L'appréhension

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Dimitris et moi étions installés sur son canapé, dans sa chambre d’adolescent. Il me parlait de ses cours de français ou bien... de son cours d’anglais? Je n’écoutais pas, trop occupée à contempler le décor. Des ballons de foot par terre, une couette Spiderman, des posters d’un groupe de rock inconnu, des slips trainant tout autour du lit. Avant ce moment-là, je n’avais pas conscience de l’écart intellectuel qu’il pouvait y avoir entre nous. Nous évoluions dans des sphères totalement opposées. Lui, il vivait dans un monde d’adolescent, un monde sans douleur. Moi, je demeurais seule, dans mon monde fait de culpabilité. Finalement, l’écart d’âge ne constituait pas l’élément fatidique qui sonnerait le glas de notre relation, comme il le craignait. Ce qui nous séparerait tenait simplement à nos vies drastiquement différentes. La vérité ne m’avait pas frappée avant, pourquoi maintenant ?

  • Tu m’écoutes? s’exclama-t-il.
  • Non, je suis désolée, j’étais ailleurs. Tu disais?
  • Que j’aimerais que tu m’accompagnes à la soirée qu’organise ma promo samedi soir.

Il semblait si excité. Ses yeux verts pétillaient, son sourire était entier et moi, je luttais pour paraître un minimum emballée. Je savais que si je refusais, j’allais lui briser le coeur. Et ce n’était pas le moment. Intérieurement, je venais de prendre la décision de le quitter, pour son bien. Mais j’attendrais la fin de ses examens, la semaine prochaine. Je n’était pas une garce, malgré ce que vous pouvez penser. Alors jusqu’au moment fatidique, pourquoi ne pas lui faire plaisir? J'ebouriffai ses cheveux caramels, et acceptai en déposant tendrement un baiser sur sa joue. Oui, je savais être romantique des fois.

Plus tard dans l’après midi

À peine la porte d’entrée ouverte, J'entendis les pas de Louise qui se précipitait vers moi. Je venais d’écouter Dimitris pendant des heures, en m’efforçant d’avoir l’air sincèrement impliquée dans la discussion. Alors je ne rêvais que d’une chose : m’étaler sur le canapé avec ma meilleure amie devant un épisode de Friends. Au regard que m’adressait cette dernière, je me rendis vite compte que mon souhait allait être balayé.

  • Tu ne lui as toujours pas répondu aujourd’hui ! Elle semblait furieuse.
  • J’étais occupée, d’accord ? Je n’allais certainement pas lui répondre devant Dimitris.

Je me dirigeai vers notre canapé, prête à enlever mes chaussures et à me glisser sous mon plaid mais elle me suivit à la trace.

  • D’accord, alors rappelle, là, maintenant.
  • Louise, s’il te plait..

Je m’efforçai de garder mon calme. La dernière chose que je souhaitais, c’était de crier sur Louise, malgré son tempérament coriace. Elle ne voulait jamais rien lâcher tant qu’elle n’obtenait pas ce qu’elle désirait. Après notre déménagement, je refusais de me nourrir autrement qu’avec un burger et deux verres de get 27 par jour. Mon corps, étant aussi déprimé que ma tête, je m’infligeais une sorte de suicide inconscient et lent. Je ne voulais pas réellement mourir, simplement me punir. Au bout d’un mois dans cette routine, Louise décida qu’elle resterait collée à moi à chaque repas avec une carotte à la main. Affirmant qu’elle ne me lâcherait pas d’une semelle tant que je n’avalerai pas cet immonde truc orange. Je pensais qu’elle bluffait, jusqu’au deuxième jour où elle m’accompagna chez Dimitris… avec une carotte à la main. Par honte qu'il nous surprenne comme ça - et devine que quelque chose n’allait pas - je finis par la manger. Je détestais Louise à ce moment-là, mais elle avait encore raison : ce simple geste provoqua en moi un déclic qui me sortit de ma transe. Je m’étais remise à manger plus ou moins correctement.

  • Non Anna, tu ne peux pas lui faire ça. Cette pauvre femme n’a-t-elle pas assez souffert? Je serre les dents. Maîtrise-toi Anna. Elle veut juste que tu lui répondes au téléphone, elle veut entendre ta voix. Elle ne demande pas Jupiter tout de même.

Malgré la colère en moi, je n’avais pas pu m’empêcher de rire. Louise possédait le don de re-mixer des expressions aussi connues que « elle ne demande pas la lune ». Elle rit avec moi un instant, mais se reprit très vite. Elle n’en démordrait pas. J’observai le visage de ma meilleure amie : elle était si jolie, ses longs cheveux blonds cachant la splendeur de son regard. Je lui répétais sans cesse de relever ses cheveux, que son regard demeurait son plus bel atout. Mais elle était si buttée, si têtue. Je ne l’aimais que plus pour cela. Elle symbolisait mon point d’ancrage, mon unique repère. Elle représentait mon monde. Elle n’était pas destinée à être l’amie d’une dépravée comme moi. Je ne la repoussais pas, trop égoïste pour rendre à la terre cette femme qui méritait mieux. Ce foutu psy avait raison : on est tous égoïste.

  • Je vais l’appeler. Laisse-moi cinq minutes et je le fais.

Cette promesse suffit à Louise. Elle savait que je ne lui mentirais jamais. D’un geste j’ouvris la baie vitrée, m’installai sur le fauteuil violet - que Louise avait choisi, mon Dieu quelle horreur - présent sur notre petite terrasse. J'étais soulagée de voir qu’elle ne me suivait pas. Je ressentais la nécessité d’un moment seule avant de l’avoir au téléphone. Je connaissais parfaitement l’effet que me provoquerait cet appel.. toujours le même depuis bientôt six mois.

Cela faisait six mois que j’étais partie. C’était drôle, parfois je me sentais comme si le jour de mon départ était hier. Tout restait encore si frais dans ma mémoire : je pouvais presque me souvenir de l’odeur de mon ancienne maison. D’autres fois, comme aujourd’hui, je sentais que la vie vécue autrefois était finie. Plus encore : l’adolescente que j'avais été, était morte là-bas. Comme une renaissance, toutes les choses vécues ici depuis mon arrivée semblaient difficiles. Il a fallu réapprendre à respirer correctement, à marcher, à m’alimenter. Je n’avais aucune douleur physique, aucun handicap mais l’impression d’être anéantie de l’intérieur.

Depuis peu, depuis mes premières visites au bar, je ressentais quelque chose de nouveau. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’allais mieux, mais la douleur pesait moins dans mon coeur. Je me sentais effrayée. Effrayée que la discussion avec ma mère ne me fasse l’effet d’un château de cartes qui s’effondre.

Le soleil était en train de se coucher et, comme un mauvais présage, il semblait empreint de teintes rouges.

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