Chapitre 1 : Une chute mémorable

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Tout débuta un vendredi 24 octobre.

Ce matin-là, comme chaque jour, mon réveil sonna à six heures. Dès que je l’entendis, une profonde pulsion meurtrière me saisit, me laissant à deux doigts de le jeter contre le mur. Je n'en pouvais plus d'entendre ce maudit appareil ! Il bipait si fort qu'il devait avoir réveillé tout l'immeuble ! Au lieu de ce vacarme assourdissant, j'aurais préféré quelque chose d’original, jovial et raffiné du style : « Quelle belle journée, Peter Leroy ! Il est l'heure de vous lever afin d’offrir au monde la chance de profiter et savourer votre radieuse présence ! Et ne songez surtout pas à sécher les cours, vous êtes en quatrième année de médecine, voyons ! Allez courage, vous êtes le meilleur ! ».

Sauf que cela n’arrivait pas.

Jamais.

Chaque maudite fois que je l’entendais, mon cerveau entrait dans une profonde réflexion. Entre autres si mes études valaient réellement le coup de quitter mon lit douillet pour m'installer dans un vieil amphi froid rempli de sièges inconfortables. Honnêtement, la réponse était non mais si ma mère l’apprenait, je pouvais dire adieu au peu de liberté que j’avais.

Le pire était de savoir que je n’avais dormi que trois heures. Mais je ne pouvais m’en vouloir qu’à moi-même d’avoir encore cédé aux sollicitations de mes amis de passer cette stupide soirée au thème Harry Potter. Bon, la soirée avait été vraiment sympa, mais le réveil beaucoup moins.

Finalement, au bout de vingt minutes à débattre intérieurement, la raison prit le dessus sur l’envie et je me levai à grands renforts de grognements récalcitrants. Afin de chasser la brume qui embrouillait mes pensées, je me dirigeai vers ma salle de bain car il était indispensable que je prenne une douche. Froide. Idéal aussi pour faire des économies d’eau. En caleçon, je pris ensuite mon petit-déjeuner avant d’aller me brosser les dents et d’enfin oser jeter un œil à ma tête de déterré dans le miroir.

Mes cheveux bruns mi-longs et encore humides étaient plus désordonnés que d’habitude. Le manque de sommeil se reflétait dans mes yeux marrons et, pour couronner le tout, j’avais à présent un bouton sur le front. Je le fusillai du regard. Passé l'adolescence, on espérait être enfin débarrassé de l'acné mais il arrivait qu’elle revienne dire bonjour de temps en temps. Après avoir enfilé des vêtements propres et mis de l'ordre dans mes cheveux, je retournai sur mon lit et regardai l'heure : j'étais en avance.

Je pris mon sac et vérifiai que j'avais tout ce dont j'avais besoin : mon ordinateur, des feuilles et ma trousse. J'enfilai ma veste en jean, mis mes chaussures et me laissai retomber sur mon matelas. Tout en écoutant le dernier album de Coldplay, je balayai négligemment mon studio du regard. Tout mon appartement de 15 m² se résumait à cette pièce, seules les toilettes et la salle de bain étaient séparées dans une seconde pièce. Mon lit occupait la grande majorité de l’espace, ne laissant place que pour un bureau et la cuisine. Pour ranger mes vêtements, une petite armoire était placée dans le seul coin de la pièce disponible, même si plusieurs caleçons et pantalons jonchaient le sol. Vive l'autonomie !

Ce qui me désespérait le plus, c’était le prix pour avoir un toit sur la tête. Mon logement était petit et pourtant coûtait un bras ! Les montants des loyers à Paris étaient tellement excessifs que c’en était déplorable. Le seul avantage ? J’étais situé à quelques rues de mon université. Néanmoins, si je ne faisais pas la plonge le week-end dans un restaurant pour aider à payer le loyer, la nourriture... jamais je n’aurais quitté le domicile familial.

Avant de me sentir obligé de passer un coup de balai, je décidai d’aller en cours. Oui, ma motivation à faire le ménage disparaissait aussi vite qu'elle apparaissait. Il me fallait moins de quinze minutes à pied pour arriver à mon école, et je savais que j'arriverais en avance afin de réserver ma place et celles de mes amis. Sauf s’ils avaient tous jeté l’éponge et préféré dormir. Connaissant certains d’entre eux, c’était loin d’être impossible. Je jetai un dernier coup d'œil avant de fermer la porte à clef et d’appuyer plusieurs fois sur la poignée afin d’être certain qu’elle soit bien fermée. Un toc stupide que m’avait transmis ma mère.

