2. Le Bal Trimestriel

12 minutes de lecture

- Son Altesse Royale la Princesse Annaya de Ciaran, Deuxième Princesse de Ciaran, annonça l'aboyeur.

Ma sœur s'avança, faisant flotter le satin de sa robe le long de ses hanches et qui retombait en toute délicatesse à ses pieds. De longs gants blancs paraient ses bras nus. Ses cheveux mauves, plus clairs que les miens étaient retenus en longue tresse d'où s'épanouissaient des lys immaculés et des peignes de diamants.

Le lys était le symbole de la royauté de Ciaran. Un symbole puissant, car cette fleur était considérée comme la plus pure, noble et resistante de toutes.

- Son Altesse Royale la Princesse Aurora de Ciaran, Première Princesse du Royaume de Ciaran!

L'appel de mon nom me tira de ma rêverie. Les choses sérieuses allaient commencer. Je m'avançais dans la lumière, me dévoilant aux nobles dont les yeux de prédateurs fixés sur moi n'attendaient qu'une erreur de ma part.

La sal de bal était une vaste salle qui donnait sur la cour arrière du palais. Les convives faisaient leur entrée par le couloir, derrière le vestibule de l'entrée, mais la famille royale, elle, entrait par un grand escalier qui descendait du premier étage. Sur tous le pourtour de la salle, un balcon s'étendait pour qui voulait savourer la hauteur ou se reposer et observer les gens danser.

L'orchestre se trouvait dans un coin de la pièce, les musiciens royaux en tenue de soirée attendant patiemment le moment de jouer.

Les murs blancs étaient recouverts de moulures d'or et de tentures d'argent. Les talons des chaussures crissaient sur le sol de marbre. Les hautes fenêtres donnaient sur la large terrasse et sur la piscine, au devant desquelles était disposé un buffet de mignardises et des fontaines de champagne et de vin.

Je descendis les marches une à une, le sourire aux lèvres, saluant mon peuple. Ils courbèrent l'échine comme un seul homme quand j'atteins le milieu de l'escalier de marbre et ne se relevèrent que lorsque mon talon foula le sol. J'allais me placer à droite de l'escalier, faisant face à ma sœur, sur la gauche et les titres et noms de mes parents retentirent.

-Leurs Majestés le Roi Hector de Ciaran et la Reine Regina de Ciaran.

Leur entrée se fit en grande pompe, comme toujours. Tous deux en costume de cérémonie, d'un blanc éclatant, une écharpe royale argentée et de nombreuses médailles et décorations parant leur poitrine. Mon père allait vers la cinquantaine, mais demeurait toujours aussi intimidant. Le menton haut, le port de tête altier, il respirait la fierté, l'orgueil démesuré et la puissance.

Un lys blanc était accroché à sa boutonnière et ses cheveux, dont mauve sombre commençait à se strier de blanc au fur et à mesure des années, étaient retenus en catogan. Ses yeux verts et froids qui balayaient la pièce, et me glacèrent le sang.

Ma mère se tenait à ses cotés, une main sur son bras. Sa longue robe blanche et argent relevaient sa silhouette élancée et une écharpe cyan parait sa poitrine. Ses cheveux blonds étaient relevés se chignon strict et un diadème parait le haut de son front.

Mère ne faisait pas partie de la famille royale avant d'épouser le Roi, et ses cheveux blonds et cette écharpe, ancienne couleur de son Clan, en étaient la preuve. Cependant elle dégageait la même fierté maladive le même air hautin et supérieur que mon père et ma sœur.

Le mauve sombre de nos cheveux était la caractéristique physique de notre supériorité. Résultants d'une mutation génétique, ce gène révélait autrefois sa couleur dans les yeux de ses porteurs. Désormais elle se transmettait de génération en génération comme résultante de l'arrogance des De Ciaran. Nous avions fondé ce royaume, nous lui avions donné notre nom et nous le gouvernions d'une poigne de fer. Tel était l'origine de notre puissance.

Nous nous avançâmes jusqu'au fond de la pièce où quatre sièges nous attendaient.

- Très chers amis, je vous souhaite la bienvenue pour cette nouvelle réunion trimestrielle ! Remercions les Déesses pour les derniers mois glorieux et prions-les de nous accorder leurs faveurs pour ceux à venir. Nous ouvrons ces deux semaines de réjouissances par un nouveau Bal, alors amusez-vous, mes amis, car dès demain le travail nous attends !

A la gloire de Ciaran !

- Que le Lys immaculé protège sous son fier pétale le glorieux peuple de Ciaran, scanda la foule.

