Le Kaern

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Aoi s’approche de l’entrée de la tente, semblant redouter ce qui se cache derrière. Nous le suivons de près, sur nos gardes. C’est la panique dans le camp : femmes et enfants courent dans tous les sens, les dragnirs crient et s’ébrouent pour se libérer de leurs liens. Les soldats essaient de se regrouper tant bien que mal dans la cohue. Nous levons les yeux vers les raisons de cette cacophonie : apparaît alors devant nous une bête monstrueuse.

Son corps est tout en écailles, d’un noir profond, luisant sous la fine bruine qui tombe encore de lourds nuages gris. Trois longs cous terminés par d'énormes têtes de serpent auréolés d’une couronne de piques s’élancent vers le ciel. Sur le dos du monstre se trouve une paire d’ailes déployées, un peu comme celles des dragons dans les mythologies, sauf que celles-ci sont transparentes : on peut voir tout ce qui les compose, des nerfs aux os. Il se tient sur quatre pattes. Deux bras aux pattes griffues complètent le tableau cauchemardesque. Il est immense.

- Aoi… qu’est-ce que c’est que ce monstre ? parvint à articuler Evaïs.

- Tu as devant toi le Kaern, c’est comme cela que nous l’avons appelé. Il est apparu à Nymphea il y a de cela dix-huit ans, personne n’a jamais su comment il est arrivé là… Il a fallu que nous unissions nos forces, mes frères et moi dans le but de l’affaiblir afin que mère puisse réussir à l’enfermer… Il n’a clairement pas réussi à s’échapper tout seul…

- Tu veux dire que... , commençais-je.

- Oui. Un autre de mes frères se trouve ici et vient de libérer un monstre que nous avons eu les plus grandes peines du monde à battre. La combat s’annonce rude…

Le Kaern baisse ses trois paires de yeux vers nous et s’approche du camp : ses pas sont lourds et font trembler le sol mais il est rapide. Son rugissement strident vrille les tympans : il est difficilement supportable, même en se bouchant les oreilles. Je vois au loin, un groupe de femmes accroupies sur le sol, complètement terrifiées, espérant sûrement que la bête ne les verra pas… Espoir vain... Elle les saisit dans sa patte griffue… J’entends leur hurlement de terreur… avant que ses crocs ne les déchiquètent vivantes… Je n’arrive pas à détourner le regard de cet horrible spectacle…

Evaïs se ressaisit le premier : il ordonne à l’une de ses troupes de réunir les plus faibles d’entre nous et de les mettre à l’abri grâce aux pouvoirs d’un psychique. Une autre doit préparer les dragnirs pour pouvoir passer à l’attaque. Le Kaern étant en plein repas, nous devons saisir notre chance.

- Mon prince !

- Qu’y a-t-il ?

- Je… Les plus faibles d’entre nous se trouvent … Enfin ... Le monstre est apparu près des quartiers des Ritsuas et des Falanims…

Evaïs ouvre grand les yeux et se tourne vers le Kaern. Il semble évaluer la situation avant de donner un coup de pied rageur dans un rocher qui se brise en mille éclats.

- Ils sont perdus…

- Attends… Reste ici et commande tes troupes. Je vais leur porter secours.

- Alyana tu es folle ! Tu risques de te faire tuer !

- Pas si je suis plus rapide que lui…

Je prends la dague que Roc m’a offerte et déchire ma robe aux genoux pour avoir plus de liberté de mouvement. J’entaille mon pouce et passe le sang sur mon tatouage. Galadryelle sort de son rond de lumière sous les yeux ébahis d’Evaïs et de ses hommes. Elle se presse contre moi et pose sa tête contre la mienne.

Galadryelle, ma belle. J’ai besoin de toi… Pourras-tu m’aider s’il te plaît ?

Elle passe sa langue râpeuse sur mon visage pour me signifier son accord. Je grimpe sur son dos et Aoi, transformé en renard, se perche sur mon épaule.

- Une zéthys ? Vous êtes une femme surprenante, ma chère !

