Compte à rebours

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Je suis enveloppée… J’entends la pluie tomber drue sur la toile et le vent souffle. Une odeur de menthe poivrée emplit mes narines et je sais que je suis près d’Evaïs. Je ne veux pas ouvrir les yeux… Je suis si bien... Je sens la chaleur de son corps contre le mien…

Attends ! La chaleur de son corps ?

J’entrouve les paupières. Ma tête est posée… sur le torse nu d’Evaïs ! Il a un bras passé autour de mes épaules et il me serre contre lui. Ma main est posée près de son cœur, je n’ose la retirer.... Sa respiration est lente et régulière, il doit dormir. Je rougis. Il fait sombre…

Je me demande quelle heure il est...

Je me blottis un peu plus contre lui, profitant un peu de la situation et du confort de ses bras plus que je ne devrais.

- Ne te gènes pas surtout…, me dit-il, un sourire dans la voix.

- Pourquoi ? Cela dérange-t-il Monseigneur le Prince ?

Je l’entends rire doucement. Il resserre son étreinte et j’en profite pour lever la tête pour déposer un baiser sur ses lèvres. J’adore être près de lui.

- Comment te sens-tu ?

- Bien je dois dire… Enfin, mieux…

- Je l’espère ! En même temps, cela fait… trois jours que tu dors ainsi !

- Trois jours ! Oh non ! C’est une catastrophe !

- Mais pourquoi ? Que se passe-t-il ?

- Attends-moi une minute veux-tu ? Je dois d’abord aller voir Aoi…

- Je… Euh… Très bien, je t’attends.

Je repose ma tête sur son torse : je sais que je suis en sécurité avec lui. Je sens la caresse réconfortante de sa main dans mes cheveux. Je me connecte à Aoi. Il dort. Je ne sais pas si je dois le réveiller ou pas…

Maman Lyana ! Enfin ! Tu dois absolument réveiller Alois ! Mère est vraiment à bout ! Je dois absolument être à Nymphea avant la prochaine nouvelle lune !

Je me précipite au chevet de mon petit prince : il faut croire que lui aussi a dormi durant ces trois derniers jours. Le combat avec Aurale aura été plus difficile que je ne le croyais ! Je le secoue.

- Aoi ! Aoi ! Réveille-toi, mon petit prince !

- Je… Que.. que se passe-t-il ? Je…

- Aoi ! Nous avons dormi trois jours !

- Quoi ?!

Il semble aussi surpris que je l’ai été. Pourtant, j’ai cru que sa réserve d’énergie était inépuisable ! Je lui fais la remarque : Aoi m’informe que les sources d’énergie varient en fonction de l’état d’esprit… Ainsi, la colère peut la décupler quand la tristesse peut la tarir. J’imagine qu’après avoir causé la mort de son frère, mon petit prince s’est senti déprimé.

Angeline est angoissée, cela se ressent : son œuf a perdu sa douce couleur nacré pour un rose fuschia plus agressif. Elle nous apprend que Athénays a déjà failli une fois : nous avons frôlé la catastrophe. Elle s’est reprise juste à temps mais ne tiendra plus très longtemps : la passation de pouvoir doit se faire à la prochaine nuit sans lune. Nous devons déterminer quand cela aura lieu et nous rendre à Nymphea au plus vite. Je n’ai eu ni le temps, ni l’occasion d'appeler Galadryelle. Il va falloir y remédier. Enfin, la guerre matricide a toujours lieu et Aoi pense que ses frères peuvent être au courant de notre contrat. Il préfère rester sous sa forme de renard blanc, vu que c’est moi qui l’ai créée, tout en cachant au mieux son aura.

Une question reste en suspens : devons-nous mettre Evaïs au courant de la situation ? Il est vrai qu’il nous a déjà offert son aide face à Aurale, mais il possédait aussi des documents sur Nymphea et Alois. J’essaie de mettre mes sentiments naissants de côté pour le bien de tous : je veux rester impartiale. En revanche, il pourrait nous être utile d’un point de vue militaire : face aux armées des insurgés et à celle royale, nous ne sommes que deux. Qui plus est, Aoi est considéré comme un traître par les deux camps. Il me paraît difficile d’y faire face, surtout que nous devons absolument entrer dans le palais. Aussi, nous ne sommes pas sûrs qu’il ne reste plus d’espions de Nymphea dans les gens d’Evaïs. C’est un véritable casse-tête.