Il me tendit la main et je la saisis, avant d'être entrainée au centre de la pièce. Comme le voulait la tradition, le Roi ouvrit le bal avec la première de ses filles.

Les violons commencèrent à jouer une balade et les notes de piano, de harpe et de flutes vinrent s'ajouter et s'entremêler pour créer la magie de l'histoire.

Mon père menait la danse, les muscles souples, le dos droit, et le pied agile, mais le visage toujours aussi dur et froid que le fer d'une épée.

A la fin de la valse, je saluais mon père avant de m'éclipser sur le balcon, une coupe de champagne à la main. Et j'attendis en observant. Les convenances voudraient que j'aille saluer et discuter avec tous les invités présents dans la salle, mais ce soir je n'avais pas le cœur à cela. Je voulais respirer.

- Vous avez toujours l'air aussi pensive, Votre Altesse Royale, résonna une voix derrière moi.

Je me retournais vivement, afin de voir qui avait interrompu le fil de mes pensées. Un jeune homme à la peau mate, plongea dans une gracieuse révérence. Ses cheveux étaient coupés très courts, à la mode militaire, et ses yeux d'ambre semblaient me transpercer.

- Jacob O'Brien, dis-je, que me vaut le plaisir de votre compagnie.

Le jeune homme sourit en entendant son nom.

- Et bien, Princesse, si nous échappions à ces mondanités pour nous balader quelques instants dans les jardins.

Je souris et attrapais le bras qu'il me tendait. Jacob O'Brien était l'ainé et l'héritier du Clan O'Brien, dont le père était l'un des conseillers du Roi. Chaque Clan avait une mission, un domaine d'actions qu'ils régissaient et qui leur était propre.

Les O'Brien étaient chargés des forces armées de Ciaran. Ils étaient notre police, notre milice. Le plus précieux et le plus dangereux des Clans. Car si jamais ils menaient un coup d'état, nous n'en réchapperions pas.

Voilà pourquoi les De Ciaran et les O'Brien avaient une relation privilégiée. Jacob était une connaissance de longue date, presque un ami. Presque.

Malheureusement, aussi proches soyons nous, je ne pouvais pas avoir d'amis. J'étais vouée à une existence solitaire, un peu comme une rose, seule à cause de ses épines.

Mes talons claquaient dans le couloir, à rythme régulier, tandis que le cuir des souliers de mon compère glissaient élégamment sur le marbre froid.

Son costume trois pièces, d'un rouge sanglant, se parait de plusieurs nuances de cette couleur qui lui seyait tant. Lorsque nous sortîmes dans le jardin, l'air frais du soir du printemps mourant me saisit instantanément, et je frissonnais.

Détail que Jacob ne manqua pas de remarquer.

- Tenez, prenez ceci, Princesse. Il ne faudrait pas que vous attrapiez froid, dit-il en me couvrant de sa veste de costume.

Je lui souris, en guise de remerciement.

Jacob était un allié précieux pour ma future vie de reine et je ne pouvais me permettre de le perdre. Ainsi, il fallait que je flatte son ego, qu'il se sente important à mes yeux. Je ne pouvais lui faire confiance comme si nous étions amis, comme si nous avions grandi ensemble puisqu'il pourrait me trahir à la seconde ou je la lui accorderait. J'étais constamment sur mes gardes, et je ne pouvais en aucun cas le laisser me filer entre les doigts.

L'on arriva près d'une fontaine et nous nous asseyâmes sur son bord.

- Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus seuls à seuls, dis-je pour lancer la conversation.

- En effet, Votre Altesse.

Je me retint de soupirer.

- Par pitié Jacob, laissez les "Votre Altesse" pour tous ces nobles pompeux ! Appelez moi simplement Aurora, ou si vous y tenez tant, Princesse Aurora. Après tout, nous nous connaissons depuis toujours.

Il rit légèrement.

- Navré Votre… Aurora. Ce n'est que l'habitude, mais j'y ferais attention prochainement.

Le sujet dériva sur la vie au palais, les nouvelles de ces trois derniers mois ainsi que les ragots de la Cour, et un peu de politique quand le sujet de mon anniversaire fut amené.

- En effet, dans sept jours…

- Il s'agit d'une date importante. D'un tournant dans votre vie. Non seulement vous deviendrez "officiellement" une adulte, mais vous vous imposerez en tant que prochaine leader du royaume. C'est un immense poids que vous devrez porter.

- Je le porte déjà croyez moi ! Mais j'y ai été préparée toute ma vie. J'y ferais face, dis-je avec ferveur.