- Plus que tu ne le crois…

- Ne te fais pas tuer…

- Toi non plus… Allons-y Galadryelle !

- Rassure-moi, tu as un plan Alyana ?

- Absolument aucun !

J’oscille entre un calme olympien et une rage destructrice : mon cœur n’a pas encore choisi sur lequel de ces sentiments s’accrocher, et tant mieux ! Cela me permet de foncer vers l’hideuse bête à pleine vitesse sur le dos de Galadryelle. Plus je m’approche, plus je réalise à quel point elle est immense : je lui arrive à peine au-dessus du genou. Je calme ma zéthys et nous noie dans un épais brouillard afin que le Kaern ne nous voit pas. Je m’approche à pas de loup - je veux dire de zethys - de la tente de toile épaisse où se trouve les Ritsuas et les Falanims. Ces derniers sont pétris de peur : ils se sont regroupés au centre. Les hommes forment comme une barrière autour des femmes et des quelques enfants présents, armés de pique et de torche. Lorsqu’ils me voient entrer, ils ne savent pas quel comportement adopter. La jeune servante Ritsua m’aperçoit et me rejoint.

- Je savais que vous viendriez… Mademoiselle…

- Je suis venue oui mais nous ne sommes pas tirés d'affaires pour autant ! Combien êtes-vous ?

- Environ une cinquantaine… nous n’avons malheureusement pas pu réunir tout le monde ici… Certains se sont fait écraser par la bête lorsqu’elle est apparue… D’autres se sont enfuis dans tous les sens… Je ne sais pas combien ont péri…

- Je vais tout faire pour que vous sortiez de là…

- Lila… Je m’appelle Lila mademoiselle.

- Alyana… Cesse donc de m’appeler mademoiselle !

Je revois mentalement les images du massacre des jeunes femmes. Je demande à Aoi s'il perçoit l’aura de son frère ou d’un quelconque espion : il me répond par la négative. Je lui demande donc d’apparaître sous la forme d’un Titan afin que les Ritsuas et Falanims ne prennent pas plus peur.

- Comment comptes-tu t’y prendre ?

- Ecoute… Je connais un sort d’invisibilité en revanche je ne sais pas combien de temps je pourrai le maintenir ni même sur combien de personnes. Grâce au brouillard, Galadryelle pourra transporter au moins les enfants. Je ferai en sorte que leurs mères et un des hommes puissent les accompagner. Pour la suite, on avisera.

Je soumets mon idée à Lila qui se charge de la transmettre. Il faut faire vite : personne ne sait quelle sera la réaction du Kaern dans les prochaines minutes. Je me concentre afin de pouvoir l’entendre : il semblerait qu’il mange encore si je me fis à ses horribles bruits de mastications… Lila parlemente vivement avec un homme qui ne fait que hocher la tête. Il finit par s’approcher de moi : il se présente sous le nom de Korn Ritsua et il est considéré comme un chef parmi ses pairs.

- Pourquoi ? Pourquoi vouloir nous aider ?

- Quoi pourquoi ? lui répondis-je, un brin énervée. Vous et moi sommes des Titans non ?

- Oui mais vous êtes une no…

- Taratata ! Je ne veux rien entendre ! Il ne nous reste plus beaucoup de temps : soit nous sortons d’ici soit nous mourrons tous. A vous de décider.

- Je t’avais prévenu, Korn… Alyana n’est pas comme les autres.

Ledit Korn me sourit et rassemble les enfants : ils sont six, accompagnés de leur mère et de trois hommes portant sur leur dos des blessés, cela fait un premier escadron de seize personnes. Avec la vitesse de Galadryelle, je ne crains rien pour les petits, en revanche pourrais-je maintenir le sort d’invisibilité assez longtemps pour les autres ? Aoi me dit qu’il accompagnera le groupe et reviendra avec Galadryelle. Korn et Lila se proposent de rester avec moi tout le temps nécessaire.

