Chapitre 4

2 minutes de lecture

— « Patrice… Patrice, mon amour… en partant ainsi, bien trop tôt, bien trop vite, tu as emporté avec toi tous les mots. Les tiens, les nôtres… »

Quoi ?! Mais, ces phrases…

— « … et surtout les miens. Tu nous laisses face à nous-mêmes, dans un silence aujourd’hui lourd de sens…

Excusez-moi, mais c’est difficile pour moi de dire ces mots. Parce que… »

Ces mots — là sont dans mon texte ! Ce sont…

— « … ce sont tes mots, Patrice ! ».

Mais comment est-ce possible ?

J’attends que Laurence reprenne son souffle et sèche ses larmes pour comprendre. Le maître de cérémonie s’avance vers elle. D’un geste à peine visible, elle lui confirme qu’elle va poursuivre. Elle pose les yeux sur son texte, « Ce sont tes mots », dit-elle à voix basse avant de relever la tête.


— « Hier soir, j’avais du mal à dormir. Alors, j’ai fait un tour dans la maison, vide. Vide de toi, vide de ta présence. Jusqu’à ton bureau, face à la chambre. Souvent, la nuit, je te retrouvais là, un stylo à la main, à rédiger tes textes. “Je me coucherai quand j’aurai fini”, me disais-tu, les yeux sur l’ouvrage qu’il te fallait voir et revoir jusqu’au petit matin. Il reste encore tous tes brouillons… Sans réfléchir, j’ai pris ceux que tu avais laissés. J’y retrouvai ton écriture, ta façon d’aligner les mots, de les raturer, d’y ajouter des flèches, des astérisques, des indices pour changer le sens des phrases, des paragraphes. Je suis restée un instant assise à ta place, à regarder une dernière fois tes “m” bâclés, tes “l” incisifs et discrets, tes minuscules voyelles. Puis, une feuille est tombée. Je l’ai ramassée et, dans le silence de la nuit, je l’ai lu.

C’était pour un éloge. Une déclaration que tu avais préparée pour un de tes confrères. C’était si bien écrit… comme toujours. Mais là, Patrice. C’était comme si tu l’avais fait pour toi !

Je pourrais vous lire ce texte. Il y en a tant d’autres. Il y a tant à vous dire sur lui. Mais je n’aurais pas la force de continuer. Je suis désolée.

Au revoir, mon amour. Tu me manques. »

 La musique reprend.

Fébrile, elle quitte le pupitre, accompagnée par le maître de cérémonie. Elle tient à peine sur ses jambes. Mais elle a pu le faire, se tenir debout et te rendre hommage, Patrice. Je me dois de le faire. Moi aussi. Je lirais la partie du texte qu’elle n’a pas pu lire, capitulant sous le poids de l’émotion. Sans le vouloir, elle a illustré juin 2019. Quand tu m’avais aidé à gérer les tensions qu’aucune parole ne pouvait calmer.

« Alexandre, en tant que leader, c’est toi qui a la parole, m’avais-tu dit, à voix basse entre deux portes. Mais dans des situations comme celle d’aujourd’hui, on peut reprendre la main sans dire grand-chose. Il te suffit de peu de mots justes et bien placés. Et aussi d’une arme infaillible qui fédère tout le monde : l’émotion. »


 Et avec Laurence, l’émotion a effectivement été forte, Patrice. Comment en aurait-il pu être autrement ? Elle-même a été la solution pour abréger ses paroles et me réserver encore quelques mots. En relisant une énième fois les lignes qui restent, j’y retrouve en grande partie mes mots, assemblés différemment par ton œil avisé pour magnifier mes intentions. Assembler pour mieux rassembler. Une base line toute trouvée à l’image de notre cœur de métier.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Eric LAISNE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0