Chapitre 14

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  Le poste de la Division 6 était presque désert.

  Ceci à l’exception de quelques retardataires ainsi que du personnel de nuit.

  — Enfile-moi les menottes, déclara Marialie en collant entre eux ses deux avant-bras.

  — Pourquoi tu voudrais faire ça ?

  — Ça paraîtra suspect de faire monter une inconnue dans les locaux. Les gens pourraient se poser des questions. Mais si tu emmènes un détenu, alors personne ne soupçonnera quoi que ce soit.

  — Très bien, déclara Cleve en détachant de sa ceinture la paire de menottes qu’il déploya d’un geste vif.

  Marialie se laissa menotter, sentant l’acier froid frôler sa peau.

  — Tu vas m’emmener jusque dans ton bureau. Et après ça, tu te rendras à la salle des saisies.

  Cleve fit preuve de plus de frustration.

  — J’avais été clair avec toi, dit-il, exaspéré. Il est hors de question qu’on fasse ça. Il n’y a aucune chance pour que ça marche.

  — Il est temps que je t’explique la première partie du plan, dit-elle enfin lorsque Cleve montra un soudain intérêt à ses paroles.

  Après quoi, ils entrèrent dans le poste. Marialie marchait devant l’agent qui la retenait par les poignées entremêlées. Puis il l’emmena dans son bureau avant de s’aventurer dans les couloirs du poste. Cleve appréciait l’ambiance nocturne des bureaux. L’odeur du café emplissait les lieux avec autant de panache qu’en début de journée. Un effluve qui s’avérait avoir été absorbé par les murs, ruisselant sous le plâtre comme autant de flocons immaculés dans les hautes plaines du monde extérieur.

  Au niveau des saisies, Cleve atteignit l’accueil et salua Jens, l’agent chargé de la surveillance de la salle. Ce dernier lui adressa un sourire, formant de fines rides sur son visage tanné. Il se tenait dans une pièce munie d’une vitre panoramique qui révélait une partie de son bureau. L’homme se leva comme pour saluer son collègue.

  — Ça fait un moment que je ne t’avais pas vu roder dans le secteur, dit-il, renforçant son sourire.

  — Il me faut récupérer quelque chose.

  — Bien sûr, répondit Jens en ouvrant un grand cahier noir.

  — Le junkie qu’on a interrogé hier, en début de journée… Il me faudrait les affaires qu’il avait sur lui avant son interpellation.

  — J’ai appris qu’on avait retrouvé son cadavre dans l’une des cellules, après une violente overdose.

  — C’est courant chez ce genre d’individus. Mais je dois en apprendre plus sur ce qui s’est passé… pour terminer mon rapport.

  L’homme tourna en arrière les pages de son cahier pour barrer avec son stylo le nom de Jazz.

  — Je vais te chercher ça, dit-il finalement.

  Tandis qu’il s’approchait des étalages emplissant un nombre incalculable de cartons, Cleve passa son bras là ou une fente large de dix pouces, et longue d’un peu moins d’un mètre, lui permit d’atteindre une soucoupe posée tout prêt du cahier. Sous celle-ci se trouvait un petit trousseau de clés, comme Marialie l’avait prédit. Il le saisit et s’en servit afin de déverrouiller la porte, l’ouvrant très légèrement. Puis il reposa les clés dans leur geôle en céramique.

  Jens réapparut, un sac plastique zippé dans les mains qu’il posa sur son bureau. Il tendit alors le cahier à Cleve qui signa son nom là où celui du junkie était inscrit. Après ça, les deux hommes se saluèrent et Cleve s’escamota en direction des bureaux.

  Marialie était parvenue à se libérer de ses menottes qui pendaient sur le dossier d’une chaise. Le store était grand ouvert. La luminosité d’un panneau publicitaire reflétait de ses couleurs chaudes la pièce dans laquelle Cleve entra, l’air renfrogné.

  — C’est fait, dit-il en claquant la porte. Et maintenant ?

  Marialie s’assit sur le coin du bureau.

  — Il faut attendre.

  — Attendre quoi ?

  — D’ici trente minutes, La femme de l’accueil…

  — …Janice ?

  Marialie opina.

  — Elle apportera à Jens des documents qu’il devra classifier dans la salle arrière qui donne sur les archives. Ce qui me laissera le temps de récupérer ce pour quoi nous sommes venues.

  — Et si tu te fais prendre ?

  — Ça n’arrivera pas.

  L’expression de Cleve s’obscurcit quand l’affiche publicitaire se mit à clignoter de rouge et de noires en stroboscope.