Ce qui m'inquiète quelque peu, c'est la volonté des Clans à perpétrer leur descendance au sein de ma lignée. Je vais avoir droit à des semaines de diners, réceptions et autres festivités en tout genre afin de trouver le mari idéal. Cela m'ennuie d'avance !

Jacob me fixa les yeux ronds, avant d'exploser de rire. Dubitative, je le questionnais du regard, cherchant à savoir de quel droit il osait se moquer de mes inquiétudes.

- Pardonnez moi Princesse, mais je ne m'attendais pas à ce que votre plus grande crainte soit celle de vous trouver un époux. Ainsi c'est donc les longs et ennuyeux diners qui terrifient la grande Aurora de Ciaran !

Je levais les yeux au ciel en soupirant, amusée -et faisant fit de mon éducation- et annonçais, tandis qu'il rit de plus belle :

- Vous êtes un idiot Jacob !

- Cela est, pour le moins que l'on puisse dire, partiellement vrai, Princesse.

Son rire cristallin resonna une dernière fois, puis il se leva et me tendit la main.

- M'accorderiez vous cette dance, Princesse ?

- Ici ? Et sans musique ? Quelle idée farfelue, dis-je moqueuse.

- Pourquoi pas ? Laissez vous tenter par quelque chose d'insensé, Votre Altesse et laissons quelques temps les conventions pour les nobles pompeux !

Je fis la moue, voyant qu'il avait retenu mes paroles, avant d'attraper sa main. Il m'entraina dans un slow lent, sa main au creux de mes reins, ses yeux d'ambre plongés dans les miens, son corps si près… trop près.

De quoi bouleverser tous les codes de conduites préétablis.

Nous restâmes quelques minutes ainsi, avant de cesser notre dance et de retourner à l'intérieur. Je m'étais absentée déjà trop longtemps et je devrais rattraper le temps perdu avec chaque invité désormais. Je sentais que j'avais le feu aux joues, et que notre éclipse n'était pas passée inaperçue.

J'allais avoir le droit aux insoutenables et implacables regards froids de mes parents, ainsi que des murmures, lancés sur mes pas par les commères royales sur un quelconque et ridicule "amour naissant".

Or le jeune homme, d'un an mon ainé, ne m'intéressait guère pour le moment. Pas comme cela en tout cas.

Le lendemain, j'émergeais au milieu de mes draps de soie blanche quand Iris ouvrit les rideaux blancs, laissant la lumière entrer dans la pièce.

Je n'aimais pas cette pièce. Pour être plus exacte, je détestais le château entier.

Il n'y avais pas de couleur dans mon monde. Immaculé et pur sonnaient pour moi comme stérile et monotone. Je balayais la chambre du regard.

Elle se trouvais dans l'aile ouest du troisième étage du château, étage réservé à la famille royale.

Mon lit, monté sur une petite estrade, trônait au centre. Le baldaquin soutenait de fines tentures de soie argentées.

La pièce était grande, rectangulaire, et les fenêtres donnaient sur la partie ouest des jardins, et sur le petit étang où je me plaisais à lire en écoutant le clapotis de l'eau.

Face a mon lit se trouvait une grande cheminée aux moulures baroques, sur laquelle trônait une boîte à musique. Deux fauteuils avaient été positionnés face à l'âtre, et face à la fenêtre, sur la droite de la pièce était placé mon bureau où trainaient quelques lettres non ouvertes.

Je tournais la tête face à la porte, sur la gauche de ma chambre. Une coiffeuse occupait le mur entre celle-ci et mon lit.

Aucune décoration sur les murs à moulures haussmanniennes, ni sur le plafond où pendait le lustre en cristal.

Cet endroit était impersonnel, froid et sans vie. Une coquille aux allures de lieu de contes de fées. Je ne souhaitais qu'une chose, c'était de m'échapper dans le jardin, m'enivrer des fragrances des roses fraiches et les lys qui embaumaient l'air.

Je me levais et me dirigeais finalement vers la porte dissimulée dans les moulures, sur la droite de ma chambre, près de la cheminée, et donnant sur ma salle de bain.

Tout ce blanc reflétant les lueurs du soleil de si bon matin me donnèrent le vertige. Le marbre était glacé sous mes pieds.

Iris me lu mon emploi du temps du jour, pendant que je me prélassais dans l'eau chaude, pensive.

- Et après un déjeuné avec les Héritiers des Clans au Kiosque, tu devras te rendre à quinze heures tapantes dans la salle du Conseil, où se tiendra une réunion.

