Chapitre 17

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  Marialie longea une rue étroite jusqu’à une impasse.

  Là, elle tomba sur l’enseigne d’un cyber-virtuel et passa la porte. Derrière un étroit comptoir – rehaussé par une haute et large étagère en verre – une jeune femme se tenait droit comme on érigerait une statue grecque. Sa posture était noble et orgueilleuse. Marialie s’approchait tandis que la femme conférait un discours prolixe, au sujet d’un précédent client qui aurait une fois encore plongé son regard sur sa poitrine. L’homme à qui elle s’adressait se tenait de dos, et rangeait des composants informatiques sur une large étagère murale.

  Marialie atteignit le comptoir et, d’un geste presque élégant, pressa la paume de sa main sur une petite cloche qui tinta plus fort qu’on ne l’eut pensé possible. La femme haussa les sourcils à la vue de cette dernière.

  — Il me faut parler à Kasaka, demanda alors Marialie.

  La femme haussa ses sourcils plus haut encore. On aurait dit que le sommet de son visage venait s’étirer à son paroxysme.

  — Il n’y a personne de ce nom-là ici ma belle.

  — Dites-lui de faire attention, déclara alors Marialie en fixant l’homme de dos.

  — Je te demande pardon ?

  Puis un fracas retentit. L’étagère se décrocha du mur, emportant dans sa chute tout ce qu’elle soupesait. Une ribambelle d’éléments informatiques étaient à présent dispatchés au sol, certains plus abimés que d’autres. La femme poussa un rire saillant quand son collègue s’exaspérait de devoir tout remettre en place. Puis elle plissa ses lèvres en adressant à Marialie un regard suspect.

  — Comment tu… ?

  Sa voix se tut. Puis elle la dévisagea plus encore, scrutant sa silhouette dont elle ne se souvenait pas connaître, affligée d’un style vestimentaire qui lui paraissait hors du temps.

  — Pourquoi tu veux le voir au juste ?

  Marialie répondit instantanément :

  — Il peut m’aider. J’ai quelque chose à lui demander, et pour l’instant il est le seul qui peut m’apporter ce que je recherche.

  — Tu sais, il ne vient pas souvent ici. Il en est le propriétaire, mais il se balade un peu partout dans la cité. C’est assez compliqué de tomber sur lui.

  — Que tu ne veuilles pas que je voie ton patron, je le comprends. Tu n’es ici que depuis un mois. Ce serait con de te faire virer pour l’avoir mis en relation avec une parfaite inconnue. Sauf que le temps presse.

  — Attends… reprit la jeune femme en perdant sa droiture de sorte à rapprocher ses poignées du comptoir, et ainsi mieux se faire entendre de son interlocutrice. On se connait ? On s’est déjà vu avant ? Parce que toi tu ne me dis vraiment rien.

  — T’as juste à presser la touche 9 du téléphone et ça tombera directement sur sa ligne personnelle. Kasaka est actuellement dans son bureau en charmante compagnie.

  La femme haussa cette fois-ci un seul sourcil.

  — Et oui, continua Marialie. Tu n’es pas la seule qui soit parvenu à toucher autre chose que son cœur.

  Quand l’homme eut terminé son nettoyage, il passa dans l’arrière-boutique afin de rafistoler ce qui était encore à sauver, trainant derrière lui l’étagère qui grinça sur le sol. La femme eut un drôle de toc ; sa mâchoire remuait de droite à gauche, ceci parsemé de petits clapotements sourds. Son visage se burina quand elle répondit presque en chuchotement :

  — D’accord. De toute façon, dans le pire des cas j’pourrais me faire embaucher ailleurs. Il n’est pas le seul cyber de la ville. Et, de vous à moi (sa voix s’adoucissait), la clientèle est de moins en moins satisfaite. J’ai pu feuilleter ses comptes, et je ne lui donne pas trois mois avant qu’il ne ferme pour de bon.

  — Faites le numéro, s’empressa de dire Marialie.

  La jeune femme s’exécuta, attrapant d’une main ostensiblement manucurée le téléphone afin de prévenir son patron de la présence de Marialie. Mais comme elle le présageait, celui-ci ne comprit pas sa demande. Cependant, il arriva après un long quart d’heure, des yeux rouges exorbités au milieu d’un visage patibulaire, et de longs cheveux bruns plaqués en arrière. Sa chemise froissée était en partie rentrée dans son pantalon. Mais sur l’un des côtés, un morceau de tissus sortait de son jeans pour se rabattre au-dessus d’une ceinture en cuir brun.