  — Et si ça arrivait ? reprit-il avec plus d’insistance.

  — Tu as perdu foi en mes facultés d’anticipation ?

  — Je n’en sais rien. Peut-être, oui.

  — De toute façon je ne te demande pas d’avoir confiance, mais juste de patienter. Je fais ce que j’ai à faire, et après ça tu pourras reprendre le cours de ton enquête. Tu n’auras même pas à me remercier.

  La posture de la jeune femme ressemblait maintenant à celle d’un félin, perché sur le garde-fou d’une rambarde, dévidant l’horizon de ses yeux perçants.

  L’heure arriva et Marialie se préparait à exécuter le plan qu’elle eut mis au point. Cleve distingua la résonnance d’une paire de talons qui tambourinait le sol, et reconnut là la présence de Janice. Les femmes de la section n’avaient pas pour habitude de porter ce genre de chaussures, peu pratique sur le terrain, à l’instar du personnel d’accueil. Et comme pour imiter les prédications de Marialie, Janice se rendit à la salle des saisies pour déposer une pile de dossiers que Jens s’attarda à emmener dans la salle des archives. C’est alors que la jeune femme fit son entrée. La porte était bien déverrouillée. Elle entra et s’assura de ne pas la claquer derrière elle.

  Le carton dans lequel se trouvait la puce était au sommet de l’une des étagères de droite, qui entreposait des sacs scellés à l’estampille des différentes sections de la Division. Chaque sigle se différentiait des autres par une couleur distincte.

  De son côté, Jens poursuivait son travail. Face à lui était disposés trois caisses en plastiques de tailles identiques. Il logea de manière astucieuses quelques feuilles dans leur boîte attitrée.

  Marialie dut faire un effort de souplesse pour glisser le carton jusqu’à elle, levant haut la pointe de ses pieds au point de strier le cuir de ses chaussures en leurs extrémités. Le carton se rapprochait de son visage qu’elle attrapa au moment où il menaçait de chuter. Cependant, le contenu de la boite s’entrechoqua lorsqu’elle la saisit, provoquant un léger bruit.

  Jens fut interpellé par le bruit et se redressa en tourna les talons. Il inspecta d’un regard vif, mais personne ne parut à l’accueil. Alors il reprit son tri.

  Marialie souffla puis extirpa la puce au milieu d’un ensemble d’objets hétéroclites.

  Dans le couloir, Janice fit de nouveau percuter ses talons sur le carrelage, alertant ainsi la jeune femme qui se redressa dans un sursaut. Une pile de dossiers sous l’épaule, la femme épousseta le haut de son chemisier qu’elle jugeait un brin crasseux, et déposa les documents par l’interstice de la vitre. Elle remarqua la porte légèrement ouverte et la claqua avant de repartir dans ses quartiers. Marialie n’en crut pas ses yeux. Cela ne devait pas arriver. Ce n’était pas prévu. Et pourtant, elle se retrouva enfermée ici, seule avec Jens qui ne tarderait pas à réapparaître. L’angoisse lui fit tourner la tête, son corps étant empli d’un vertige incontrôlable qui accéléra son rythme cardiaque, au point d’avoir l’impression de suffoquer. Alors, elle tenta hâtivement de gérer la situation et ainsi de trouver une solution rapide. Il était clair qu’elle ne pouvait pas déverrouiller la porte, le seul jeu de clés étant actuellement en possession de Jens. Et attendre que ce dernier ne s’assoupisse sur son siège à roulette n’était pas non plus une bonne alternative. Non. Sa seule chance était de prévenir Cleve. Lui seul pouvait la délivrer de sa détention.

  De son côté, l’agent tournait en rond dans son bureau. À quelques reprises il s’imagina déboucher la bouteille de Genn Cove, en vue sur son bureau. Mais ce n’était pas la meilleure chose à faire. Du moins, pas pour l’instant. Et il conserva cette idée au fond de son esprit, en mémo pour plus tard, prévisualisant de laver son corps de cette soirée fortuite. Il était conscient que toutes ses facultés motrices étaient nécessaires, du temps que sa complice ne termine ce qu’elle était en train de faire.

