Le psy

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Cela faisait deux semaines. Deux semaines que je revenais dans le même bar, le même barman, la même pitié. Rien n’avait changé depuis ma première visite. Ma journée était soleil, ma nuit était pluie. Le jour éclairait mon sourire, la nuit illuminait ma peine.

21h00. Mes jambes connaissaient désormais par cœur, et par peine, le chemin de mon sanctuaire. « Les copains d’avant », c’était son nom. Le tintement des cloches, indiquant l’entrée d’un nouveau client, résonna dans mes oreilles. Lentement, ou plutôt aussi rapidement que mon corps endolori me le permettait, je m'approchai du bar. Je compris soudainement que quelque chose avait changé.

Les habituels vieillards de l'établissement, avec qui j’avais sympathisé à force de venir, n’étaient plus là. Tout ce que je voyais autour de moi, c’était des hommes, la plupart portant des lunettes et des bloc-notes près d’eux. Ils ne commandaient pas de vodkas cocas ou de jets menthes comme les clients réguliers, ils avaient tous pris des cappuccinos ou des boissons énergétiques. Même le barman n’était plus mon adorable Olivier avec ses yeux remplis de pitié.

J’aurais presque cru m'être trompée de bar si je n’avais pas vu la planche en ébène au dessus du comptoir qui disait : « Les copains d’avant : vous êtes ici chez vous (mais ne vous installez pas trop ou on appelle les flics) ».

  • Je pourrais avoir un Malibu Ananas s’il vous plaît, demandai-je au nouveau serveur.

Il ne répondit pas, il se contenta de me servir mon breuvage dans un grand verre.

  • Avec beaucoup de glaçons.

Il tourna son regard vers moi. Il n’était que mépris, je pouvais ressentir à quel point j’étais un déchet humain rien qu’à travers son regard.

  • S’il vous plaît, ajoutai-je avec un petit sourire.

Il me tendit mon verre, rempli de glaçons cette fois-ci. Je me contentai de boire, dos à lui, en regrettant amèrement mon gentil Olivier, je regrettais même sa pitié. Une personne s’approcha de moi, tira le tabouret se trouvant à mes côtés et commanda un expresso. C’était un petit blond maigrichon qui devait avoir une quarantaine d’années. La seule chose qu’on pouvait dire de lui, c’est qu’il avait l’air triste. Oui triste, ou pâle, exactement comme son sourire. Vide aussi.

  • Bonsoir, débuta-t-il sur un ton qui se voulait charmeur, je ne crois pas que nous ayons été présentés je m’appelle Léon Ponel. Ce soir, j’ai privatisé le bar pour fêter la sortie de mon premier livre sur la psychologie familiale. Êtes-vous ici pour cela?
  • Je suis ici pour boire, telle est la destinée intrinsèque d’un bar me semble-t-il? lui répondis-je de manière, je l’avoue, totalement arrogante et provocatrice.
  • Effectivement, je pensais que vous pouviez être intéressée par la psychologie.
  • La psychologie c’est de la merde, et vous, vous prônez la merde, ce qui en dit long sur qui vous êtes.

Je ne savais pas exactement pourquoi mais cet homme m’agaçait, il paraissait intrigué par qui j’étais comme si j’étais un cas sur lequel il pourrait plancher.

  • Quand on déteste à ce point une chose, il n’y a que deux possibilités : soit on est trop lié à cette chose soit on ne connait pas assez cette chose-là. Avez-vous été psychanalysée par le passé de sorte que ça c’est tellement mal passé que vous me méprisez pour ce que je suis? Ou au contraire n’avez-vous jamais été confrontée à la science que je pratique?

J’aurais dû écouter mon instinct. Ce dernier m’avait prévenue que ce type était étrange. Je sortis en l’injuriant, en lui criant qu’il était indiscret, impoli et qu’il me dérangeait dans ma soirée. Furibonde, je traversai la grande place qui me ramenait jusqu'à chez moi, en me demandant comment j’avais pu être assez bête pour me laisser déstabiliser comme cela. Sans le savoir, cette nuit-là, j’avais donné à cet homme quelque chose de précieux. Quelque chose qu'il ne faut jamais donner à personne sous peine de perdre le contrôle. Je lui ai donné la suite de mon existence.

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