  — Tu me veux quoi Ilia ? lui demanda Kasaka, suffisamment proche de son assistance pour qu’elle puisse sentir l’odeur de son shampooing bon marché. Je t’ai dit de ne pas m’importuner quand je suis dans mon bureau, sauf si c’est extrêmement important. Et tout semble aller plutôt bien. Je ne vois ni flamme, ni même les murs s’écrouler.

  Mais il se garda de poursuivre quand il constata les deux trous dans le mur, là où, peu de temps avant, deux vis venaient suspendre une étagère.

  — Je vois. Continua-t-il de dire. Je ne veux même pas savoir…

  — C’est moi qui vous aie demandé, déclara Marialie en le fixant d’un profond regard.

  — Si tu veux t’inscrire, ce n’est pas à moi qu’il faut le demander. La jolie demoiselle ici va enregistrer tes informations et te brancher à une machine. Ensuite tu pourras prendre ton pied dans l’arrière-salle avec tous les autres déglingués qui trainent ici.

  — Je ne suis pas venue pour m’amuser. J’ai besoin que tu m’aides.

  — Je ne comprends rien. (Il regardait maintenant Ilia d’un œil confus) Tu sais d’où elle vient celle-là ?

  — Elle m’a juste dit qu’elle te connaissait. Puis… c’est étrange. On dirait qu’elle sait plus de choses qu’elle ne devrait.

  — Et tu veux que je t’aide en quoi au juste ?

  Marialie sortit la puce de sa veste en cuir qu’elle exhiba face à elle, maintenue entre le pouce et l’index.

  — Et qui te dit que je fais ce genre de choses ?

  — Je le sais. C’est tout.

  — Tu sais au moins qu’il est illégal de farfouiller dans le code source d’un tiers personne ?

  — Je sais aussi que tu le fais pour juste une centaine de pièces, et ça à n’importe qui du moment qu’il te prouve qu’il n’a aucun lien avec la police.

  — Ce serait plutôt malin de ma part, je le concède.

  — Alors que c’est toujours plus rassurant lorsque la demande provient des forces de l’ordre.

  Kasaka se braqua.

  — Tu me fais quoi là ? Tu crois que je vais être assez con pour tomber dans ton piège ?

  — En temps normal j’aurais fait étalage de tes souvenirs les plus profonds, et cela aurait fini par fonctionner pour que tu me croies, et ainsi que tu m’aides. Mais le temps presse et il me faudra être concise pour y parvenir.

  — Je vais donc faire de même et ne pas perdre de temps pour te foutre à la porte !

  — Si tu parviens à m’aider, et je sais que tu y arriveras, alors je t’offrirai ce pour quoi tu passes tes nuits dans le Cyberespace.

  L’homme se gratta le front avec désinvolture.

  — Je t’écoute, dit-il en croisant les bras. Qu’à-tu à proposer au juste ?

  — Je te donnerai sa localisation exacte. Ce que tu n’es toujours pas parvenu à obtenir.

  L’homme se mordit les lèvres, puis jeta un bref regard à Ilia, comme pour s’apercevoir de sa présence.

  — Très bien, conclut-il en indiquant à Marialie de le suivre.

  Et ils se rendirent tous deux dans la salle des simulateurs.

  Passés une lourde porte en verre, ils se retrouvèrent dans la salle des réseaux. Une cohésion de cabines reliées aux serveurs permettait les connexions virtuelles. Dans chaque poste, une paire de lunettes était suspendue à des branches murales, prolongée par un amas de câbles relié à un écran panoramique. Dans certains de ces habitacles, Marialie pouvait apercevoir les clients s’adonner à cette pratique, et jouaient à s’en confondre avec la réalité. Sur les écrans on pouvait voir de tout ; un homme se balader dans une ville de type californienne, armée d’une kalachnikov et qui mitraillait tous ceux qui approchaient sa route. Un autre paraissait se relaxer dans ce que l’écran représentait comme étant un strip club. Une femme se frottait contre l’écran tandis que l’homme détaillait des gestes implicites, une turgescence se formant sur son entre-jambes.