- Je crois que nous n’avons guère le choix, commence Aoi. Evaïs est un génie militaire et prince d’Arachnya : son aide peut nous être précieuse. Nous allons devoir lui faire confiance. Je sais que tu éprouves des sentiments pour lui Alyana, inutile de me les cacher… Si jamais il s’avère être un ennemi…

- Je sais… Je ne cherche pas à les cacher mais l’heure n’est pas aux émotions. Si nous ne parvenons pas à Nymphea le plus rapidement possible, Noctalya court à sa perte. Nous allons donc parler à Evaïs. Personne ne sait s'il n’y a pas encore d'espions autour de nous…

- Pour cela, j’en fais mon affaire : perché sur ton épaule, je pourrais les débusquer. Alyana… devons-nous lui parler aussi de tes origines?

- Je… Non… pas encore. Il y a encore trop de zones d’ombres sur le passé de mon père…

- Très bien. Allons-y.

Je me réveille dans les bras de l’homme que je commence à aimer. Il me regarde et je lis dans ses yeux un mélange de curiosité et d’appréhension. Je m’étire, passe mes bras autour de son cou et l’embrasse. Surpris, il me laisse faire et me serre contre lui. Je tends l’oreille : la pluie semble s’être arrêtée. Les panneaux de la tente laissent filtrer les lueurs de l’aube. Je lui propose d’aller admirer le lever du soleil : il accepte, même si je perçois chez lui une note de… méfiance ? J’espère me tromper…

Il sort en premier de sous les couvertures et s’habille. J’en fais de même, tentant d’ignorer le pincement que j’ai au cœur. Il m’attend à l’entrée et me tend la main. Je la saisis avec un sourire que je sais triste, sans en connaître la raison de ce sentiment pourtant bien là. Le spectacle à l’extérieur est affreux : il semblerait qu’une tempête se soit donnée à coeur joie ! Certains arbres sont couchés, déracinés. Le niveau de l’eau de la rivière a considérablement augmenté sans toutefois perdre ses nuances arc-en-ciel mais le flot est tumultueux et son grondement, profond. Le ciel est nuageux et de nombreux éclairs en parcourent la voûte. Je reste un instant interloquée. Je crois qu’il va falloir repasser pour le lever du jour.

Il m’apprend que lorsque je me suis effondrée, le ciel s’est soudainement assombri : le vent s’est mis à souffler avec une violence inouïe. Il a fallu mettre tout le monde à l’abri. Son général élémentalien complet n’a rien pu faire, ne serait-ce que pour calmer les éléments. Cela lui a été incompréhensible. Puis la pluie s’est mise à tomber drue : si forte que même les arbres ployaient sous cette averse. Les psychiques se sont relayés durant deux jours et deux nuits pour protéger le camp : ils n’ont pas pu tout arrêter, tellement le déchaînement des éléments était terrible. Aucune vie n’a été perdue mais cet orage a décontenancé plus d’un et la méfiance s’est installée dans le camp.

De la méfiance envers nous.

Nous marchons main dans la main sur le sol détrempé par la pluie : mes pieds s’enfoncent dans la boue. Je n’en ai cure : un sentiment bizarre enfle dans ma poitrine. La peur ? Oui… La peur de le perdre, qu’il soit notre ennemi, qu’il refuse de nous aider… Je serre sa main un peu plus fort. Il soupire.

- Vas-tu enfin me dire ce qui se passe Alyana ?

- …, je regarde aux alentours, anxieuse.

- Ne t’en fais pas, personne ne peut nous entendre : j’ai placé un filtre de son tout autour de nous. Écoute : tu n’apercevras même pas le bruit de l’eau.

Effectivement, nous sommes isolés dans une bulle insonorisée. Je ne sais même pas par où commencer, ni ce que j’ai le droit de lui dire.

- Evaïs… Je… Nous sommes dans une situation délicate… Voire même catastrophique…

- Quand tu parles de nous…

- Je parle de Noctalya.

- Noc… , fait-il surpris. Je… J’ai du mal à te suivre. Est-ce que ça a un rapport avec Alois et Aurale ?

