi ou non. Ensuite j'aviserai. »

Il fronça les sourcils en argumentant avec prudence :

« Tu joues à un jeu dangereux. Si tu tardes trop et que mon frère se réincarne, je ne sais pas qui de nous deux vaincra l'autre. Tu l'as vu, nous sommes de force égale et le moindre avantage peut faire pencher la balance pour l'un comme pour l'autre ! Or là, le fait qu'il ne soit pas réincarné est un énorme avantage qui pourrait empêcher de nombreuses morts ! »

Je répondis avec obstination :

« J'ai très bien compris mais tu l’as dit toi-même : nos destins sont liés. Je fais peut-être une erreur d'attendre mais je souhaite savoir de quoi je suis capable avant de décider. Et tu m'as dit qu'on avait un ou deux mois devant nous, ce qui me laisse suffisamment de temps pour me prendre ma décision. De plus, s'il y a vraiment une guerre, les Hommes me feront plus confiance à moi qu'à toi pour affronter ces monstres car je suis un Homme aussi.

— Je n'en suis pas si sûr, rétorqua-t-il, crispé. L'Homme à tendance à obéir et à s’en remettre à un dieu. À un être supérieur.

— L'homme a surtout peur de ce qu'il ne comprend pas, répliquai-je. Et je suis bien placé pour le dire vu que je ne comprends pas la moitié de ce qu'il m'arrive et que j'en ai peur !

— Ah la peur... soupira-t-il avant de prendre un air songeur. Si tes pouvoirs se développent comme je le pense, tu seras bien plus qu'un Homme. Ils te considéreront peut-être même comme un dieu par rapport à eux. Mais tu devras t'entraîner afin de les contrôler, ce dont tu n'auras peut-être pas le temps. Tu ne réalises pas dans quoi tu t’engages en choisissant cette voie…

— Je ne te demande pas ta permission. Tu as dit que l’un d’entre-nous devrait se battre, pas vrai ? Eh bien ce sera moi ! »

Il m’observa attentivement, avant de lâcher un profond soupir.

« Si tu persistes à refuser ma domination, je t'aiderais à comprendre tes pouvoirs. Et les Elementaris t'y aideront aussi.

— Les créatures que tu as créées à partir des Hommes ? répétai-je, surpris. Ils existent encore aujourd’hui ?!

— Oui, ils doivent vivre paisiblement cachés de ton peuple vu que ton peuple n’a jamais eu vent de leur existence. »

Il ferma les yeux et se concentra.

« Je peux les sentir loin à l'ouest, ajouta-t-il, là où ils ont dû s'établir mais je ne sais pas où exactement. Ma forme d’esprit enchaînée limite mes capacités sensorielles. Je me demande cependant pourquoi ils ne vivent pas en harmonie avec les tiens comme auparavant. Mais j'ai confiance : ils t'apprendront à te battre tandis que je t'apprendrai à utiliser les pouvoirs que tu développeras. Ensuite seulement, tu pourras prévenir les Hommes du danger qui les guette. »

Je fronçai les sourcils en questionnant :

« Pourquoi les prévenir seulement après ?

— D'après ce que j'ai vu dans tes connaissances, les Hommes sont devenus cupides, peu croyants et pour certains très stupides. Tu devras être prudent et leur faire comprendre que tu es leur seul espoir face à des forces qui les dépassent de loin. Y aller maintenant serait de la précipitation, vu que tu ne connais même pas tes pouvoirs. Et que tu n'es pas encore certain de ne pas me confier ton corps. »

J'opinai de la tête, sans certitude. Il allait me falloir des preuves pour que j'accepte de me lancer dans une guerre. Par contre apprendre que les Elementaris existaient encore aujourd’hui me réjouit. Cela signifiait qu’une autre espèce humaine vivait sur Terre à notre insu ! C’était remarquable !

« Ils sont loin à l'ouest ? interrogeai-je le dieu.

— Je ne sais pas très bien encore où, mais je sens qu'ils se ne trouvent pas dans ce pays en tout cas. »

Je ne pus retenir une grimace devant cette nouvelle. D’accord j’étais curieux mais quitter le continent pour trouver des créatures que l’on n’avait pas vu depuis des millénaires n’était pas dans ma liste des choses à faire dans l’immédiat.