D'aussi loin que remontaient mes souvenirs, j'avais toujours vécu en ville. Mais vivre seul, c'était plus récent. Enfin l'indépendance ! Enfin ne plus avoir à respecter les règles exceptées les miennes ! Un véritable bonheur ! Surtout si votre mère acceptait de faire votre lessive, là on pouvait difficilement rêver mieux ! Oui, même à vingt-deux ans j’avais encore besoin de ma mère pour laver mon linge, et alors ?

Je descendis les trois étages et tentai d'ouvrir la porte de l'immeuble qui, bien entendu, était encore bloquée. C'était bien beau de garder des vieux bâtiments comme souvenir, mais encore aurait-il fallu songer à les rénover de temps en temps ! Après avoir tiré dessus comme un fou pendant deux bonnes minutes, et l'avoir copieusement insultée, elle daigna enfin s'ouvrir dans un grincement.

Enfin dehors, j'inspirai un grand bol d’air frais tout en me convainquant que cette journée serait bonne. Inutile de préciser que j’avais tort. Tandis que je descendais les rues, mains dans les poches pour les protéger du froid, la ville s'activait déjà. Des voitures partout, laissant à peine la place pour les piétons de circuler. Je croisais quelques autres étudiants ainsi que des retraités qui faisaient leurs balades matinales. Je n'avais jamais compris l'intérêt d'être à la retraite et de se balader aussi tôt le matin.

Certains mystères resteraient des mystères...

Tout cela pour dire que si on omettait les voitures, le quartier était plutôt calme et propre, par rapport à d'autres places de Paris. Soudain, mon téléphone se mit à vibrer dans ma poche. Lorsque je vis que l’écran affichait « Maman », je haussai un sourcil, surpris.

Je me raclai la gorge pour éclaircir ma voix et décrochai :

« Allô ?

— Coucou mon grand, tu vas bien ? Je ne te dérange pas ?

— Salut m'man. Oui je vais bien, je suis en route pour la Fac là. Tu as un souci pour m’appeler aussi tôt ?

— Non, tout va bien. Je voulais simplement te rappeler que ton frère arrive en début d'après-midi à l’aéroport et qu'il nous a invités à dîner tous ensemble pour fêter ça, ce soir. »

Inconsciemment, je souris. Au XXIème siècle, une invention formidable existait pour rappeler quelque chose à quelqu’un sans l’appeler : un SMS. Pourtant, ma mère préférait malgré tout appeler et, pour être honnête, cela ne me dérangeait pas. Je ne la voyais pas souvent alors l’entendre, même au téléphone, était agréable.

« Vous allez le chercher à l'aéroport à quelle heure déjà ?

— Nous passons prendre Anaïs et nous allons le chercher pour treize heures. Tu viendras ce soir, n’est-ce pas ? Ça lui fera plaisir. À lui comme à nous. Et puis cela fait près de cinq mois que tu ne l'as pas vu. »

La joie qu’elle ressentait au retour de mon frère, Thomas, était palpable. Et pour être honnête, la mienne devait l’être aussi lorsque je répondis :

« Je serai là ! Je passerai directement à la maison après les cours !

— Très bien ! Nous... »

En fond, une seconde voix, plus grave, interrompit ma mère. Après quelques secondes de silence elle reprit d'une voix plus tendue :

« Ton père te passe le bonjour… et te demande d'être à l'heure. »

Je grimaçai. Mon père avait la mauvaise habitude de me faire un reproche dans chacune de ses phrases. Mais même cela ne tempéra pas ma gaieté.

« Je ferais de mon mieux mais le métro n’est pas toujours fiable. »

Afin de conclure cette conversation, j’ajoutai :

« J’arrive à l’école, c'était tout ?

— Oui, mon grand. Bon courage et à ce soir. Je t'aime.

