1. Première Princesse

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Les lames s'entrechoquèrent une nouvelle fois. Je me mouvais avec agilité et grâce, mon bras droit supportant aisément le poids de ma rapière.

J'appuyais ma lame contre la gorge de ma sœur. Encore.

- Annie fais un effort. C'est déjà la quatrième fois que j'utilise cette botte contre toi.

Ma petite sœur grogna et une lueur meurtrière s'installa dans ses prunelles vertes.

Ca y est, pensais-je. Elle perd ses moyens.

Elle se jeta sur moi, lançant des coups de fleuret sans logique particulière et failli bien m'arracher une partie du visage. Je parais ses coups avec dédain, tant ils n'y avait ni force, ni coordination dans le moindre de ses mouvements.

Annie se laissait gagner par sa rage et tentait tant bien que mal de reprendre le dessus. Elle ne supportait pas que je sois plus forte qu'elle. Et moi je me délectait de lui faire mordre la poussière.

Au bout de cinq minutes d'esquives et de parades pour le moins ennuyantes, je désarmais ma sœur, lasse de son comportement et envoyais valser son fleuret d'entraînement à trois mètres d'elle.

L'écart entre nos niveaux était considérable. Elle était destinée à être l'éternelle seconde, éclipsée dès naissance. J'avais été entraînée tellement plus qu'elle. Elle ne vivait que pour me rappeler que le moindre faux pas me ferait chuter de mon trône d'argent.

- Tu as fini ta petite crise, sœurette? Ce manière d'agir était une belle insulte à l'art de manier l'épée ainsi qu'à notre maître d'armes. Entraînes-toi mieux que cela ou tu ne m'arrivera jamais à la cheville.

Elle fulminait. J'avais appuyé là où ça faisait mal. Ses lèvres se retroussèrent en un rictus mauvais et elle voulut dire quelque chose mais, d'un regard, je lui rappelais que le poids des convenances ne lui permettait pas ce genre de langage. Surtout pas envers une ainée.

- Ce qu'il faut que vous compreniez, Princesse Annaya, dit poliment Sir D'Argentcourt, c'est que si vous vous laissez emporter par votre rage, vous ne pourrez en aucun cas combattre avec raison et sens tactique. Lancer des coups au gré du hasard ne sert à rien face à quelqu'un qui ne se laisse pas dominer par ses émotions et qui garde entière maîtrise de lui-même.

Trois, commençais-je à décompter intérieurement.

Deux.

Un.

Annie poussa un grognement rageux et quitta l'aire d'entraînement en tapant des pieds, sa suivante Pia sur les talons. Je regardais mon maître d'armes, un noble homme dans la fleur de l'âge, l'air désespérée.

- Que vais-je faire d'elle, soupirais-je, lasse et agacée.

- Ne vous inquiétez pas, Votre Altesse. Votre sœur finira par prendre les choses moins à cœur et a accepter qu'elle ne peut pas être la première dans tous les domaines. Elle devra accepter de rester à la place que les Déesses lui ont accordée.

- Je prie pour que vous ayez raison, mon ami.

Je regardais ma montre.

- Il me reste encore une demi heure à vous accorder. Accepteriez vous un combat contre moi, Sir D'Argentcourt ?

L'épéiste fit une gracieuse révérence et accepta avec plaisir. Je retrouvais enfin la joie que me procurais l'escrime face à un adversaire de taille. Les cheveux bruns grisonnants noués en catogan, une fine moustache et les des yeux noisette fatigués, mon maître d'armes était celui qui m'avait tout enseigné, du maniement de l'épée au bottes les plus sournoises. J'étais désormais capable de rivaliser avec lui d'égal à égal.

Du moins c'est ce que je croyais.

Après deux dizaines de minutes de combat acharné, je trouvais enfin l'occasion de porter mon estocade. J'allais gagner. Ce que mon maître fît me prouva le contraire.

