4. Feu d'artifice

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Le bas de ma robe ondulait autour de mes chevilles. Un bustier droit réhaussait ma poitrine et plongeait dans mon dos, le laissant nu. Des minuscules diamants étaient incrustés dans la bordure du tissus.

Le jupon, légèrement bouffant, tombait en larges pétales sur les jambes. Elle ressemblait à une rose vierge et immaculée qui s'ouvrait au monde. Belle métaphore de ma position.

Je remercierais Mère, à l'occasion.

J'étais assise à ma coiffeuse, Iris tressant une partie de mes cheveux, pour les attacher en un chignon bas, d'où s'échappaient quelques mèches rebelles. Elle posa enfin un diadème élégant, ensemble d'aiguilles de saphirs qui formaient une pointe au somment de mon crâne.

Cette couronne appartenait à l'une de mes ancêtres, la Reine Théa de Ciaran. C'était la première fois que je la portais. Et je l'avais choisie ce matin, renvoyant la tiare de rubis de ma grand-mère que je devais porter.

Iris sortit un collier de rubis et de grenat qu'elle commença à nouer autour de mon cou, quand je l'arrêtait.

- Pas celui-là.

Je lui désignais alors l'écrin de velours bleu nuit, et quand elle le sortit, mes yeux étincelèrent, en souvenir du baiser que nous avions échangé avec Jacob, hier soir, dans cette chambre.

Il m'avait quitté en me susurrant à l'oreille, un sourire en coin sur les lèvres : "J'espère vous voir vêtue ainsi chaque soir".

Mes joues rosirent légèrement à ce souvenir.

Une dernière touche de parfum, une fragrance douce mais puissante de lys blanc, confectionnée par le maître parfumeur du palais.

J'étais prête. Je respirais un bon coup. C'était ma dernière soirée au palais. Mes dernières heures dans l'opulence indécente et le luxe.

Je me devais de profiter le plus possible. Qui sait quand je reverrais ma maison, ma famille… Et Jacob O'Brien.

Je chassais son nom de ma pensée. En quelques jours à peine, il s'était imposé dans mon esprit, éclipsant une partie du reste. Mais il fallait que je me reprenne. Il représentait un excellent parti pour moi, et il était certes la personne que j'appréciais le plus parmi les Héritiers des Clans, mais la disgrâce de sa famille entachait légèrement le tableau.

J'avais toujours été proche de lui, pas jusqu’à le considérer comme mon meilleur ami, mais je le connaissait depuis l'enfance, et il fallait bien le dire, nous avions été proches à l'époque. Bien plus qu'avec sa sœur jumelle.

June O'Brien. La traîtresse…

Je sortis de ma torpeur quand une servante toqua à la porte, nous annonçant que l'heure était venue de descendre.

Aujourd'hui, je ferais mon entrée après le discours de mon père, puisque j'étais mise à l'honneur.

Depuis la pièce réservée à la famille royale, en haut de l'escalier de la salle de bal, j'écoutais l'aboyeur appeler ma sœur et mes parents.

Mon père commença son discours en remerciant les invités présents dans la salle, et en faisant l'éloge de mes dix-sept dernières années de vie.

Il était dix-neuf heures pile. J'aurais dix-huit ans à vingt-trois heures cinquante-neuf.

J'étais née le jour du solstice d'été, et l'arrivée d'une princesse en ce premier jour estival avait été perçu comme un signe de glorification divine.

La famille royale avait été placée sous une bonne augure. Et en ce jour, la future Héritière que j'étais allait en être cette incarnation.

Pour ma famille.

Pour le royaume.

Pour l'honneur.

"Laissez-moi vous présenter, celle que j'ai nommée, au titre tant convoité d'Héritière du Royaume de Ciaran, ma fille, la Première Princesse, Aurora de Ciaran".

Iris me sourit, signe d'encouragement avant de quitter la salle. Les deux majordomes ouvrirent les portes donnant sur le haut des escaliers et je respirais un bon coup avant de m'avancer dans la lumière. Mon père et ma mère se trouvaient au pied des escaliers une coupe de champagne dans la main.

Ma sœur, leur faisait face, de l'autre côté des marches. Ses yeux m'assassinaient. Nous nous affrontions depuis notre plus jeune âge pour ce titre, et j'avais remporté la bataille.

Elle jubilerait en apprenant ma "trahison" profitant par tous les moyens de sa nouvelle condition, mais quand je reviendrais, couverte de gloire, je me délecterais de son expression de dépit.

Je descendis les marches, une à une, affichant mon plus beau sourire.