— Moi aussi, maman. À ce soir. »

Je raccrochai et fixai mon téléphone quelques instants avant de le remettre dans ma poche. Cela faisait un moment que nous n'avions pas dîné tous ensemble, en famille. Et pour cause, la dernière fois n'avait pas été une franche réussite.

Mon père travaillait dans une entreprise qui « a fait le ménage », comme il aimait dire. Il avait été licencié deux ans plus tôt et n'avait pas réussi à retrouver du travail. La déprime qui en avait découlé le laissait aujourd’hui amer et il passait facilement ses nerfs sur moi. Inutile de penser qu’il me frappait, ce n’était pas du tout le cas ! Mais quand il travaillait, il était… différent. Maman disait qu'il ne fallait pas lui en vouloir, qu'il était triste et qu'il en était frustré de rester à la maison sans rien faire. Au début cela me suffisait, mais après deux années, je pensais qu'il pouvait aller de l’avant et cesser de me reprocher une chose à laquelle je n'y étais pour rien. Son comportement m'avait d'ailleurs poussé à quitter le domicile parental aussi vite que possible, même si je devais travailler pour cela. Cela ne m’empêchait pas de l’aimer et de laisser couler la plupart du temps afin d'éviter des disputes inutiles. Je commençais à être habitué.

Quant à ma mère, elle travaillait à mi-temps dans un supermarché et ne gagnait pas énormément d'argent. Donc entre les maigres revenus de ma mère et le chômage de mon père, il était plus qu’évident que je devais travailler de mon côté pour conserver mon logement. Mes frais étaient bien trop élevés pour qu'ils puissent les payer avec leurs deux revenus. De toute manière, il m'avait semblé naturel de travailler pour financer mes études, la bourse universitaire à laquelle j'avais droit n’étant pas suffisante. L'indépendance totale commençait par l'autonomie financière.

Pour en revenir au repas de famille, la dernière fois que l'on avait été réuni avec mes parents et Thomas, ce dernier leur avait annoncé qu'il était envoyé en Syrie. Engagé dans l'armée de terre depuis ses dix-huit ans, Thomas rendait naturellement fiers nos parents. Cependant, ils ne se rendirent compte de la dangerosité de son métier qu'après l’annonce de son départ. Or la Syrie était un lieu de conflit à cette époque, on en parlait tout le temps aux journaux télévisés. Confronter à la réalité, la nouvelle fut difficile à encaisser. Mon père avait su rester stoïque à l'annonce mais maman avait fait une scène et refusé qu’il s'en aille. Bien entendu, rien de ce qu’elle aurait pu dire n’aurait amené mon frère à changer d’avis : c’était son devoir.

Bref, la nouvelle avait légèrement plombé l'ambiance.

Moi dans tout cela, j’avais tâché de garder mes inquiétudes pour moi. L’armée était la passion de Thomas depuis qu’il était gamin et il connaissait les risques qu'il encourait en s'engageant. En fait, pour tout vous dire, j'étais moi aussi fier de lui. Il était ce genre de personne qui réussissait tout ce qu'il entreprenait. Calme et solide, il en fallait plus pour l'ébranler. Et preuve en était : après cinq mois en territoire hostile, il revenait sain et sauf. Il nous avait régulièrement tenu au courant par messages et lettres qu'il avait transmis à Anaïs, sa petite amie. Son retour allait rassurer tout le monde, c’était déjà le cas de ma mère.

Perdu dans mes pensées, je faillis me faire renverser par une voiture qui pila juste devant moi. Le conducteur martela aussitôt son klaxon.

« Désolé ! criai-je, en me hâtant de rejoindre le trottoir d'en face. »

Le cœur battant, je me retrouvai alors dans un groupe d’étudiants agglutinés sur des marches et qui tentaient de pénétrer dans le bâtiment. Se tenait devant moi l’université de Paris-Descartes. On était bien loin des super campus américains : c’était simplement une vieille bâtisse imposante entourée de routes goudronnées. Elle accueillait en son sein des étudiants pour différentes filières : droit, médecine, psychologie... et cela la rendait encore pire que toutes les universités de France.

C’était tout bonnement un zoo.

Des spécimens rares d’étudiants se bousculaient pour arriver dans les amphithéâtres et écouter avec passion un professeur déblatérer un cours qu’il ressortait chaque année. Et généralement, des tensions se créaient chez ces chers étudiants afin d’obtenir la place la plus proche du professeur. Je me retins de ricaner. Comme si cela allait les aider à réussir leur concours ! Car là résidait le problème des élèves de première année : le concours. Une terrible épreuve qui, généralement, abolissait toute vie sociale.