Je cillais.

- Le Conseil me laisse prendre part à une réunion? C'est étrange.

- Rappelle-toi que tu es la Première Princesse de Ciaran, Aurora. Et tu fêteras bientôt ton entrée dans ce cercle décisionnel que tu présideras une fois couronnée Reine.

Je ris sous cape.

- Encore faudrait-il que je sois proclamée Héritière et que mon père abdique en ma faveur, ce que je le prierais de ne pas faire de suite. Mes tiares de simple princesse sont déjà bien assez lourdes, alors celles de la Reine, je n'ose même pas imaginer.

Iris rit mais ce fut plus par politesse que par réel amusement.

- Il faut que je fasse impression à ce déjeuner, et encore plus lors de la réunion. Deux robes différentes. La première, plutôt estivale, légère et vaporeuse, tandis que la seconde doit être sérieuse sans être stricte, mais avec un minimum de charme et de candeur. Je dois paraître, aux yeux de ces chefs de Clans comme jeune et naïve, mais pas stupide et pleine de ressources.

Il fallait qu'ils croient qu'ils pouvaient se servir de moi à leur guise afin de pousser mon père à me nommer Héritière Royale. Je me servirais d'eux, sans qu'ils le remarquent et surtout, sans que mon père ne s'en doute.

Ce trône m'était destiné, et il était hors de question que je laisse mon pays et mon peuple entre les mains d'une personne aussi émotive et colérique qu'Annie.

Le déjeuné fut un véritable supplice. Nous étions dans un cadre pourtant agréable, le Kiosque se trouvant dans les jardins est du palais, au dessus d'un petit cours d'eau qui traversait l'enceinte. Des glycines pendaient au dessus de l'eau et des parterres de roseaux et de lys avoisinaient ses bords. Le chants des oiseaux étaient emportés dans la brise fraiche.

Mais tous ces messieurs assis autour de cette table, me lorgnant mais ne voyant que la promesse du titre et la bourse, m'écœuraient. Et ces jeunes dames me jalousant en silence, jalousant la blancheur de ma robe et le mauve sombre de mes cheveux, mon collier sertit de saphirs, mon diadème et mon titre.

Je voyais les rouages de leurs esprits calculateurs et rotors, s'évertuant à échafauder des plans vains pour tenter d'établir une quelconque relation amicale et s'assurer les bonnes grâces de la future Reine.

Heureusement il y avait Jacob, qui sauvait quelque peu ce repas grotesque. Ses motivations envers moi n'étaient pas des plus louables, mais au moins avait il le mérite de mieux le dissimuler que les autres courtisans, sous un masque d'indifférence amusée et de sarcasmes calculés.

Après le dessert, je quittais la salle, remerciant mes invités et m'engageais dans les longs couloirs du palais royal. Mes talons claquaient sur le marbre blanc à un rythme maîtrisé en me dirigeant vers ma chambre. Iris me fit enfiler une robe de soie blanche, avec un col en V et des manches longues légèrement bouffantes. Elle s'arrêtait au niveau de mes chevilles, dans une coupe droite et fluide.

Je sortis ma chambre précipitamment en me rendant compte que j'allais presque être en retard. Au détour d'un couloir, après avoir manqué de me fouler une cheville tant je courais vite avec mes talons, je pillais net, devant le regard bleu glacier de ma mère.

- Aurora comportez vous en Dame une fois dans votre vie, pesta-t-elle, en me fusillant du regard. N'avez-vous donc aucune tenue ? C'est indigne de votre rang.

- Navrée Mère, mais j'étais en retard pour…

- Pour la réunion avec votre père et le Conseil, oui je sais. A l'avenir, veuillez sortir plus tôt de votre chambre au lieu de courir comme une dégénérée dans les couloirs. Et si quelqu'un d'autre vous avait vue ? Ayez au moins un semblant de considération pour mes pauvres nerfs !

J'inspirais calmement, et commençant à reprendre ma route je lançais à la tête de la Reine :

- Vos nerfs sont certainement la chose dont je me soucie le plus très chère mère.

Elle grimaça tandis que je m'éloignais. "Bientôt", me répétais-je. "Bientôt, j'aurais plus de pouvoir qu'elle".

Oui, bientôt, ce sera elle qui ploiera le genoux devant moi, devant sa Reine. Le sourire malsain qui éblouissait mon visage ne disparut que lorsque je poussais les portes de la Salle du Conseil.

Annotations

Vous aimez lire skye-nightshade ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0