Les invités présents dans la salle courbèrent l'échine en une profonde révérence, les robes et costumes des treize couleurs des Clans, bruissant doucement, accompagnés de la mélodie d'un Stradivarius. Même ma sœur dût s'incliner devant ma personne.

Seul mon père et ma mère restèrent droit comme des piquets, dans leur tenue de cérémonie.

Je remarquais, à quelques mètres de moi, dans un costume rouge sombre élégant, les yeux d'ambre rivés sur le saphir niché au creux de mon cou, Jacob O'Brien, un sourire accroché aux lèvres, se redresser en levant sa coupe dans ma direction. Je souris, avant de prononcer de simples mots, que j'avais répétés en boucle avec Iris.

" Merci à tous d'être présents ce soir pour partager ce grand moment de joie en notre compagnie. Que cette nouvelle année soit marquée par de grands changements et la prospérité de nos familles ainsi que de notre beau peuple.

Soyons forts et braves comme nous l'avons toujours été, enrayons les menaces qui pèsent sur notre royaume et relevons les défis que nous imposent nos Déesses.

Je suis fière et reconnaissante d'avoir été choisie comme Héritière, et je vous promet d'honorer ce titre. Vous pourrez compter sur moi pour être impartiale, juste et fidèle à mon peuple.

Que la gloire de Ciaran rayonne parmi ses habitants.

Que les divines Moregana et Amathéra protège leur peuple.

Que le lys immaculé protège sous son fier pétale le glorieux peuple de Ciaran ".

Et tous reprirent la devise du royaume à ma suite, scandant en levant leur coupe, remerciant nos ancêtres, nos fondateurs et nos deux Déesses Créatrices à travers ce simple geste.

Demain, tous penseront que mon discours n'était que du vent. Or, j'avais promis de protéger ce royaume et mon titre. Je détruirais ces rebelles. Je protègerais mon trône.

Le peuple verrait ce discours, une caméra l'ayant filmé. Lui aussi ne me ferait plus confiance quand ils me verront avec ceux qui le réduit en esclavage.

Je descendis les dernières marches et me plaçais face à mon père. Une profonde révérence comme le voulait l'usage, puis, il inclina la tête, hommage réservé uniquement à mon nouveau statut d'Héritière de la Couronne.

Comme toujours, nous ouvrîmes le bal. Les violons se mirent à jouer leurs notes fluides. J'évoluais en tourbillonnant au centre de la pièce. Tous avaient les yeux rivés sur moi, je le savais.

Des mégères avides de scandales aux prétendants peu avisés, tous m'enviaient. Et tous s'écrouleraient sous le poids de mon devoir.

Je me délectais de leurs avidité et de leur médisance. Peu m'importait que l'on m'aime tant que l'on me respecte.

Les violons s'arrêtèrent et notre valse se termina sous les applaudissement de la foule. Mon père s'écarta et je passais ainsi une partie de la soirée à discuter avec de nombreuses personnalités.

Un peu avant vingt-trois heures quarante, la foule s'écarta autour de moi et les danseurs se regroupèrent sur le balcon, ou dans les coins de la salle.

Jacob s'avança vers moi et me tendis la main. Il serait le seul homme avec qui je danserais ce soir, mis à part mon père.

Les stradivarius reprirent et vint s'ajouter les notes d'un piano-forte.

Je me retrouvais à nouveau au centre des regards, obnubilée par les yeux d'ambre de mon cavalier, du contact de sa main sur ma taille et du spectre de son baiser sur mes lèvres.

Nous virevoltions d'un pas assuré, maîtrisé, sous les notes d'une mélodie dont le nom était tombé dans l'oubli, mais qui me rappelait étrangement les nuits de pleine lune et les promenades sous le ciel clair.

Je souriais. Cela ne passerait pas inaperçu. Mais pour une fois, c!!e n'était ni un sourire poli, ni un sourire forcé, mais l'expression même de mon sentiment d'ivresse. Je me sentais vivante.

Les yeux de mon cavalier ne fixaient que moi, valsant entre mes yeux et mes lèvres, comme s'il souhaitait prendre possession de ma bouche à cet instant précis.

L'excitation me nouait le ventre.

La main de Jacob était douce et chaude à travers mon gant de soie, tandis que nous dansions au milieu de la foule.

Divins. Nous étions divins. La perfection assurée, incarnée.

Nous étions parfaitement coordonnés.

L'atmosphère de la pièce était électrique. Tous semblaient retenir leur souffle.

Les derniers accords déchirèrent l'air et je restais, perdue dans son regard, légèrement essoufflée, sous les acclamations des invités.

Un majordome sonna une clochette et invita les convives à le suivre à l'extérieur. Jacob m'offrit son bras et je l'accompagnais dans le jardin. A l'arrière du château se trouvait une vaste terrasse surélevée, où une large piscine laissait entendre le doux clapotis de l'eau.