Mais une fois les concours passés, non seulement on retrouvait du temps pour d’autres occupations, mais on voyait notre nombre se réduire à cause des sélections. Donc plus besoin de se battre pour des places ! Pourtant, me retrouver mélangé avec les élèves arrivés en septembre me donna hâte d’être à Noël : les premières sélections auraient lieu et, enfin, je ne serais plus obligé de jouer des épaules pour entrer dans mon université ! Je passai finalement les portes tout en pestant intérieurement contre les nouveaux arrivants.

Je secouai la tête pour me débarrasser de ces pensées négatives. Bon sang, j’allais revoir mon frère ce soir même ! Il n’y avait pas lieu d’être de mauvaise humeur ! Je me dirigeai donc à mon cours, le sourire aux lèvres. Circulant dans ces couloirs que je côtoyais depuis trois ans maintenant, j’entrai dans le petit amphithéâtre d'environ trois cents places où je repérai rapidement Antoine et Matt. Pour résumer, je passais la plupart de mon temps avec des amis de longue date : Antoine, Matt, Florian et Maël.

Je me dépêchai de les rejoindre et m’assis entre eux. Antoine écoutait de la musique, yeux clos sur sa chaise, tandis que Matt parlait à deux filles que je ne connaissais pas, tout en leur offrant son plus beau sourire. Je ne savais pas si c'était ses bras musclés ou ses grands yeux bleus mais Matt avait un certain don pour parler avec tout le monde, et plus principalement avec les filles.

Coïncidence ? Peu probable à mon avis.

Après les avoir salués, je m’assis et sortis mon ordinateur pour préparer le cours d'aujourd'hui. Maël, notre troisième ami, nous rejoignit quelques minutes plus tard et s'installa à la gauche d'Antoine. Il affichait la même mine que moi et je me doutais que le réveil avait été difficile pour lui aussi. Il n’y avait que Matt pour ne dormir que quelques heures et rester dynamique. En général, dans notre groupe, le matin était synonyme de silence. Principalement car nous avions tous, sauf Matt, la tête encore somnolente. Et puis, nous étions des mecs, pas des filles.

Elles seules peuvent tenir des discussions interminables si tôt !

Malheureusement, les premières heures de cours n'arrangèrent rien à notre état. Ce jour-là, les deux heures de microbiologie furent d'un ennui mortel. Antoine était le seul capable d’écouter l’enseignant en restant concentré et sans lâcher le moindre bâillement. Florian et moi nous demandions s’il était réellement humain car même l’énergie de Matt s’envolait lorsque le professeur ouvrait la bouche. En parlant de notre quatrième camarade, comme à son habitude, il arriva au beau milieu de la première heure avec une demi-heure de retard. Heureusement, l’enseignant était tellement absorbé par ses notes qu’il n’accordait pas la moindre attention aux va-et-vient des élèves. Florian parvint donc à se glisser à sa place sans se faire remarquer et sortit une feuille et un crayon. Vu l’état de ses cheveux roux vifs, il n’était pas levé depuis longtemps.

Je lui prêtai peu d’attention et essayai d’imiter Antoine et de prendre un maximum de notes. Toutefois, le manque de sommeil et les ronflements naissants de Florian n'aidaient pas. Je pestai à son encontre et lui donnai un coup de coude dans les côtes pour le faire taire mais il ne réagit même pas. C'était à se demander pourquoi il venait en cours : il était aussi actif que la table sur laquelle il dormait !

Au bout d’un temps interminable, la fin du cours arriva. À cette annonce, j’aurais juré entendre un soupir de soulagement général. On avait droit à une pause de quinze minutes qui fut prise sans objection avant notre prochain cours.

« Plus ennuyeux que ce prof, on fait pas... râla Matt en relisant ses notes.