- Oui. J’ai été mêlée à cette histoire bien malgré moi… Mais il s’avère qu’Aoi est devenu mon meilleur ami et je me dois de l’aider. Je ne sais malheureusement pas de quoi j’ai le droit de te parler…

- Alyana, laisse-moi lui exposer la situation.

- Très bien Aoi. Alois Aqualya.

Mon petit prince apparaît alors devant nous. Il bat des ailes afin de pouvoir être face à face avec nous. Encore une fois, les deux hommes s’affrontent du regard. Evaïs change du tout au tout : c’est le prince guerrier qui nous fait face à présent. Il nous propose de rentrer au camp, nous serons mieux pour discuter. Maintenant que je sais qu’il est capable de nous isoler phoniquement, je suis rassurée. En revanche, Aoi ne peut se présenter sous sa forme originelle : il se transforme donc en renard blanc et se perche sur mon épaule. Par la même occasion, il pourra détecter s'il y a d'éventuels traîtres parmi les gens d’Evaïs.

Nous nous installons sous la tente, assis sur d’énormes coussins autour d’une table basse. La petite Ritsua que j’ai sauvée apparaît furtivement et y dépose une théière fumante, des tasses raffinées et un assortiment de pâtisseries. Je réalise que je meurs de faim mais la boule qui s’est formée dans ma gorge m’empêche d’avaler quoi que ce soit.

Aoi prend la parole : il explique à Evaïs les raisons de la guerre, comme il me l’a raconté. Dans sa voix, je perçois cette même note de tristesse et sa révolte contre l’injustice que subit sa mère. Il va même jusqu’à révéler l'existence d’Angeline.

Evaïs veut comprendre : où et quand je me suis retrouvée mêlée à cette histoire. Sans trop aller dans les détails, je lui narrais mon pic-nic avec Roc et les enfants et ma rencontre avec Aoi. Je le sens se crisper lorsqu’il comprend que le pacte n’a pas été conclu d’un commun accord mais qu’il me l’a été disons... imposé. Mon ignorance le choque aussi…

- Je comprends un peu mieux le lien qui vous unit à présent. Mais qu’est-ce que cela implique pour Noctalya ?

- Angeline nous a révélé un secret qui se transmet de reine à princesse, poursuit Aoi. Si la prêtresse n’est pas à son poste, le centre de Nymphea se dérèglera… et avalera tout Noctalya sans que personne ne puisse rien y faire. Mère est à bout de force : la passation de pouvoir doit se faire lors de la prochaine nouvelle lune, sans quoi…

- Noctalya disparaîtra, complète Evaïs. Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?

- La tempête… Tes généraux n’ont rien pu faire pour la calmer n’est-ce pas ? C’est parce que Athénays a faibli. Nous avons frôlé la catastrophe. Voilà, tu es au courant de la situation.

Evaïs réfléchit à tout ce que nous venons de lui dire, cherchant à savoir s’il doit nous croire ou pas. Il se lève et s’approche de son bureau d’où il sort plusieurs parchemins. Il les dépose sur la table pour que nous puissions les consulter : cartes de Noctalya et diverses correspondances. Il nous apprend que depuis un peu plus d’une année, les relations entre les différents pays sont très tendues à cause des avis divergents sur cette guerre. Les elfes et les fées ont de suite pris part pour Athénays, sans que personne n’en sache les raisons. Ils menacent d’attaquer l’armée des frères sous peu : actuellement ils forment des troupes. Il semblerait qu’un millier d’elfes ait déjà été envoyé au front. Ce sont des êtres puissants : leur magie peut être destructrice et faire pencher la balance.

Tensya ne s’est pas encore prononcé : le conseil des Huit est divisé sur la question. Si aujourd’hui ses troupes se trouvent près de Lachea c’est parce que l’énergie d’Alois a été ressentie à Arachnya : étant donné qu’il est recherché par tous, Evaïs a été chargé d’aller enquêter. Je me souviens alors des ondes d’énergie qui ont parcouru mon corps lors du pacte avec Aoi. Ainsi, elles ont été ressenties jusqu’à Arachnya !

Maman Lyana… Aoi… Faîtes moi apparaître aux yeux d’Evaïs. Je peux le convaincre.

