Chapitre 3

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J'étais belle en ce temps-là, si belle... Ma robe dorée, nouée à la taille par une cordelière rouge, et ma longue chevelure brune volaient dans la brise. Je ne paraissais pas vraiment humaine, ma peau opaline irradiait d'une lumière scintillante. Je tournai mon regard vers des cieux parme et contemplai deux soleils dorés ainsi qu’une lune verte en filigrane... Je reconnus alors ma belle planète : Archasola, dans le système d'Orion.
Je rayonnais de bonheur car, en ce jour merveilleux, je me préparais à épouser Athan. Mon coeur bondit dans la poitrine à l'évocation de mon aimé. J’attendais avec impatience son retour de son initiation dans la forêt des songes ; initiation dans le but de devenir un homme accompli avant le mariage. En réalité, cette union n’aurait pas dû être autorisée : en tant que fille du roi de ce pays, je me devais d’épouser un prince de mon rang. Sauf qu’Athan n'était pas un prince amené à régner, mais le cousin éloigné du souverain que père m'avait choisi. Pourtant, en nous côtoyant fréquemment, l’amour avait tissé entre nous des liens magnétiques immuables. Mon père avait alors consenti à notre hymen sacré ; un peu trop facilement d'ailleurs, mais j'étais si heureuse que je ne m'en préoccupais pas.

Deux jeunes filles, mes suivantes – et amies –, m'accompagnaient. Je me tournai vers elle, resplendissante et le sourire aux lèvres.
— Nyla, Oris ! C’est le plus beau jour de ma vie ! chantai-je, le coeur candide.
Dans l'enceinte du palais d'argent, les préparatifs battaient leur plein. Tout le monde s’affairait à faire de cette journée une cérémonie inoubliable. Je grimpai les escaliers de cristal et entrai dans ma chambre. La robe de mariée attendait son heure de gloire sur le mannequin à mon effigie. Semblable au cristal le plus pur et parsemée de lumière, elle était magnifique, féérique, indescriptible. Ma mère l'avait portée avant moi et reçue en cadeau par des Sylphes ; cette robe s'adaptait à quiconque la portait. Mes deux amies me rejoignirent et commencèrent à me déshabiller, puis elles m'enduisirent d'une huile enchantée afin de révéler ma beauté. Enfin, elles m'aidèrent à enfiler la robe joyau. Nyla réalisa ensuite une coiffure digne de la reine que je serai bientôt en y ajoutant de la poudre des fées pour les illuminer. J'étais splendide, je ne pouvais le nier. Quelqu'un frappa à la porte. Oris alla ouvrir et un visage familier apparut, souriant.
— Père ! Que je suis heureuse ! m’exclamai-je, innocente.
Malgré une apparence radieuse, le regard du roi sembla se voiler de tristesse et de colère. Je n'y accordai pourtant pas grande importance ; après tout, sa fille unique allait à présent devenir une femme, sur le point de le quitter qui plus est. Il congédia mes deux suivantes et prit mes mains dans les siennes.
— Tu es si belle, on dirait ta mère, murmura-t-il, ému.
Puis d'un ton plus enthousiaste, il ouvrit une bouteille de cikaline, alcool doux très apprécié des nobles dames, en remplit deux coupes et m'en tendit une.
— Trinquons à la plus belle mariée de cette planète ! Puisses-tu être comblée...
J’avalai le liquide d'une traite, grisée par les évènements.
— Et me pardonner... enchaîna-t-il dans un souffle brisé.
— Te pardonner de quoi, père ? Je ne te reproche plus la mort de mère. Je sais à présent qu'il s'agissait seulement d'un accident, alors ne t'en fais pas. Je t'aime.
Je l'enlaçai fortement puis le relâchai enfin. Des larmes embuaient ses yeux.
— Ma chère fille, je te retrouve en bas pour la cérémonie, déclara-t-il avant de quitter la pièce.

— Hum, je le trouve vraiment étrange ces derniers temps. Enfin, pour le moment ne pensons qu'à Athan et moi... ah mon bel Athan, rêvai-je. Cet homme aux cheveux bruns et aux yeux verts si pénétrants. Que je les aimais tant, ces yeux teintés d'or, oui, bruns constellés de paillettes dorées. Comment ? N'était-ce pas verts ? Tiens, pourquoi ai-je pensé à des yeux verts ?

Une indicible confusion m’envahissait. Un instant, un vide s’empara de mon être et un frisson glacial me transperça l’échine. Je secouai la tête pour remettre mes idées en ordre.
— Allez il est temps que je descende voir si Athan est arrivé. Athan ? Mais non, qu'est-ce que je raconte ? C’est Moëric que je vais épouser.