— J'ai cru que j'allais m'endormir, renchérit Florian en se frottant les yeux. »

Je lui jetai un regard en biais avant de répliquer sur un ton sarcastique :

« Tu ronflais comme un ours, je te signale ! »

Maël et Antoine esquissèrent un sourire et ce dernier ajouta :

« C'est vrai que si tu bossais aussi bien que tu dormais, tu serais déjà médecin depuis des années ! »

Cette fois ce fut à mon tour de rire tandis que Florian répliquait :

« C'est ça, riez ! Mais moi j'ai la chance de bien enregistrer tout en dormant ! Et ce n'est pas moi qui ai l'air aussi crevé, faut songer à dormir la nuit au lieu de bosser les gars.

— Quand on peut dormir, tu nous proposes de sortir boire un verre alors c'est un peu ta faute, fit remarquer Maël en s'étirant. Et par pitié envers toi, on accepte. Qui a eu l'idée de sortir hier soir déjà ? Toi non ?

— Toujours de ma faute, hein ? maugréa l'accusé, de dépit.

— Il faut bien un coupable, dis-je en rigolant. »

Voir le rouquin rougir nous fit tous rire. Alors que Matt et Florian commençaient à débattre des avantages de la sieste, un sujet poignant soit dit en passant, Antoine se tourna vers moi, le regard soucieux.

« Je me disais… commença-t-il. Tu n'es pas allé rejoindre Tessa aujourd'hui ? Tout va bien entre vous ? »

Je cessai aussitôt de m’esclaffer. J'aurais aimé éviter ce sujet pour le moment mais je savais qu’Antoine ne lâcherait pas l’affaire. En clair, Tessa était ma petite amie depuis deux mois environ. Au début, on sortait et discutait régulièrement mais, depuis quelque temps, elle préférait sortir avec ses amies plutôt qu'avec moi. Dans le but de passer plus du temps avec elle, j’avais récemment demandé un jour de repos à Sam, le patron du restaurant dans lequel je travaillais. Il me l’avait offert sans souci, seulement Tessa avait annulé notre rendez-vous au dernier moment pour aller à un concert avec ses copines. Vexé, je ne lui avais quasiment pas reparlé depuis. Je détestais être traité comme un objet dont on peut se passer quand on le veut.

Ou en d’autres termes, comme un con.

« Eh bien, commençai-je, les dents serrées, je ne l'ai pas vue pour l'instant. Et puis comme je te l'ai dit, elle a annulé notre sortie, la semaine dernière. Depuis, je l’évite… C’est vrai que c’est devenu compliqué en ce moment.

— Qu'est-ce que tu vas faire ?

— Je ne sais pas encore, soupirai-je. Au début c'était vraiment bien mais maintenant c'est comme si on était que des amis. C'est peut-être ce qu'on devrait être... »

Tandis qu’Antoine réfléchissait à ma remarque, Florian, qui était finalement en train de chercher ses fiches de cours dans son classeur, se joignit à la conversation avec son franc-parler habituel. S'il y avait bien quelque chose dont manquait le rouquin, c'était de subtilité.

Ce mot ne devait pas exister dans son vocabulaire.

« Franchement c'est mieux de rompre ! s’exclama-t-il. Vous n’êtes plus sur la même longueur d'onde, autant gagner du temps ! »

J'opinai d'un mouvement de la tête tout en songeant au fait qu'il avait probablement raison, même si ça me faisait mal au cœur de l'admettre.

« En parlant du loup... murmura alors Antoine à mon encontre après avoir jeté un coup d'œil derrière nous. »

Deux bras s’enlacèrent alors autour de mon cou. De longs cheveux blonds tombèrent le long de mon bras et les yeux sombres de ma petite amie me fixèrent, pétillants.

« Coucou ! s'exclama Tessa avant de m’embrasser. Tu n'es pas venu me voir ce matin ! Tu m'en veux encore pour avoir annulé ce week-end ? Tu sais, ce n'est pas que je voulais sortir avec quelqu'un d'autre mais Sophie a eu des super places ! Je ne pouvais pas refuser, surtout pour ce prix ! Tu comprends n'est-ce pas ? »

Elle m'embrassa de nouveau sans attendre ma réponse. Un mal de tête commençait à me prendre peu à peu et je craignais que Tessa y soit pour quelque chose. Ou les retombées de mes festivités de la veille, peut-être. En tout cas, elle parlait beaucoup trop et c'était fatigant. Dire que je trouvais cela mignon lorsque l’on s’était rencontré.