Alors que j'avais dévié son épée et que ma rapière fendait vers sa côte, il se reprit et donna un vif et léger coup directement sur la garde, ce qui eu pour but de me la faire lâcher mon arme. Mais le temps que je comprenne que ce n'était un coup de bluff, il était déjà derrière moi, me tordant un bras dans le dos et appuyant le tranchant de sa lame sur ma gorge.

Je soupirais.

- Décidément, vous me surprendrez toujours, mon ami.

Il rit légèrement, flatté, avant de me relâcher.

- Dans un combat, Votre Altesse, les règles ne sont jamais établies. Quand votre vie est en danger, il n'y a pas de place pour un combat à la loyale, pour les règles ou les conventions. Les petites fourberies de ce genre sont souvent celles qui vous sauverons d'une situation périlleuse. Il ne suffit pas d'avoir un schéma type et de l'appliquer. Rien ne passe jamais entièrement comme prévu et la capacité à improviser et à se renouveler est la plus grande qualité d'un épéiste, au delà de sa force, de la technicité de son art et de sa capacité d'analyse.

Je hochais la tête.

- Merci pour vos précieux conseils. Je vais devoir vous quitter, mais c'est avec joie que j'attends ma revanche. Passez une bonne fin de journée, Sir D'Argentcourt, dis-je en baissant respectueusement la tête, tandis qu'il courbait le dos en une profonde révérence.

- Au revoir, Votre Altesse.

Je quittais la partie des jardins que nous occupions lors de nos séances d'entrainement et regagnais le Palais, accompagnée de ma suivante, Iris.

- Vous avez été formidable, Votre Altesse.

- Merci Iris, mais je te l'ai déjà dit, pas de titres entre nous, quand nous sommes seules, veux tu. Je les entends suffisamment à longueur de journée. Et par les Déesses ne me vouvoie pas !

Iris sourit. Elle était ma suivante depuis nos douze ans. Fille de servante, elle avait été engagée à cet âge symbolique pour remplacer ma nourrice.

  • Pardon Aurora, je te taquine, dit-elle avant de soupirer. Allez dépêchons nous, il faut te préparer pour la réception de ce soir.

Je m'arrêtais, et la regardais, l'air dubitatif.

  • La…réception ?

  • Oui, le Bal Trimestriel. Il a lieu ce soir. Je t'en ai parlé ce matin même.

Par les yeux de Moregana, cela m'était sorti de la tête !

Maintenant qu'elle le disait, ma mémoire revint comme une déferlante.

- Et bien, soupirais-je, dépêchons-nous, très chère et je compte sur toi pour me rendre un minimum présentable.

- Tu seras parfaite, Princesse, charia-t-elle avec un sourire en coin.

Je levais les yeux au ciel en souriant avant d'emprunter un dédale de couloirs, faisant une petite dizaine de détours pour ne croiser personne, avant d'arriver, soulagée, dans mes appartements, au troisième étage du Palais Royal de Ciaran.

Iris me fit couler un bain, et lorsque je me glissais dans l'eau délicieusement chaude, je remarquais qu'elle y avait ajouté quelques sels de bain aux fragrances de rose et de lys.

Je souris et m'y plongeais jusqu'au cou. Un petit moment détente me fera plus grand bien avant l'épreuve que représentait cette Cérémonie.

Chaque trimestres, le Conseil de Ciaran composé des Treize Clans se réunissait pour un bilan des affaires du royaume.

La tradition voulait que les membres de ces honorables familles se retrouvaient pendant deux semaines pour des réjouissances, afin de garder les liens intacts.

Ce qui voilait ce beau tableau était cette Cour, remplie de commères épierait chacun de mes gestes, de même pour mes parents. Le moindre faux pas signerait mon arrêt de mort à leurs yeux.

Je suis la Première Princesse et mon devoir est d'être irréprochable si je veux, un jour, être annoncée comme celle qui succèdera à mon père, et ainsi détenir le titre, Ô combien convoité, de Sa Haute Altesse Héritière du Royaume de Ciaran.

Mais ce n'était pas tout. J'allais avoir dix-huit ans dans trois jours, et les choses sérieuses commenceront alors. Une cérémonie de grande ampleur était en préparation depuis des mois, et mon anniversaire serait fêté dans le royaume tout entier.