Après avoir rassuré et placé les enfants sur le dos de la zethys, je lance le sort d’invisibilité sur les adultes. Aoi me préviendra dès leur arrivée afin que je ne gaspille pas d’énergie. Nous retenons notre souffle. Au bout de ce qui me paraît une éternité, mon petit prince m’informe qu’ils sont tous à l’abri et qu’il s’apprête à me rejoindre.

J’ai réussi…

Le Kaern choisit ce moment précis pour rugir, nous mettant à terre tellement le son est insupportable. Je sens qu’il se dirige droit sur nous : je regarde les personnes présentes avec moi et leur intime de se taire. Je m’assois en lotus et me concentre : je nous lance un sort qui nous rend invisible aux yeux du monstre, scelle les bouches des mes compagnons de fortune, de peur qu’ils ne crient puis place un dôme protecteur autour de nous . Juste à temps : les pans de la tente sont agrippés par des griffes verdâtres et s’envolent. Le Kaern ne voit rien mais il semble percevoir notre présence : personne n’ose bouger. Je fais signe à Lila et Korn de s’approcher de moi : je leur explique à voix la plus basse possible ce qu’ils doivent faire.

Je vais ouvrir une brèche dans le dôme et ils devront partir le plus silencieusement possible. Si jamais le monstre s'aperçoit de quelque chose je servirai de leurre. Lila proteste vivement de la tête mais Korn ne lui laisse pas le choix : il la prend par la taille et la pose sans ménagement sur ses épaules. Elle se débat mais en vain. Il jette un regard circulaire et s’assure qu’il ait capté l’attention de tous. De sa main libre, il leur montre la sortie : heureusement qu’il est là… Tout le monde le suit sans aucune hésitation.

Je les sens s’éloigner et mon cœur s’allège d’un poids malgré le fait qu’ils ne sont pas encore à l’abri. Je réduis la largeur du dôme au fur et à mesure. Le Kaern sait que quelque chose se passe sous son nez : il lève haut son bras et frappe. Il bute sur mon dôme de protection. Ébranlée, je perds un instant ma concentration et redevient visible. Il finit par m’apercevoir et veut m’attraper entre ses pattes griffues : mon dôme de protection l’en empêche. Cela l’énerve et il frappe de plus en plus fort : je tiens bon. Il alterne entre coup de griffes et morsures de ses crocs acérés. Je perçois alors l’intérieur de sa gueule composée de quatre rangées de crocs et d’une multitude de petites dents pointues.

Maintenir le brouillard actif, le sort d'invisibilité, celui de silence ainsi que le dôme m’épuisent : tant que les Falanims et les Ritsuas ne seront pas à l’abri je n’ai pas le droit de flancher… Le monstre s’acharne, je reçois coup sur coup. Je sens le dôme se fissurer… et reçois quelques gouttes de pluie. Je tremble de peur : mon énergie baisse dangereusement. Le Kaern s’en aperçoit et se prépare à lancer l’assaut final. Tout à coup, il se désintéresse de moi. J’ouvre les yeux et aperçois Galadryelle se mettre entre nous, chevauché d’un Aoi protégé de l’armure royale.

Ils sont en sécurité Alyana, tu peux rompre les sorts… Aqualya energya.

Je sens l’énergie d’Aoi affluer en moi et c’est comme si je renaissais. J’entends un instrument à vent résonner : cela doit être les troupes d’Evaïs, prêtes pour le combat. Le brouillard se lève et sous le ciel pluvieux un combat terrible se prépare. Evaïs s’approche : il est vêtu d’une armure noire qui semble le mouler comme une seconde peau, sur laquelle il a posé une cape noire elle aussi mais à doublure rouge. Son dragnir est couleur feu. Il brandit une épée massive à la poignée d’or. Ses hommes se sont placés en arc de cercle autour du Kaern : certains sont armés d’arcs, d’autres d’épée, il y en a même qui ont d' énormes marteaux. Ils ne sont pas tous en dragnirs : ceux qui se trouvent à pied sont en première ligne. Les psychiques sont en retrait, flottant dans les airs telles des ombres menaçantes dans leur longue toge noire.

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