J'étais prête, bien qu’un peu troublée, sans doute à cause de l’alcool ingurgité. Je descendis les marches et rejoignis mon père dans la salle du trône. Avec un sourire complice, il s'approcha de moi et, ensemble, nous sortîmes, acclamés par la foule. Je n'avais jamais vu autant de monde réunis dans la cour du palais. Une appréhension me submergea soudain, interrompant ma marche, mais mon père me poussa en avant. Puis je le vis, sous l'arbre des Unions Sacrées. Ses longs cheveux châtains flottaient dans la douce brise. Il se retourna vers moi et ses yeux mordorés me pénétrèrent toute entière. L'espace d'une seconde, j'esquissai un léger pas en arrière, cependant, une sensation de chaleur embrasa rapidement mon corps. Je le désirais de toute mon âme ! Il saisit main avec délicatesse et me sourit, tandis que je venais me placer à ses côtés. Le Grand Prêtre commença à parler, quand une onde tumultueuse agita la foule. Qui osait donc interrompre la cérémonie ? Je me tournai mon regard vers l’origine du désordre et aperçus un jeune homme brun, essoufflé et amaigri, qui bousculait les invités pour s'approcher de l'Arbre.

— Et bien, que signifie un tel comportement ? Répondez ! ordonnai-je, agacée.
Il me fixa, hébété, de son regard vert émeraude éblouissant qui me déstabilisa un court instant. Quelque chose en moi remua et un haut-le-cœur me prit soudain.
— Mais, Lyana, qui est cet homme à tes côtés ? c'est moi que tu dois épouser aujourd'hui ! Mon initiation est terminée. Tu m'as tant manquée !
Comment osait-il s’adresser à moi de façon si familière ?
— Je ne sais qui vous êtes, mais cet homme, rétorquai-je en désignant Moëric, est mon futur époux et vous dérangez cette union ! Gardes ! Enfermez cet impudent au cachot et qu'il n'y sorte pas ! Quel affront !
Profondément choqué, il se laissa emporter par les gardes qui l’empoignaient avec force pour l’éloigner.

— Lyana! s’écria-t-il, que t'est-t-il arrivé ? Trois mois et tu m'as déjà oublié ? Ton cœur ne se souvient-t-il donc plus de ton amour pour moi ? Réponds-moi ! C'est moi, Athan, ATHAN ! Lyana... non, non lâchez-moi !
Ses cris résonnèrent dans l’assistance durant de longues secondes. Je ne connaissais pas cet homme et pourtant... pourtant lorsque j’avais entendu son prénom, mon cœur s’était mis à vibrer. Athan... ce même nom que j'avais prononcé par erreur, peu de temps auparavant. Simple coïncidence ? Peu importait au final ; sans doute un amoureux éconduit que ma mémoire avait occulté. Je me tournai de nouveau vers le prêtre en lui ordonnant de continuer, mais celui-ci se contenta de me fixer d'un air perplexe.

— Que se passe-t-il encore ? pestai-je, impatiente d’en finir avec ce cérémonial désastreux. Un coup d’œil à Moëric m’indiqua qu’il partageait mon humeur : la paupière de son œil tressautait d’irritation. Les invités, eux, patientaient en silence malgré quelques murmures épars.
— Cet homme vous est-il vraiment inconnu, ma dame ? me demanda le prêtre d’un air embarrassé.
Il hésita vraisemblablement à poursuivre, alors je l’encourageai d’un haussement de sourcils. — Car, ajouta-t-il enfin, si son intervention ne vous a touché ni le cœur, ni l'âme, pourquoi ces larmes inondent-elles vos joues ?
Je le fixai à mon tour, déconcertée, et effleurai mon visage ruisselant d’un chagrin nébuleux, hors de ma portée. Je m’essuyai d’un prompt revers de main.
— Cet imbécile a ruiné mon union avec Moëric et cela me contrarie. Je vous en prie, continuez.

Le reste de la cérémonie se déroula sans autres incidents, mais mon esprit demeurait tourmenté par une torpeur quotidienne dont l’origine m’échappait. Et le resta jusqu'à la mort du roi, jour où la vérité éclata, mais ce fut bien des années après mon union, laquelle d'ailleurs ne me rendit pas heureuse... Lorsque mon père décéda, son plus fidèle conseiller me remit une lettre cachetée par la magie du sang. Pensant qu'il s'agissait de formalités concernant le royaume dont j'étais à présent la reine, je brisai le sceau sans plus attendre et dépliai la lettre. Ce que j'y lu me glaça les entrailles : mon père, que j'admirais tant, m'avait trahi. Je comprenais mieux pourquoi ma vie, depuis mon mariage, était dénuée de sens à mes yeux. La politique n'apportait- elle donc que souffrance et amertume ? Terrassée par la tristesse, je m’écroulai sur le sol. Si gouverner signifiait l'acceptation de tant de compromis, ennemis du bonheur alors j’abdiquerai mon titre !

