Chapitre 4 : Les monstres du Chaos

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« Vous devriez comprendre mes doutes ! marmonnai-je. Des dieux âgés de plusieurs milliards d'années se seraient affrontés pour déterminer quel serait l'avenir des Hommes ? C'est insensé ! »

Cette fois, il ne sourit pas. Il devait deviner que j'étais totalement perdu, ce qui était le cas, et reprit donc d’un air plus sérieux :

« Je suis à la recherche d’un moyen de redevenir un être de chair et pour cela, je dois m’emparer d’un corps. Et celui que j’ai choisi est le tien, Peter Leroy. Pour autant, quoi que je fasse, il ne sera jamais aussi puissant que mon corps originel détruit en affrontant mon frère.

— Mais cela signifierait que…

— Que tu cesseras d’exister, conclut-il. Ton âme sera enchaînée comme la mienne en ce moment et j’aurais un contrôle entier sur chacun de tes gestes et chacune de tes actions.

— Mais je ne veux pas arrêter de vivre ! m’écriai-je, choqué.

— J’ai sommeillé durant des millénaires ! rétorqua-t-il. Penses-tu que je le souhaitais ? Que marchander ton existence me fait plaisir ? Je le fais parce que je n’ai pas d’autre choix ! Pour autant, à mes yeux, ma résurrection est bien plus importante que ta simple envie de vivre quelques décennies de plus pour finalement t’éteindre à l’âge d’un vieillard ! »

Gardant les mains dans mon dos afin de cacher qu’elles tremblaient, je m'efforçai d’effacer toute crainte dans ma voix.

« Vous m’avez dit que je devais prendre les chaînes de mon plein gré, n’est-ce pas ? Je peux refuser. »

Il me fixa et sa lèvre inférieure trembla légèrement.

« Je ne peux pas t’y contraindre, admit-il.

— Donc la question est réglée, conclus-je. Je refuse.

— Vraiment ? Tu penses que c’est aussi simple ? Si tu fais le choix de ne pas me laisser ton corps, cela n’empêchera pas mon frère de revenir. Et ce sera à toi de te battre contre les forces qui souhaitent l’aider à se réincarner.

— Je ne vois rien qui pourrait m’y obliger !

— Pour l’instant, non. Mais mon frère sait que je recherche un corps et le meilleur moyen pour lui de s’opposer à moi est justement de détruire le corps que je convoite. Si lui ne s’est pas encore réincarné dans un mortel et n’a donc pas encore corrompu l’esprit d’un Homme, ce n’est pas mon cas. Je me suis réincarné en toi, il va donc te pourchasser et te renvoyer à l’état de poussière pour me renvoyer hiberner durant quelques siècles. »

Malgré le fait que je me trouvais dans ma tête, j’eus la nausée.

« Un dieu, articulai-je d’une voix effarée, va tenter de me tuer parce que tu as établi domicile dans ma tête ? »

Tant pis pour le vouvoiement.

« N’étant pas réincarné, il le fera par l’intermédiaire de ses sbires : les Xenos. Ce sont des êtres humanoïdes aux yeux d’ébène, des soldats du Chaos qu’il a formés à partir de cadavres. Les émotions les plus noires sont leur énergie vitale tout autant que les pouvoirs de mon frère. Tout cela les rend très dangereux car ils possèdent une extrême insensibilité à la douleur et seules des attaques mortelles, visant l’emplacement de leurs anciens organes vitaux, peuvent les arrêter.

— Il est capable de créer des morts-vivants ? balbutiai-je.

— Ainsi que des tigres à dent de sabre génétiquement modifiés par ses pouvoirs et nommés Gerydïons. Ou rôdeurs dans ta langue natale. »

Cette fois, j’étais bel et bien au bord de la syncope.

« Mais il n’est pas réincarné ! Comment peut-il…

— Il se trouve toujours en état de demi-sommeil, m’expliqua-t-il. Mais nos esprits ne sont pas comme les vôtres : nous sommes immortels, et de ce fait, nous restons capables d’agir même sans un véritable corps. De manière moins aisée et moins flagrante, mais nous le pouvons tout de même. »

— Donc je suis foutu ? murmurai-je, pétrifié.

— Sauf si tu me laisses ta place.

— J’ai déjà dit non ! »

Il serra les dents.

« Ta misérable existence compte-t-elle plus que la liberté de ton peuple ? tonna-t-il. Tu as la possibilité de sauver ton espèce en prononçant quelques mots mais tu persistes à me tenir tête ? Que dois-je donc dire pour te faire comprendre que…

— Parce que tu me mens, le coupai-je. »

Un rictus barra son visage.

« Tu penses vraiment que j’ai inventé toute cette histoire ?

— Tu me caches quelque chose, je le sens. »

Ses lèvres s’affaissèrent et il plissa les yeux.

« Tes capacités sensorielles se développent à une vitesse remarquable, c’est un fait. Tu arrives à ressentir mes pensées malgré mes précautions pour les garder éloignées des tiennes…

— Je me fiche de tout ça, l’interrompis-je. Qu’est-ce que tu ne me dis pas ? »

Il garda le silence quelques instants avant de soupirer.