« À l'ouest de la France, dis-je en soupirant, on a l'Amérique si on traverse l'océan Atlantique. Ça ne va pas être simple d'y aller.

— Ne nous précipitons pas et attendons de voir comment les choses évoluent. D’ici une semaine, nous pourrons partir à leur recherche. »

Une semaine ? Je détestais son idée de partir à l'étranger sans prévoir quoi que ce soit. Il semblait penser que je n'avais pas de vie ici et que je pouvais partir quand bon me semblait ! Accepter tout cela signifiait que ma vie allait changer du tout au tout, ce dont je n’avais pas spécialement envie.

Je faisais des efforts importants pour ne pas le laisser entendre mes pensées, comme la première fois que j'étais arrivé ici, autrement il aurait su que je n'avais pas du tout l'intention de partir et de combattre. Je souhaitais simplement découvrir les pouvoirs dont il m’avait parlé, poursuivre ma vie et mes études. Je n'avais pas travaillé aussi dur pour tout abandonner du jour au lendemain et écouter les belles paroles d'un soi-disant dieu. Même s’il était bien réel, je venais seulement de le rencontrer et il programmait déjà le reste de ma vie comme une secrétaire trop motivée !

« Je vais bientôt sortir de l’hôpital, repris-je. Le médecin m'a donné une dispense pour rester chez moi. Dans combien de temps les… changements se verront-ils ?

— Je pense qu'ils ont déjà commencé, souligna-t-il. Dès mon réveil en fait, mes pouvoirs se sont activés. Ton corps est devenu presque instantanément plus résistant, plus fort. Ils pensent que tu as eu de la chance de ne pas t'être cassé un seul os, de ne pas avoir été plus longtemps inconscient ou de te rétablir aussi vite ? Tout cela n'est pas un hasard.

— Enfin, mon cœur s'est quand même arrêté après ma chute, rappelai-je comme si ce n'était qu'un détail. »

Il haussa les épaules.

« C'était un risque. La crise d'angoisse associée à l'énergie qui était en train de se répandre dans ton corps ont fait cesser ton cœur un bref instant c'est vrai. Bien sûr les coups sur la tête n'ont rien arrangé. Mais je suis quasiment sûr que ton cœur se serait relancé de lui-même après. À quatre-vingts pour cent, environ.

— Tu crois ? ironisai-je.

— Peu importe, tout cela est passé. Cette semaine sera probablement ta dernière semaine avant que nous ne soyons obligés de partir donc profites en. Profite de chaque moment avec ceux que tu aimes avant que tes responsabilités t'en empêchent car après cela, ton destin ne t'appartiendra plus. Mais bien sûr, tu peux encore choisir de me laisser ta place et de te décharger de cette destinée dont tu ne veux pas.

— J'ai compris, répondis-je en serrant les dents. J'ai simplement dit que j'attendais de voir les changements dont tu parles avant de me prononcer. »

Il soupira sans rien ajouter. Je me retournai, signifiant que la conversation était close lorsqu’il s’exclama :

« Au fait, je devrais te féliciter ! »

Je haussai les sourcils.

« Pourquoi ? m’étonnai-je, en me retournant à moitié.

— J’ai lu dans les pensées de ton frère et je sais ce qui le tracassait plus tôt. »

Et il ne m’en parlait que maintenant ?

« Et donc ? demandai-je, avide de savoir.

— Lui et sa compagne ont prévu de se marier d’ici un mois. Un mariage précipité car ils attendent un enfant. »

J’en restai coi.

« Mon frère va être… papa ? répétai-je finalement.

— Et toi, un oncle. Je te conseille de penser à cet enfant lorsque tu prendras ta décision. »

Je le dévisageai encore quelques instants, incapable d’articuler le moindre mot. J’étais à la fois euphorique par la nouvelle et toujours soucieux par tout ce que je venais d’apprendre. Finalement, je me laissai tomber en arrière enclenchant mon retour à la réalité. Mon choix était déjà fait : ma vie m’appartenait et personne ne déciderait à ma place.

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