Et puis le bal des prétendants débutera et les propositions de mariage et d'alliance se succèderont. Nombreuses seront les nobles familles à nous présenter leurs fils pour tenter de s'assurer une lignée au sein de la famille royale.

Or, dommage pour eux, ce n'était pas gagné. Le mariage, l'amour avec un grand A, cela ne m'intéressait pas. Je ne connaissais que très peu de jeunes hommes, et la plupart étaient les enfants issus des branches principales des douze grands Clans de Ciaran. Ou bien ceux résidants au Palais.

Pourtant je n'étais proche de personne. Je n'avais aucun ami, si ce n'était ma suivante, que je considérait comme la seule personne digne de confiance au sein de mon entourage. Et Jacob, avec qui j'avais noué une certaine relation mais je ne lui faisait en aucun cas confiance, nous éloignant de ce que l'on appelait "amitié".

Et puis, je ne choisirais que le meilleur parti pour moi.

Je sortis du bain après plus d'une heure à patauger et réfléchir parmi les pétales de fleurs. Je me séchais rapidement et Iris m'apporta la robe que j'avais commandé pour ce soir : une robe longue à la jupe de tulle évasée qui semblait flotter autour de mes jambes, un bustier en cœur qui relevait élégamment ma poitrine et de longues manches en tulle bouffant. L'on voyait l'éclat pâle de mes bras nus à travers la tarlatane.

Le tulle était d'un blanc éclatant et le bustier, paré de centaines de minuscules diamants incrustés dans le tissus, ressemblait à une cascade d'étoiles.

Une robe transpirant l'innocence et l'insouciance, mais aussi quelque chose d'autre.

Je pinçais les lèvres. Aussi loin que je m'en souvienne, je n'avais toujours porté que du blanc et de l'argenté. Les couleurs de la famille royale.

Le blanc symbolisait la pureté de ses membres, et imposait leur suprématie au sein du royaume, nous présentant comme le plus haut grade social. L'argent, quant à lui, symbolisait la richesse du pays, le mental d'acier des dirigeants et le fer avec lequel nous combattions nos ennemis.

J'avais appris par cœur la significations de nos couleurs mais je trouvais étranges de tant de choses puisses être symbolisées par une simple pigmentation. Personne à part nous ne pouvais porter nos couleurs, sans s'exposer à de lourdes représailles.

Chaque Clan avait sa couleur et était reconnaissable par celle-ci. Rouge, ocre, indigo, émeraude, orange, pourpre, mauve, cyan, rose, anis, turquoise, jaune et enfin blanc.

Treize teintes pour treize familles. Le peuple lui n'avait droit qu'aux couleurs anthracites, brunes ou noires.

J'enfilais des dessous derrière le paravent puis Iris vint me maquiller puis me coiffer. Un maquillage simple et sans extravagance, les lèvres rouges et les yeux charbonneux. Et les cheveux rattachés en demi-chignon, d'où les mèches qui s'en échappaient ondulaient avec grâce le long de mon dos. Ma suivante posa une de mes tiares sur mon crâne, un ouvrage remarquable exécutée par le maître orfèvre du palais. Une améthyste était maintenue au centre de l'ensemble par les tiges d'argent incrustées de diamants, qui s'élevaient en une unique pointe, au dessus de celle-ci. Puis, Iris vint planter un lys immaculé dans mon chignon, signe que ma séance de pomponage touchait à sa fin.

J'enfilais ma robe, et respirait un grand coup en m'observant sous toutes les coutures dans le grand miroir mural. Mes talons me réhaussaient de quelques centimètres.

Pour la première fois, j'avais l'air adulte. Prête à affronter le monde entier pour m'imposer comme chef. Et un jour, je serais Reine. J'en faisait le serment.

Je regardais l'heure. J'avais cinq minutes pour rejoindre le petit salon, où nous devions attendre que tous les invités soient à l'intérieur de la salle de balle pour nous présenter à eux, tels les enfants des Déesses, acclamés par la foule en liesse.

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