« Je ne me suis jamais trouvé dans une telle situation mais je suis certain d’une chose : mon réveil s’est accompagné de la réapparition de mes pouvoirs. Et étant… soumis à ton esprit, une partie de mes capacités risquent d’être sous ton emprise. »

Il était évident qu’il détestait admettre se trouver sous mon contrôle.

« Je suis en train de devenir un super héros ? dis-je, sarcastique.

— Un super-héros ? répéta-t-il en retour sans saisir le sarcasme. De la pacotille comparée à ce que je suis et ce que tu deviendras si tu persistes dans cette voie. Toutefois, plus mes pouvoirs resurgiront et grandiront, plus il leur sera facile de te trouver. Pour le moment, il est encore trop tôt mais, d’ici quelques jours, ils ne pourront plus ignorer ta présence.

« Admets-le, tu essaies de m’effrayer pour que j’accepte ta requête !

Ce qui commence à fonctionner… ajoutai-je pour moi-même. »

Je compris mon erreur trop tard. Mes pensées résonnèrent pour la énième fois et il les entendit, sans le moindre doute. Pourtant, il ne fit aucune remarque mais son visage s'assombrit un peu plus.

« La peur est une réaction normale pour un mortel se trouvant dans cette situation, dit-il. Si tu as peur, cela signifie que tu comprends les enjeux et prendras les décisions en conséquence. Tu peux prendre mes chaînes uniquement de ton plein gré, non parce que tu es manipulé. Sois conscient de la puissance dévastatrice qui déferlera sur toi et demande-toi qui de nous deux sera capable d’y faire face.

— Et je n’ai aucun moyen d’y échapper ?

— Ta simple existence est une menace pour mon frère, il ne te laissera pas survivre même si tu lui assurais ne pas vouloir t’opposer à lui.

— Et ces pouvoirs que je vais obtenir…

— Il te faudra apprendre à les maîtriser mais il ne t’en laissera pas le loisir : il s’en prendra à toi avant que tu ne deviennes une menace. »

J’avais beau me triturer les méninges, je ne voyais aucune issue pour m’extraire de cet engrenage infernal.

« Et il n’y a pas moyen de faire la paix avec lui ? risquai-je.

— Il vous privera de vos libertés, balayera toute résistance en vous anéantissant avec son armée, prédit-il. Cela te suffit comme réponse ? »

Une dictature à l'échelle mondiale ? À mes yeux, c’était invraisemblable. J’avais encore du mal à croire que le géant enchaîné devant moi puisse être un dieu tout-puissant, alors imaginer un autre arriver et tout révolutionner, c’était difficile.

Voyant que j'avais du mal à tout assimiler, il ajouta :

« J'ai peut-être le moyen de te faire comprendre à quel point nous sommes dans une situation compliquée et fort délicate.

— J'aurais employé un autre mot moins poli mais vas-y continue, dis-je avec un vague rictus.

— Je peux te proposer de voir cette guerre de tes propres yeux. Ou en tout cas, observer comment cela s'est passé la première fois. Je te propose de te plonger mes derniers souvenirs en tant que véritable Eternel et non pas limité à cette pitoyable enveloppe charnelle.

— Tu sais ce qu'elle te dit mon enveloppe charnelle ? répliquai-je. »

Il éluda la remarque et poursuivit :

« Si après avoir vu ce massacre tu penses être capable de sauver ce monde, libre à toi d'essayer. Mais n'oublies pas que…

— … si jamais je me sentais trop effrayé, le coupai-je avec sarcasme, je pourrais te laisser la place car tu serais trop heureux de te battre pour moi.

— Ton humour est horripilant, rétorqua-t-il en grimaçant.

— On me le dit souvent, et ça devient pire quand je stresse. »

Il émit un grognement incompréhensible avant de reprendre :

« Avant tout, tu dois savoir que mon frère et moi venions d’entrer en guerre pour savoir lequel continuerait à surveiller la Terre et ses habitants. Et comme je te l’ai dit, les mortels ont été contraints de choisir leur camp. Les Hommes ont donc décidé de me rejoindre, délaissant mon frère. Ils ont choisi la liberté que je leur proposais en échange de leur respect et de leur foi. Hepiryon a pris ce choix comme une trahison et a agi en conséquence.

— En formant sa propre armée, devinai-je. De monstres.

— Et en rasant une ville entière d’un geste. »

Je déglutis à cette remarque.

« D’un… D’un geste ?

— Il n’est pas le maître du Chaos pour rien. Quant à son armée, elle était suffisamment grande pour vaincre tous les guerriers qui s’opposeraient à lui et les forcer à ployer le genou. De gré ou de force, peu lui importait du moment qu’il soit leur seul souverain et qu’il régirait leur existence comme il le souhaitait.

— Ce à quoi tu t’es opposé ?

— Ce à quoi je me suis toujours opposé ! C’est grâce à moi que ton espèce a pu évoluer sans être régi par l’autorité de mon frère ! Mais lorsque la guerre s’est déclarée, il y a vu un moyen de non seulement se débarrasser de moi, mais aussi de contrôler votre espèce comme il l’entendait, vous privant donc de tout libre-arbitre. »

Je ne dis rien mais je devais admettre que sa cause était plutôt juste. Et s’il disait vrai, nous ignorions son existence alors qu’il avait grandement influencé notre évolution.