  Finalement, l’attente était peut-être plus difficile à endurer que l’action. Pleins de choses lui traversèrent l’esprit ; d’abord, l’image de Marialie, surprise en train de fouiner dans des dossiers confidentiels, se faisant menotter pour de bon et qui dénoncerait sa complicité, le tout se terminant par son éradication de la section anti-drogue. Puis il s’imagina l’apercevoir en présence de Lonee, tous deux n’ayant fait que tester sa loyauté, et cela dans le seul but de le faire culpabiliser de son incapacité à trouver la solution à cette enquête. La paranoïa le submergea. Et si tout ceci n’était qu’une machination à son encontre ? Après tout, ce serait logique. L’arrivée faussement hasardeuse d’une femme qui se disait vouloir l’aider. Ainsi que sa faculté étonnante d’anticipation. Lonee aurait très bien lui dire tout ce qu’elle savait jusqu’à maintenant. Enfin, tout s’évapora de son esprit qui finit par s’apaiser.

  L’heure tournait. Marialie disait en avoir pour moins de dix minutes. Cela en faisait presque dix-sept à présent. La pensée qu’un incident était survenu s’intensifia dans sa tête, et il lui fallut vérifier par lui-même.

  En parcourant le poste, Cleve arriva devant le bureau de Jens et trouva Marialie non loin, totalement désemparée. Il tenta alors d’ouvrir la porte, mais en vain. Il ne sut pas en cet instant si ce qu’il ressentait au fond de lui était de la tristesse, ou une rage immense. Toutefois, il eut envie de lui marteler à quel point il trouvait ce plan être une mauvaise idée. Et ça depuis le début.

  Cleve réfléchissait. Mais aucune idée ne lui semblait être bonne. Il n’existait aucun double qui aurait pu lui permettre de déverrouiller la porte. Et la défoncer serait encore moins une solution astucieuse. Mais sa réflexion fut de courte durée, Jens sortant de la pièce des archives pour rejoindre son bureau. Cleve demeura sur place, tétanisé. Il pensa alors à une ruse. C’est tout ce qu’il avait à trouver. Une ruse suffisamment intelligente pour que Jens n’y voit que du feu.

  — Tient, s’étonna Jens en s’affalant sur son siège qu’il pivota face à Cleve, t’as encore besoin de quelque chose ?

  Sur le moment, rien n’arriva. Puis l’agent tenta :

  — Il va me falloir le rapport sur ma dernière perquisition.

  Le visage de Jens pris une teinte rosâtre.

  — L’opération dans le manoir… Sauf que je ne peux pas t’aider. On attend encore la signature du chef du S.C.A. Tu sais comment ça marche. Ces mecs-là prennent toujours des plombes pour faire leur boulot. Ce qui fait trainer les choses. Si cela ne tenait qu’à moi je t’aurais apporté les documents. Tu le sais Cleve.

  — Ce n’est pas grave.

  — Je suis désolé. Peut-être que demain ce sera bon. Faudra alors repasser, conclut-il en lâchant le stylo qu’il tenait dans la main.

  L’objet glissa sur le cahier pour tomber au sol. Jens se baissa pour le ramasser quand Cleve aperçut l’arme qui était accrochée à son ceinturon. Il s’agissait d’un Casler.

  — C’est une nouvelle arme ?

  En se relavant, Jens observa son arme qui pendait à sa ceinture.

  — Je l’ai reçu il y a une semaine. Mais je n’ai encore pu la tester qu’une seule fois. La sensation de tir est impressionnante.

  Au fond de la salle, Marialie s’impatientait. Elle entendait brièvement les deux hommes parler entre eux, sans toutefois parvenir à déceler un mot.

  — Je peux la voir ? demanda Cleve.

  Jens détacha sa ceinture qu’il posa sur le bureau, et retira l’arme de son étui. Cleve distingua ainsi le trousseau de clés qu’il fixa intensément.

  — Tient, s’exclama l’agent en tendant le pistolet à son collègue. Soupèse-moi ça !

  Cleve prit l’arme à deux mains et la brandit comme pour faire feu. Avec délicatesse, il frotta une main sur la glissière pour se rendre compte de sa finition.

  — Tu as raison, elle n’a rien à voir avec les anciennes.

  Jens reprit son arme lorsqu’un bruit retentit derrière lui.

  Marialie était accroupie contre un étalage. Dans ses mains tremblotantes elle tenait un carton qui venait de tomber d’une étagère.

  — Tu as entendu ? demanda Jens en inspectant les lieux.

  — Il paraît que le poste grouille de fantômes, déclara Cleve.

  Son collègue prit cette remarque comme une plaisanterie, et se leva de sa chaise pour aller voir plus en arrière de la pièce. Une fois seul, Cleve attrapa le trousseau et déverrouilla la porte. Ainsi il interpella Marialie qui accourut pour se libérer de sa séquestration. Cleve lui adressa un regard sombre dont elle ne prêta pas attention.

  L’agent claqua la porte et tous deux quittèrent le poste d’un pas rapide.

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