Chapitre 2

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Je repris conscience, allongée sur le sol, devant la porte de ma maison. Confuse, je me relevai avec lenteur en m’efforçant d'oublier mon hallucination auditive et rentrai chez moi. Loïc m'attendait dans le salon. Il bondit du canapé, paniqué.
— Ah te voilà enfin ! Mais où étais-tu ? Je commençais à m'inquiéter, il est vingt-deux heures passées ! Je t'ai appelé au moins dix fois, mais tu n'as jamais répondu !
Devant ce flot incessant de paroles, je restai bouche-bée : j’étais restée évanouie plus d’une heure ! Je répondis de façon automatique :
— Désolée, je suis sortie me balader et j'ai oublié de prendre mon portable...

Impossible de lui révéler la vérité. La culpabilité m’étreignit un instant, mais je devais bien l'admettre : son côté protecteur et rationnel aurait eu tôt fait de m'envoyer chez le docteur vérifier l'existence d'une possible tumeur au cerveau. Alors je gardai ma mésaventure secrète. Sur ce, je l'embrassai, ce qui signifiait dans mon langage : fin de la conversation, et allai prendre une douche. Je le retrouvai plus tard sur le lit en train de lire son roman policier. Absorbé dans l'histoire, il ne prêta pas attention à mon arrivée dans la chambre. Je voulus le taquiner un peu puis me ravisai. Après tout, éreintée par la chaleur, je n'avais qu'une hâte : plonger dans les bras de Morphée. Le sommeil m'envahit assez rapidement malgré l'écho de la voix vindicative et emplie de rancoeur qui résonnait dans ma tête.

Un bruit sourd me réveilla en sursaut. Je m'assis dans le lit et jetai un coup d'oeil à mon compagnon, mais celui-ci dormait à poings fermés. J’enviai parfois sa capacité à dormir aussi profondément. Je perçus soudain une présence et, lorsque je dirigeai mon regard vers la porte de la chambre, je distinguai une ombre en sortir. Sur le moment, je pensai avec appréhension à un cambrioleur, mais je n’entendis aucun bruit de pas. Or, le vieux plancher grinçait toujours beaucoup. J'avais surement dû apercevoir le reflet de quelque chose... Qu'est-ce que cela pouvait être d'autre ? Un fantôme ? Je me mis à rire nerveusement. Je ne possédais pas la faculté de voir les fantômes. Et tant mieux !

Quelque peu rassurée, j'essayai de me rendormir, la tête à moitié enfoncée sous les draps. Je commençai à peine à somnoler, quand une mélopée envoûtante me parvint aux oreilles. Je ne m'étonnai pas outre mesure, cela me semblait presque naturel et familier... Cet air mélancolique me berçait tendrement. L’instrument me rappelait le son d’une flûte mêlé à celui d’une harpe de cristal. Tout de même intriguée par cette musique qui ne cessait pas et qui semblait tout droit sortie d'un rêve, je me levai, descendis les marches et ouvris la porte d’entrée. Personne dans le jardin. Le son semblait venir de l'autre côté de la maison. Les aiguilles de la pendule indiquaient quatre heures du matin.
— Ça a beau être splendide, ils se foutent du monde ! m’exclamai-je à voix haute.
Bien décidée à leur dire ce que j'en pensais, j'allai dans la cuisine et ouvris la fenêtre. Sur la route, un jeune homme brun me tournait le dos. Je m’apprêtai à le rabrouer quand je m'aperçus qu'il était seul, sans instrument ni poste radio. Il se contentait de regarder le ciel avec insistance. La musique avait cessé.
— Vous aussi, cela vous a réveillé ? l’interrogeai-je.
Il se retourna lentement avec une expression à glacer le sang. Je pouvais sentir son aura pleine de rage et de rancune qui pulsait tout autour de lui. Il s'approcha de moi et mes membres ne me répondirent plus. Pourtant, malgré ma terreur, je ne pus m'empêcher de contempler ses yeux d'un vert émeraude magnifique. Ils semblaient m’aspirer dans une spirale où la beauté côtoie la colère destructrice.

— Je ne pensais pas te duper si facilement, murmura-t-il d'une voix pensive. Te voilà captive dans ma cage, petit oiseau.

— Qui êtes-vous ? Quel est votre problème ? attaquai-je, agressive.
— Mon problème ? répondit-il, avec un sourire narquois. C'est toi et cela depuis des siècles ! Après ce que tu m'as fait, j'ai erré dans le néant jusqu'à ce que je sois assez fort pour revenir me venger.
Un frisson me glaça les entrailles.
— V...venger ? Mais de quoi ?
Il continua son monologue en ignorant ma question.
— Lors de ta dernière réincarnation, j'ai bien failli t'avoir... Seulement, tes gardiens sont trop nombreux à tes côtés ; ils m'ont empêché de t’atteindre. J'ai donc mis au point un stratagème : si je ne pouvais venir à toi, ce serait toi qui viendrais à moi, de ton plein gré. Tes protecteurs ne peuvent agir contre ta volonté ; la loi du libre-arbitre ! Te voilà désormais piégée dans mon monde.