« De mon côté, poursuivit-il, j’ai usé de mes propres pouvoirs pour mettre au monde mes propres créations. Tout comme mon frère a créé les Xenos et les Gerydïon à partir de sa magie divine, j'ai créé des créatures à partir de la mienne. Sauf que ces êtres nommés Elementaris, ce qui signifie Esprits des Éléments, étaient bel et bien vivants et non pas de simples marionnettes. Et leur unique but était de soutenir et protéger les Hommes de la menace des soldats d’Hepiryon.

— Esprits des Éléments ? répétai-je. Pourquoi ce nom ?

— Parce que je leur avais offert la possibilité de manier les éléments. »

Pensant d’abord qu’il se moquait de moi, j’ironisai :

« Très drôle ! Tu as failli me faire marcher !

— Je ne vois pas ce qu’il y a d’amusant, répliqua-t-il en gardant toujours son sérieux. »

Mon sourire disparut aussitôt et je restai abasourdi par son absence de réaction.

« Attends ! Tu es sérieux ?

— Bien entendu !

— Ils maîtrisent les éléments ? réitérai-je, dubitatif.

— Es-tu déficient mentalement pour répéter tout ce que je dis ? grommela-t-il, ce qui me fit rougir de honte. »

Plus il continuait dans ses explications, plus je doutais de son récit. De telles créatures ne pouvaient avoir existé, c’était inconcevable.

« Contrairement à mon frère qui avait utilisé des cadavres, reprit-il, moi j'ai sélectionné des hommes et des femmes bien vivants, souhaitant protéger leur peuple plus encore que comme de simples humains. Les capacités hors du commun qui ont découlé de leur transformation leur permettaient de rivaliser face aux immondes créatures de mon frère. »

Pour être franc, si je n’étais pas aussi curieux j’aurais sûrement déjà quitté cet endroit en me forçant à me réveiller d’une quelconque façon. Même si j’avais du mal à admettre qu’il se trouvait bien dans ma tête, son histoire ne tenait pas la route. Rien ne pouvait être vrai !

« D’accord… finis-je par dire, incrédule, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir ?

— Sache simplement que ce que je m’apprête à te montrer est la fin de la guerre. Après trois mois de préparation, nos deux armées s’affrontaient depuis huit jours, ne laissant que des terres désolées souillées par le sang des guerriers et monstres agonisants.

— Pourquoi ne pas avoir réduit son armée à néant si tu étais si puissant que ça ? demandai-je, étonné.

— Premièrement parce que ce n’était pas mon rôle. Les combats des mortels doivent rester entre mortels, et ceux des Immortels doivent rester entre les Immortels. C’est une règle naturelle de la hiérarchie des êtres célestes que nous sommes et des êtres de chair que vous êtes. Il est vrai que même s’ils étaient très nombreux, j’aurais pu les anéantir. Mais cela m’aurait demandé une dose considérable d’énergie qui m’aurait affaibli face à mon frère. Je ne pouvais donc pas prendre ce risque.

— Alors tu préférais envoyer des hommes et des femmes mourir au combat plutôt que de leur épargner une mort douloureuse ? dis-je avec dégoût.

— Tel était leur rôle, répondit-il simplement. Et c’était avec bravoure et fierté qu’ils l’ont accepté. La mort, pour vous, est inévitable. Il serait temps de l’accepter. »

Je fus écœuré de cette réponse mais je n’ajoutai rien, excepté :

« Montre-moi ce souvenir puisque tu y tiens tant, mais n’espères pas que cela changera mes positions.

— Nous verrons. Pour que tu vois mes souvenirs, il faut que ta conscience effleure la mienne pour avoir accès à ma mémoire. Tu sais à cause de… ces choses. »

Il remua les bras et me désigna ses entraves.

« Attends ! Tu peux fouiller ma mémoire mais moi je ne peux pas sans un contact ? Je pensais que les chaînes limitaient tes capacités !

— Je peux explorer ta mémoire parce que tu laisses ton esprit totalement ouvert, répliqua-t-il. De la même manière que j’entends toutes tes pensées. Pour ma part, j’érige des barrières mentales pour éviter toute intrusion dans mes songes. Mais avec ce contact, je pourrai contrôler ce que je te laisse voir plus facilement. Tu comprends ?

— Pas trop, mais j’aimerais qu’on parle de ma vie privée que tu violes sans vergogne depuis ton arrivée !

— Cesse de te plaindre, mortel ! C'est un grand honneur que je te fais d'accéder à une partie de mes souvenirs ! »

Ah ! J'avais encore droit au fameux « mortel » et il se remettait en valeur comme si c'était un honneur de l'avoir dans mon crâne. La curiosité l'emporta cependant et je m’avançai vers lui avant de poser ma main sur son épaule. Après quelques secondes sans le moindre changement notoire, je demandai, irrité :

« Quand tu veux pour me montrer… »

Je m’interrompis brusquement lorsque le décor bascula.

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