  Tout ce que la jeune femme comprenait de cette pratique n’était que l’instinct primaire de l’homme, se manifestant avec rage et indolence dans un univers artificiel se voulant proche du monde parfait.

  Une fois dans le bureau de Kasaka, celui-ci demanda à voir la puce que Marialie lui jeta d’un geste vif. Il l’attrapa puis l’inséra dans un lecteur branché à son ordinateur. L’écran affichait une série de codes qu’il semblait aisément parvenir à décrypter, tapant à plusieurs reprises sur son clavier lorsque la jeune femme arrêta d’y prêter attention. Elle tournait en rond dans le bureau, manifestant son impatiente, ce qui eut pour effet d’irriter Kasaka, lui soufflant de s’asseoir à de multiples reprises.

  — Je peux te demander ce que tu recherches ? demanda-t-il à Marialie qui patientait sans rien dire.

  — Est-ce vraiment utile de le savoir ?

  L’homme se renfrogna.

  — Je ne faisais qu’amorcer la conversation. C’est plus sympa que de patienter dans le silence.

  La jeune femme s’approcha d’une vitrine, laquelle abritait une artillerie ancienne ; il y avait entre autres plusieurs types de magnum, une kalachnikov, ainsi qu’une arquebuse exposée au sommet du présentoir.

  Kasaka observa Marialie.

  — Il n’y a là que des armes de l’ancienne époque, chacune restaurée avec une infime précision. Si elles avaient été chargées, toutes fonctionneraient avec autant de précision qu’à leur fabrication.

  — Pourquoi l’homme se sent-il le besoin de purger sa violence lorsque cela lui est possible ?

  — Donne à l’homme un bout de bois, et il t’en fera une arme. C’est comme ça que l’humanité à toujours fonctionné. Et aujourd’hui, alors que ce passé est loin derrière nous, nos plus bas instincts ne demandent qu’à ressurgir.

  Silence.

  — Mais avant de te faire une opinion définitive, reprit-il, tu n’aurais pas envie d’essayer un simulateur ? (Il sourit) Ce sera gratuit pour toi. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut découvrir une nouvelle technologie.

  Marialie s’abstint de répondre. Elle se contenta de prendre appuie sur le coin du bureau afin de s’y poser.

  — Mais toi… continua Kasaka, tu n’es pas de ce genre, n’est-ce pas ? Toute cette violence… émanant d’une liberté d’action totale… Peut-être as-tu peur de découvrir… enfoui en toi… quelque chose que tu ne pensais jamais éclore…

  Marialie s’abstint encore de répondre.

  — Voilà, reprit Kasaka dans un sursaut de voix. Je viens de pénétrer le code.

  Marialie sauta du bureau pour se rapprocher de l’ordinateur.

  — Tu peux m’envoyer les données ? lui demanda-t-elle.

  L’homme s’exécuta, et pour cela il fit une copie intégrale du code qu’il envoya dans l’intranet. La jeune femme n’aurait plus qu’à chercher dans le réseau et ainsi scanner les données depuis son code source.

  — N’oublies pas ce que tu m’as promis… demanda alors Kasaka en arborant un sourire sournois. Tout à un prix dans ce monde.

Marialie hocha la tête et dit alors :

  — Rends-toi au sud de la ville. Au bout de la sixième avenue, tu trouveras un bâtiment ancien, presque en ruine. À l’époque il s’agissait d’un club de nuit. Aujourd’hui il grouille de rats et de junkies. Ce que tu recherches se trouve là.

  — Tu en es sûr ? demanda le principal intéressé, soudain suspicieux. Si c’est des conneries, saches que je parviendrai à te retrouver, où que tu te caches.

  — Non. J’en doute. Mais tu peux me faire confiance.

  Il plissa longuement les yeux pour enfin répondre :

  — Je te fais confiance.

  Puis il se releva, quand Marialie tournait les talons.

  — Si tu sais ce que j’ai fait, alors tu peux en comprendre la raison.

  Elle se retourna et hocha très légèrement la tête. Un sourire affligea le visage de Kasaka, au bord des larmes. Après quoi, la jeune femme repartit seule en direction de la sortie. Dehors, elle prit la direction du centre.

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