La première chose qui traversa mon esprit fut que son degré de folie dépassait l’entendement. Néanmoins, je pris garde de ne pas l’interrompre à nouveau. Quand il eut fini son explication, je rétorquai :
— Vous insinuez que je suis dans « votre » monde ? Je reconnais pourtant bien ma maison, ma rue, le village. En revanche, je ne me souviens absolument pas de vous ! Je pense qu'il y a méprise sur la personne.
Un rictus de haine déforma son visage.
— Tss, ça ne m'étonne pas, cette stupide loi de réincarnation voile la mémoire de toutes nos vies, mais je pense que, lorsque ta fin sera proche, tu te rappelleras ce que tu m'as fait !
Je rentrai dans son jeu pour gagner du temps. Si seulement, je parvenais à réveiller Loïc...
— Si je vous ai fait du mal par le passé, pardonnez-moi, dis-je en haussant la voix, mais je ne suis plus, aujourd'hui, celle que vous avez connue. Qu'êtes-vous ? Un esprit ? Pourquoi ne pas choisir de vous réincarner ?
— Ma rage m'empêche d'accéder à ce droit. Je ne peux oublier ce jour d'automne où tu m'as trahi... je ne le peux.
Pendant une seconde, un éclat de profonde tristesse obscurcit son regard, mais la colère la remplaça presque immédiatement me laissant coite. J'arrivais pourtant à articuler :

— Si vous voulez, on en parle demain autour d'un bon café. Ecoutez, il est plus de quatre heures du matin. Demain, je travaille alors j'ai besoin de dormir. Au revoir.

Au moment où je refermai la fenêtre, il surgit à mes côtés en un éclair, saisit fermement mon bras gauche et me souleva d'un coup en me projetant hors de ma maison, sur la route. Cela se déroula si vite que je ne réagis pas tout de suite. Une peur panique s'empara ensuite de moi et je criai, hystérique :
— Mais laissez-moi vous êtes fou ! Loïc, LOÏC ! À l'aide !
L'homme me dévisageait, mais ne bougeait pas. Je continuai de hurler, pourtant personne ne venait à mon secours.
— Je te l'ai dit, tu es dans mon monde. Personne ne peut t'entendre. C'est comme une autre dimension de ta réalité. Regarde ! me dit-il en pointant son doigt vers le ciel.
Surprise parce qu'il venait de dire, je suivis son doigt du regard. D'abord, la seule chose que je vis fut Orion, puis une autre constellation attira mon regard. On aurait dit une longue figure géométrique composée de cercles, de lignes et de points. Mais le plus étrange, c'est qu'elle se déplaçait partout dans le ciel, disparaissant puis réapparaissant ailleurs en un clin d'oeil.
Je commençais sérieusement à croire que je rêvais à moins que, perspective plus effrayante, cet homme disait vrai : j'étais prisonnière d'un monde chimérique...
Je me tournai vers lui et me composai, avec difficulté, un masque placide.
— Et maintenant ? Que va-t-il se passer ?
— Tu entends le bruit de ton jugement ?
Il arborait toujours cet insupportable petit sourire narquois à la limite du sadisme. Qu'allait-t-il donc me faire ? Je n'avais rien à me reprocher, d'ailleurs je n'avais aucun souvenir de ce qu'il avançait. Plongée dans mes pensées, je ne me préoccupai pas de la puissante brise qui s'était brusquement levée un peu plus loin. Cependant, un bruit démoniaque m’arracha totalement à ma torpeur : le vent hurlait tel un fantôme prisonnier sur Terre. Un son insoutenable et terrifiant, mais encore si loin que je ne pus encore en subir véritablement les effets néfastes. — Mais qu'est-ce que... que se passe-t-il ? pensai-je, affolée, en apercevant soudain une tornade translucide. J'essayais de calculer sa trajectoire afin de m'enfuir à toutes jambes loin de ce désaxé et de cette "tornade" ou dieu sait quoi ! Mais encore une fois, je dus remettre à plus tard mes pensées car, devant moi, venaient d'apparaitre des ondes disposées en cercles concentriques, comme l’ébauche d’un vortex.
Le rugissement du vent me pétrifia tandis que la rafale tourbillonnante m'emportait dans les airs. Jamais je n’avais ressenti de peur si grande, ni aussi profonde. Mon corps devint la

marionnette de l'élément déchaîné. J'eus peine à voir l'auteur de ma terreur. De lui, je ne distinguai que son sourire glacial. Il tenait enfin sa revanche et se préparait à en jouir.

On aurait pu croire que je dansais avec le vent si mes membres ne se tordaient pas aussi violemment. J'avais mal, une souffrance à en mourir, qui ne se devait pas tant à ma torture physique qu'à un tourment émanant des tréfonds de mon âme et de mon coeur. Persuadée de ma fin prochaine, je tentai un dernier regard éploré vers les étoiles et pensai à mon compagnon dans notre lit, inconscient de me perdre à jamais. C'est alors que, dans ce moment d'acceptation de ma mort, qu'une voix se fit entendre : la mienne !
— Tu n'as rien à craindre, la mort n'est pas une fin, en revanche la peur tue l'esprit. Tu le sais. Aie confiance !
Ma voix intérieure ne m'avait pas abandonnée, même à ce moment... surtout à ce moment. Elle répondait toujours présente quand j'avais le plus besoin d'elle. Nos malheurs naissaient le plus souvent par le doute et la peur, déclencheurs de notre affliction : pouvais-je avoir matérialisé, par mon angoisse, ce vent tout droit échappé des enfers ? J'inspirai alors plusieurs fois profondément alors que mon corps continuait d’être écartelé. Mon coeur ralentit peu à peu sa cadence pendant que la confiance et la paix s'installaient dans mon esprit. C’est ainsi que le vent perdit de sa force. Je pouvais le sentir autour de moi et en moi. Je devenais le vent. J'étais le vent.

Et c'est dans cette "méditation" non désirée que je découvris la raison pour laquelle cet homme m'en voulait tant...

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