La douce voix d’Angeline s’est faite entendre. Evaïs sursaute et se met debout. Je regarde Aoi qui me tend ses mains. Nos corps forment un cercle au-dessus d’un coussin. Nous prononçons d’une seule et même voix :

- Angeline Aqualya.

Surpris, le prince Titan s’approche de l'œuf nacré d’où l’on peut voir le petit corps d’Angeline en filigrane.

- Bonjour, Prince Titan. Je suis Angeline, fille d’Athénays et sœur d’Alois et d’Aurale. Pour te prouver ma bonne foi, je vais te révéler un secret royal Nymphalien. Je peux avec certitude te donner la raison pour laquelle les Elfes et les Fées ont de suite pris le parti de la reine.

- Vraiment ? souligne Evaïs, un brun suspicieux.

- Oui, j’espère que cela te convaincra de nous aider. Pour comprendre, il te suffit juste de nous regarder… Nous, Nymphaliens, nous sommes à moitié homme à moitié animal : Aoi et mère ont des attributions de poissons et de comètes, Aurale était à moitié octoglys… et de surcroît nous savons utiliser la magie. Comprends-tu à présent le lien que nous avons avec les Elfes ?

- Impossible…, la note d’étonnement est plus que perceptible dans la voix d’Evaïs.

Angeline soupire pendant qu’Aoi me regarde d’un air surpris. Elle nous avoue que son peuple n’est pas naturel. Je ne saisis pas le sens du mot naturel… Elle nous explique : il y a de cela plus de 50 000 ans, les gardiens de Nymphea n’étaient autre que les Elfes. Las de cette charge car devant vivre constamment sous l’eau de l’Océan Turquoise, leur roi de l’époque, Phyléas, a eu l’idée de créer un peuple semi-aquatique afin de les suppléer. Ainsi, il créa les Nymphaliens à partir de souches elfiques et féeriques qu’il fusionna avec des animaux marins afin que la vie sous l’eau ne les pèse pas. Durant presque que 20 000 ans, ce fut les rois elfiques qui avait la charge de Grand Prêtre : lorsqu’il créa le Nymphalien censé le remplacer, il en fit une femme et lui insuffla son pouvoir.

En faisant cela, il a enfreint de nombreuses lois : non seulement il s’est permis de jouer avec la vie mais il avait aussi abandonné son rôle de Grand Prêtre au profit de l’espèce qu’il avait créé. Une malédiction s’abattit ainsi sur les deux peuples : les femmes Elfes et Fées ne donneront plus naissance qu’à un seul enfant tous les milles ans durant une cérémonie spéciale et les Reines Nymphaliennes ne pourront transmettre leurs pouvoirs qu’à une princesse, les condamnant à pondre jusqu’à l’obtention d’un enfant féminin.

Nous sommes sidérés par ses révélations. Le silence est tombé entre nous comme une chape de plomb. Mon cœur s’est gonflé, j’ai la poitrine douloureuse. Je regarde tour à tour mes deux princes dont les visages se sont fermés : Aoi est sous le choc du secret révélé et Evaïs semble réfléchir. Encore et encore. Je baisse la tête pour cacher une larme amère qui descend traîtreusement le long de ma joue. Je sais que si Evaïs nous tourne le dos, je vais devoir le quitter aussi vite que je l’ai trouvé et cela me procure une douleur sourde. Comment après si peu de temps passé en sa compagnie il a pu devenir si cher à mes yeux ?

- Il y a bien un moyen d’entrer à Nymphea…, commence Evaïs.

Soudain, le sol se mit à trembler violemment, comme si quelque chose d’énorme était tombé. Nous sommes projetés les uns sur les autres. Aoi et moi avons le même réflexe : celui de protéger l'œuf d’Angeline. Vite, nous la rappelons dans mon esprit afin qu’elle y soit en sécurité. Elle s’évapore sous nos yeux.

J’espère qu’elle n’a rien…

Evaïs a levé son sort d’insonorisation pour s’enquérir de la situation. A présent, nous percevons les cris de terreur provenant de l’extérieur et le hurlement guttural d’un animal qui glace tout de suite Aoi de peur. Je me tourne vers lui : il est figé dans une expression de stupeur et tremble.

- Impossible… Ils n’ont pas osé… Pas… Pas lui…

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