Des escaliers permettaient de rejoindre les jardins coté est et ouest, où se trouvait l'allée pavée sur laquelle je m'entrainais à l'escrime.

- Joyeux anniversaire, Aurora, dit doucement Jacob, au creux de mon cou, me faisant frissonner.

Vingt-trois heures cinquante neuf sonnait. Et comme pour accompagner le son des cloches, une fusée s'éleva dans le ciel nocturne, et l'embrasa de ses jets d'étincelles.

Les explosions des feux d'artifices résonnèrent dans tout mon être tandis que la main de Jacob, fermement appuyée à la chute de mes reins, était bien trop basse pour respecter les codes et risquait de choquer la morale.

Pourtant, alors que cela aurait du me gêner et me repulser, je me laissais aller au contact de sa paume en regardant le ciel nocturne s'embraser.

Ce soir, je me sentais en paix.

- Rejoignez moi dans le jardin ouest, près de l'étang, me glissa Jacob à l'oreille, alors que nous regagnions l'intérieur.

La fête battait désormais son plein, les musiciens jouaient des mélodies accompagnées des voix mélodieuses des Symphonistes, les chanteuses attitrées de la Cour.

Je dansais toute la soirée, entre deux discutions avec des invités. Le champagne coulait à flot mais je me résolut à deux coupes, évitant volontairement de choquer les mœurs en apparaissant éméchée.

Vers trois heures du matin, alors que les festivités se calmaient et que certaines familles commençaient à rejoindre leurs quartiers, je m'éclipsais, prétextant une migraine.

L'on allait me transférer d'ici deux heures.

Mais il fallait que je rejoigne Jacob d'abord. L'air frais de la nuit contrastait avec la salle étouffante.

La terrasse n'était éclairée que par de petites lampes posées au sol, mais je me dirigeais adroitement vers les escaliers. Je connaissais le chemin par cœur. Je m'enfonçais dans le jardin, au milieu des bosquets taillés et du labyrinthe végétal dont les détours n'avaient plus de secret pour moi.

Et je débouchais enfin sur le petit étang.

Les roseaux ondulaient sous la brise et les feuilles du grand saule pleureur, planté ici il y a plusieurs siècles par une Reine malheureuse en amour, glissaient sur l'eau.

A son pied, une silhouette attendait, les mains dans les poches. Son visage, le brun doré de sa peau et le rouge de son costume étaient illuminés par la pleine lune. Il me souriait.

- J'ai cru que vous ne viendriez jamais, Votre Haute Altesse.

Mon nouveau titre me fit l'effet d'une piqûre dans le dos.

- Je ne vous aurais pas fait défaut, très cher, répondis-je sur le même ton.

Je m'approchais de lui, lentement, comme une lionne avançant vers sa proie. Quand je fus assez proche, il m'attira à lui et m'embrassa sur le front.

Intimes. Nous étions trop intimes et si rapidement.

Mais le feu qui me consumait était si agréable quand Jacob était là, que j'étais prête à me laisser brûler entièrement.

- Alors profitons de ce court moment, dit il.

Ses mains glissaient sur ma taille et je poussais un soupir de contentement lorsqu'il posa ses lèvres sur les miennes.

Nous restâmes longtemps dans cette position, à nous dévorer des yeux et des lèvres.

- J'ai un autre cadeau pour vous, annonça Jacob.

Je le regardais surprise.

- Les pierreries ne suffisent pas à mon bonheur selon vous ?

- Je suis sûr que vous avez des centaines de colliers comme celui-ci, répliqua-t-il. Ce que j'ai pour vous est… différent.

Il se pencha vers les racines de l'arbre où était dissimulé un objet.

Il n'était pas emballé, et luisait sous les rayons de lune.

- Vous êtes certes une Princesse, mais vous êtes également une épéiste hors pair. Vous m'avez vraiment impressionné la dernière fois. Vous êtes plus douée que certains de mes soldats et tout autant que moi.

- Ce n'est pas la modestie qui vous étouffe, Jacob, raillais-je.

Son sourire s'agrandit.

- Je ne serais plus de ce monde depuis longtemps si c'était le cas, Princesse.

Il s'approcha et déposa un objet froid entre mes mains.

Un dague. Le fourreau en cuir noir et en argent recouvrait une lame a double tranchant. La poignée était recouverte de cuir noir et la garde en argent était sertie de lys stylisés. Une améthyste était incrustée dans le pommeau. La chappe était ornée d'un lys légèrement en relief et la devise de Ciaran était gravée le long de la lame ouvragée.

- Jacob, il est magnifique.