« Tessa, il faudrait qu'on parle... débutai-je tout en tâchant de ne pas laisser ma contrariété transparaître.

— Je n'ai pas le temps pour le moment ! m’interrompit-elle. Sophie voulait me montrer quelque chose qu'elle a vu sur Facebook à propos de Game of Thrones ! Promis je ne te spoilerai pas ! On en reparlera tout à l'heure, d'accord ? Bisous ! »

Et avant que j'aie le temps de dire quoi que ce soit d'autre, elle m'embrassa à nouveau et grimpa rapidement les escaliers sous mes yeux exaspérés. Florian et Antoine, qui avaient fait mine de rien tant qu'elle était là, se tournèrent aussitôt vers moi.

« Elle est super jolie Tessa, hésita Antoine, mais...

— Mais elle est super relou ! conclut Florian, sans le moindre tact. Elle ne t'a même pas laissé en placer une ! »

J'approuvai avec lassitude de la tête avant de le regretter amèrement : elle me faisait un mal de chien ! On aurait dit que quelqu’un donnait des coups pour en sortir, pour vous dire à quel point j'avais mal. Cette journée ne pouvait-elle donc pas se passer correctement au moins un instant ?

Deux doigts sur ma tempe, le front plissé, je me levai.

« Je reviens, annonçai-je. Il faut que je passe aux toilettes. »

Matt et Florian s'avancèrent afin de me laisser passer derrière eux. Je montai sur l'arrière de leur siège pour atteindre l'escalier latéral. J’espérais avoir le temps de me passer de l'eau sur la figure avant le début du cours. Cela aurait peut-être un quelconque effet sur cette migraine qui menaçait de me pourrir encore plus la journée. Les toilettes se trouvaient tout en haut.

Marche après marche, la douleur s'accentuait de plus en plus jusqu’à devenir encore plus insupportable. J’avais déjà subi des maux de tête mais jamais d’aussi soudains, ni d’aussi douloureux ! Les dents serrées, je pris appui sur la rambarde pour ne pas perdre l’équilibre.

« C’est quoi ce délire ? pensai-je. Qu’est-ce qui m’arrive… »

J’atteignis la dernière marche au prix d’un ultime effort et aperçus la porte des toilettes. Soudain, la douleur devint si vive et intense que ma vue se troubla. Pendant un instant, je perdis tout repère, désorienté par la souffrance qui irradiait mon crâne. Je pris ma tête entre mes mains, le souffle saccadé. Mes paumes tremblaient et mon pouls battait à mes oreilles de plus en plus vite.

« Mais c’est quoi ce délire… articulai-je, les larmes aux yeux. »

Tout était arrivé si vite et si brusquement que c’en était incompréhensible. J'avais l'impression que mon crâne allait se fendre en deux !

Et alors, je l’entendis. Le hurlement.

Le cri de rage d'un homme. Alors que cela paraissait impossible, cela amplifia encore la douleur et la nausée vint s’ajouter à tout le reste. Des larmes coulaient le long de mes joues. Impuissant, j’endurai ce phénomène. Mon corps et mon cerveau semblaient parcourus de décharges électriques.

Le sol sous mes pieds ne m’apparaissait plus droit et mon pied gauche recula. Je me souvins avoir été au bord des escaliers la seconde d’après. Je trébuchai et basculai en arrière sans aucun moyen de me rattraper. Ma chute fut douloureuse : mes côtes, ma tête, mes bras… rien n'y échappa. Chaque partie de mon corps percuta les marches tandis que, dans ma tête, continuait de retentir cette voix.

Ma chute se termina au bout d'un temps interminable.

Je n’étais plus certain de ce qui se passait mais désormais mes propres cris de douleur devaient certainement s’être ajoutés à ceux de l’homme. Mes yeux finirent par se voiler. Sonné, je ne pouvais plus bouger. La souffrance était telle que mon corps saturait. Je n’en étais pas certain, mais il me semblait que mes membres tremblaient violemment, pris de convulsions. Et cet horrible goût dans ma bouche… Était-ce du sang ?

Je peinais à respirer et, la dernière chose dont je me rappelais, c’était d’une silhouette. Une ombre, trouble, penchée au-dessus de moi, avant que je finisse par succomber à la souffrance.

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