La conversation

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Assise au bord de mon lit, l’inquiétude me gagnait. C’était assez impressionnant de remarquer la manière dont une émotion pouvait avoir une répercussion physique. Le corps et l’esprit ne font qu’un. Par exemple, mon cerveau bouillonnait de questions : qu’avait-elle à me dire? Comment allais-je réagir ? Est-ce que j’avais vraiment envie de lui parler ? Instantanément, à mesure que mes pensées vacillaient, mon corps se mettait à trembler, mes doigts me picotaient et mon ventre se tordait comme si mes boyaux étaient en feu. Le pouvoir de l’esprit sur le corps.

Après de longues minutes durant lesquelles mon esprit essayait, par tous les moyens, de me faire divaguer (je n’avais jamais eu autant envie de ranger ma chambre), je luttai contre moi-même et attrapai mon téléphone. J’étais surprise par la manière dont mes doigts composaient instinctivement son numéro. Allô ? Anna ? C’est toi ?

Elle paraissait affolée, perplexe mais à l'intonation de sa voix, je pouvais parier qu’elle souriait.

  • Oui, c’est moi Maman.
  • Pourquoi tu as mis autant de temps à me répondre? s’exclama-t-elle.
  • J’étais occupée Maman, tu sais entre les cours à l’université et mon job dans cette boutique de fringues...
  • Ne me mens pas, Louise m’a dit que tu t’étais faite virée.

Merde ! Elle ne pouvait jamais se taire ? C’était un boulot nul de toute façon, je passais mon temps à plier des pantalons et à conseiller des femmes qui voulaient uniquement qu’on leur dise qu’elles étaient magnifiques.

  • Oui, mais je retrouverai quelque chose très vite, ne t’inquiètes pas ! Avant qu’elle ne m’assène d’une autre info inutile, je pris la parole. Pourquoi est-ce que tu m’as appelée autant de fois ?
  • Je voulais prendre des nouvelles de ma petite fille, savoir comment se passent les cours et si avec les garç..
  • Ne me prend pas pour une imbécile s’il te plaît, je la coupai un brin agacée qu’elle ne fasse pas preuve d’honnêteté. On sait toutes les deux que si c’était seulement prendre de mes nouvelles que tu cherchais à faire, tu te serais contentée de ce que te dit Louise. Alors je répète une dernière fois : pourquoi est-ce que tu m’as appelé tant de fois?
  • D’accord. Ne t’énerve pas, ok? elle marqua une pause, beaucoup trop longue à mon goût. Il est à l’hôpital chérie..

Mon sang ne fit qu’un tour. Elle n’avait pas besoin de prononcer son prénom pour que je sache exactement de qui elle parlait. Mon corps entier le savait et il réagit t instantanément : le rythme de mon coeur s’accéléra, mes mains devinrent humides, ma respiration était saccadée. Le pire que je pouvais attendre de cette conversation arrivait : c’était un problème qu’elle m’annonçait, un problème le concernant, lui. Doucement, en me tenant au bord de ma table de chevet pour être sûre de pas tomber, je tentai de retrouver mes esprits. Elle ne parlait plus à l’autre bout du fil : ma mère savait qu’il me fallait du temps avant de pouvoir retrouver la parole.

  • Comment est-ce arrivé? finis-je par dire, non sans peine, au bout de quelques minutes.
  • Il y a eu une bagarre. Un autre détenu le provoquait sans arrêt depuis quelques mois. Cette petite brute avait découvert… toute l’histoire. Ne me demande pas comment, je ne sais pas. Toujours est-il qu’il n’arrêtait pas de l’embêter avec ça, il parlait de…de toi… sans cesse. Il y a deux jours, ton frère ne l’a plus supporté. Il l'a cogné jusqu’au sang et évidemment, l’autre a répliqué. Il a deux côtes cassées et une petite commission cérébrale mais il va s’en sortir, ne t’inquiète pas.

Elle prit un instant pour respirer. Je savais que le pire n’était pas encore arrivé.

  • Après cette bagarre, le juge a décidé de rallonger sa peine d’un an et demi…

L’information de trop. Je raccrochai, jetai mon téléphone à travers la fenêtre et la suite fût très rapide. Je ne voulais pas penser. Mon seul objectif était de trouver une manière de ne pas laisser mon cerveau atteindre mon coeur. Je devais lui faire barrage, et je ne connaissais qu’une seule manière de le faire : boire jusqu’à ne plus être consciente. Mais cette fois n’était pas comme toutes les autres fois où mes souvenirs remontaient à la surface et où il me suffisait de prendre un verre ou trois pour tout oublier. Cette fois, je sentais que mes os se brisaient à chaque pas. Je sentais mon coeur se serrer à mesure que je respirais et mes poumons se vider de leur oxygène. Ce foutu lien entre les émotions et le corps. J’avais mal. Tellement mal. Je me demandais si cette fois j’allais pouvoir m’en tirer si facilement : avec quelques verres. Boire ne m’aidait pas vraiment, je n’aimais pas le goût de l’alcool, je souhaitais juste oublier.

La culpabilité, la pire des sensations. Elle nous ronge de l’intérieur. Elle s’immisce dans chaque coin de notre cerveau pour nous crier qu’on ne devrait pas être là. Elle rampe lentement dans chaque artère de notre coeur pour détruire de son venin chaque parcelle de bonheur ou de joie se trouvant sur son passage. Elle glisse le long de notre amour-propre pour le réduire à néant. Elle prend tout sur son passage. Elle est comme un vampire assoiffé de sang. Comme un ogre affamé. Comme un lion attaquant sa proie. Il n’existe rien de pire. Quand elle est entière, quand elle est avérée, alors cette culpabilité ne vous laisse plus de place. Elle est vous, et vous n’êtes plus.

    D’un geste machinal, j’attrapai une veste, même si le dernier de mes soucis était d’avoir un rhume. Je me dirigeai droit vers ma porte à une vitesse incroyable mais c’était sans compter la présence de Louise sur mon chemin.

  • Louise je t’en prie, si tu m’aimes, si tu veux mon bonheur, si tu veux que je ne casse pas tout ce qui se trouve dans cet appartement, y compris toi s’il le faut, laisse-moi passer.

Un instant, elle hésita. Je vis le doute la torturer de l’intérieur. Elle ne savait pas quoi faire : m’empêcher de partir au risque que ça ne décuple ma colère ou me laisser partir au risque que ma colère ne se déchaine contre moi-même. Elle souffrait de me voir comme ça, je pouvais ressentir combien elle avait mal pour moi. Dans d’autres circonstances, je l’aurais prise dans mes bras et lui aurait fait jurer de ne pas s’inquiéter pour moi. Mais là, je m’en foutais. Elle pouvait bien avoir mal, tant qu’elle n’était pas sur mon chemin. La seule chose que je voulais c’était sortir, et j’étais prête à tout pour cela. Elle l’avait compris et se décida à se décaler d’un pas pour me laisser partir.


Timidement, dans mon dos, j’entendis Louise me dire « fais attention, je t’en prie. »

Si seulement nous savions que tout cela n’était que le début de la fin.

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