- Je sais parfaitement qu'il n'est pas dans les convenances d'offrir des armes à une princesse, pourtant, en tant qu'Héritière, je crains que vous n'en ayez besoin, et elle est bien plus discrète qu'une rapière.

Je rengainais la dague et l'enlaçait. "Merci", murmurais-je.

- Je prie pour que vous ne vous en serviez jamais, répondit-il en me serrant plus fort.

Un ange passa. Le sérénité de la nuit n'était entrecoupée que des hululements d'une chouette et le bruit des feuilles.

- Voulez vous vous baigner, dit-il en désignant l'étang, rompant le silence.

Je le regardais, ahurie.

- Me baigner ? Avec vous, demandais-je en riant jaune, j'ai une morale très cher et une vertu. Le protocole exigerait que je refuse et que je vous renvoie immédiatement dans vos appartements pour cet affront à ma pudeur !

Il rit.

- Je vous ai vue dans un déshabillé de dentelle, Princesse. Et croyez bien que je respecte votre honneur et votre vertu plus que tout.

Je lui donnait une légère tape sur l'épaule.

- Et puis, ajouta-t-il, je ne dirais à personne que l'Héritière du Royaume ne respecte pas le protocole en s'avilissant avec un duc de bas étage tel que moi. Surtout pas à ces langues de vipères, conclut-il en désignant le château.

Il sonda mes yeux avant de se reculer et d'ôter sa veste en lançant : "Moi, je ne dis point non à un petit bain, surtout quand je sais que j'ai toute vôtre attention".

- Lavez vous bien Jacob, vous sentez le bouc, piquais-je.

Il rit de nouveau. Mais il avait raison. Mes yeux roulaient sur son corps alors qu'il ôtait sa chemise carmin dévoilant son torse sculpté, et une cicatrice barrant son côté droit. Un digne guerrier et futur chef des armées.

Il plongea en pantalon, et avec un dernier sourire, laissa l'eau l'avaler.

Je faisais la même chose, enfant, et lorsque je rentrais, j'étais sermonnée par ma mère pour mon inconvenance.

" Tu es la Première Princesse Aurora. Conduis-toi comme telle".

Mais ce soir, je doutais. Je ne voulais pas me conduire en Première Princesse ou en Héritière, mais en jeune femme qui commençait à tomber sous le charme d'un jeune homme et qui voulait passer un dernier moment avec lui.

- Je vous aurais crue plus courageuse, Princesse, fit Jacob en émergeant des flots.

Blessé mon égo répondit à ma place :

- Tournez vous et ne vous avisez pas de me regarder.

Je me tournais, refoulant le rouge qui me montait aux joues et tentais de défaire le lacet de soie qui maintenait mon bustier mais j'échouais lamentablement. Iris l'avait trop bien noué. Il sortit de l'eau doucement, et lentement ses doigts froids de l'eau de l'étang effleurèrent ma peau.

Ma robe glissa à mes pieds et je me retournais face à lui, vêtue uniquement d'un bandeau soutenant ma poitrine et de mes bas de soie.

Je rougis lorsque son regard se posa sur moi. C'était la première fois que j'enfreignais autant de de règles de bienséance en l'espace de quelque jours.

Mais puisqu'il était le meilleur parti pour moi, j'étais certaine que lorsque je reviendrais, mon père lui accordera ma main. Et ce serait là l'occasion de raviver l'allégeance des forces armées à son Roi et à sa future Reine.

Je l'entrainais dans l'eau, frissonnant plus de la brûlure des doigts de mon cavalier sur mes reins plus que du contact glacé de l'onde, semblable à des millions d'aiguilles acérées entrant dans ma chair.

Je pestais. Il faisait si froid en cette première nuit estivale.

Jacob rit de mes jurons, un son semblable au bruissement du vent dans les feuilles du saule pleureur. Léger, doux, et suave.

- Je ne savais pas que ces charmants mots sortis de votre royale bouche étaient conformes au protocole, railla-t-il.

- Je ne savais pas que donner rendez-vous à une princesse dans un coin du jardin était protocolaire, Duc O'Brien.

- Vous êtes venue de votre plein gré, protesta-t-il.

Je laissais échapper un rire.

- Et j'en suis vraiment heureux, Aurora. De profiter de quelques moments volés avec vous, loin du palais, des convenances et de tout le reste. Juste profiter de moments où l'on est nous-mêmes.

Mon cœur rata un battement.

- Moi aussi Jacob. Moi aussi.

Et je l'embrassais, scellant au sein de mots inaudibles, la promesse de revenir.

La promesse de l'aimer.

La promesse qu'un jour, nous soyons réunis, sous ce même ciel, à contempler les mêmes étoiles.

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