Ainsi, j'abandonnai mon statut et mon pouvoir à mes enfants, assez âgés pour cette tâche. Je leur expliquai la raison de mon geste puis, avec ma fidèle Oris – Nyla avait rejoint l'autre monde quelques années auparavant –, je quittai mon palais dans une atmosphère vespérale.
Pourtant, avant de franchir les portes de la citadelle, je me souvins d'un détail qui déchira mon cœur : qu'était-il advenu d’Athan ? Cet amour oublié que j'avais jeté au cachot sans plus y penser si tôt mes épousailles terminées... Vite, très vite, je me rendis à la prison et rappelai aux gardes qu'un homme avait été enfermé là, par mon ordre, lors de mon mariage. Mais ces gardes- là étaient trop jeunes pour avoir assisté à la cérémonie.

— En bas, demeure le plus vieux des gardiens, répondirent-ils, il vous renseignera surement. Je les remerciai puis descendis dans cet endroit sombre et humide. Mes pas résonnèrent dans l’étroite galerie éclairée par des flambeaux. Au loin, une silhouette se dessina.
— Hé ho ? criai-je.
L’écho de ma voix se répercuta sur les murs. L'homme se retourna avec lenteur et me dévoila un visage parcheminé de profonds sillons. Il semblait enraciné à cet endroit depuis des centaines d’années. Mon cœur battait la chamade.
— Hum, qui êtes-vous ? Et que désirez-vous ? me demanda-t-il d’une voix indolente.
Étonnée qu'il ne me reconnaisse pas, je rétorquai, plus assurée :
— Je suis Lyana, la reine, et j'aimerai savoir ce qu'il est advenu du dénommé Athan que j'ai jeté cruellement en prison, il y a vingt-cinq ans, le jour de mon mariage !
Le vieillard me fixa de ses yeux bleu pâle et, pendant un instant, j'eus le sentiment qu'il essayait, par ce biais, de lire les souvenirs dans mon esprit. Son regard se détourna.
— Un tout jeune homme au cœur brisé s'appelant Athan ? chuchota-t-il. Oui, je me souviens de lui. Il m'a conté son histoire, votre histoire. Malgré son récit, nous n'avions reçu aucun ordre de votre part ou du roi afin de le libérer. Enfermé pendant tout ce temps, il ruminait sa vengeance, car vous savez, il ne vous a pas pardonné... jusqu'à son dernier souffle. Il a tant souffert.
Mon cœur, déjà si malmené, se brisa en mille morceaux. Trop tard ! J'arrivai trop tard !
— Vous... vous voulez dire qu'il est mort ?
— Oui, votre majesté, son corps n'a pu résister plus longtemps. Malheureusement, vous l'avez raté de peu.
Je me mis à pleurer, déversant hors de moi tout le mal que j'avais causé inconsciemment. Comment pourrai-je un jour me pardonner ? Il me faudrait plus d'une vie pour cela!
Le vieux gardien arbora un air surpris.
— Vous pleurez ? Vous l'aimiez donc encore ? Cela ne me regarde pas, mais je ne comprends pas.

— Vieil homme, j'ai été trompée par l'homme en qui j'avais le plus confiance. À cause d’un sortilège, j'avais tout oublié d'Athan. A présent que la mémoire m'est revenue, mon cœur est devenu mon propre enfer. Je l'aimais tant, si vous saviez.
Je plongeai mon visage entre mes mains dans un geste vain de cacher la honte de mon acte insoutenable.

— Ses derniers mots ont été : "Lyana je te retrouverai... " Si cela arrive, dans d'autres vies, par amour pour lui, souvenez-vous. Pardonnez-lui et pardonnez-vous...

Lorsque je relevai la tête, le vieillard avait disparu. Comme s'il n'avait jamais existé.
Je partis, une partie de moi en moins, celle qui était morte dans ces geôles en même temps que mon aimé. Je laissai partir Oris et vécus seule, en expiation. Solitude et pauvreté furent mon lot quotidien au fond de la forêt d'Émeraude avec pour seule compagnie : arbres, animaux et parfois des fées. Quand je sentis ma mort approcher, je fis le serment de retrouver Athan, par-delà le temps, et de me rappeler...

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