Chapitre 13

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  La nuit tombait à présent.

  Une petite patte velue, fournit de coussinets bruns poussa l’ouverture d’une fenêtre afin de se glisser à l’intérieur d’un appartement.

  Jenner sortit de la chambre, une corbeille à la main. Un tas de fringues sales dépassait du panier qu’elle posa sur le divan. L’animal venait de faire irruption dans le salon et se précipitait maintenant dans la cuisine, arpentant le plan de travail jusqu’à l’évier. Jenner ramassa une soucoupe posée au sol qu’elle remplit d’eau. Le chat se rua alors dessus pour laper le contenu du récipient.

  Sur une platine en bois d’ébène tournait le 33 tour que Cleve détenait chez lui. À force d’usure, le diamant tressautait par intervalle sur les striures endommagées du disque, provoquant de légers soufflements.

  Une brise s’insinua par l’embrasure de la fenêtre, ce qui rafraichît l’intérieur. Jenner attrapa la corbeille à linges et quitta l’appartement.

  Dehors, l’air était frais. En traversant la route, elle se rendit dans une laverie dont la devanture s’illuminait avec extravagance. Une fois le linge entassé tant bien que mal dans une des machines, Jenner inséra trois pièces puis fouilla dans sa poche pour n’en sortir qu’un billet froissé. Il ne lui manquait plus grand-chose pour arriver au compte, et quitta la laverie pour se rendre dans l’épicerie d’en face. Elle traversa vivement la route pour s’introduire dans le petit commerce. Un homme la salua au moment où elle entrait dans son magasin. La cloche suspendue au sommet de la porte résonna dans un tintement mélodieux.

  Dans sa main, elle tenait fermement le billet. De l’autre elle ouvrit un réfrigérateur qui bordait les étalages, et en sortit une canette. Une fois l’article payé, elle avait avec elle la somme nécessaire en monnaie pour lancer la machine.

  En quittant l’épicerie, la pluie reprit en crachin. À l’angle de la rue, là où un poteau indiquait le sens de circulation, un chien déambula, tirant sur une laisse maintenue par sa maitresse. Celle-ci retenait péniblement son animal par à-coups. Non loin, un homme restait sans bouger, tapi dans l’ombre du panneau, une capuche le protégeant de la pluie. Jenner le distingua. Elle plissa les yeux, puis l’homme tourna les talons pour disparaître sous l’épaisse brume dont il semblait s’être fait engloutir.

  La machine s’enclencha et le tambour se remplit d’eau. Le hublot se couvrit d’écumes lorsque la lessive se dilua, formant une épaisse couche mousseuse. La boule de textile tournait précipitamment. Pour patienter, Jenner s’installa sur l’un des bancs accolés au mur et ouvrit la canette.

  Des gouttes glissaient le long des portes vitrées de la laverie. De l’autre côté de la rue un homme semblait patienter, abrité dans l’embrasure d’un pallier d’immeuble. Jenner tourna la tête pour remarquer sa présence, et un court instant elle eut l’impression que leurs regards se croisaient. Depuis sa position on ne voyait du visage de l’homme qu’une forme noire, immobile. Alors elle se releva pour venir se coller à la vitre. Dehors, l’homme ne bougeait pas, comme en alerte. Pour se rassurer, elle plaça une main sur le bas du dos de sorte à constater la présence de son arme. Elle n’était cependant pas chargée, mais habituellement seule la présence du flingue suffisait à effrayer l’agresseur. L’homme tourna finalement la tête pour repartir d’un pas lent sur une rue perpendiculaire.

  Depuis quelques mois Jenner se sentait épiée, partout où elle allait. La nuit, avant d’éteindre la lampe de chevet, elle se mettait à douter, persuadée d’avoir entendu un bruit provenant du salon. Cette paranoïa débuta le jour de son agression. L’agent sortait du poste pour se rendre à sa voiture, sans savoir qu’à l’intérieur du véhicule quelqu’un attendait sa venue. Quand il sortit de sa cachette pour venir placer le canon d’une arme sur la nuque de sa victime, l’instant parut à Jenner durer le temps d’une vie. L’homme souffla quelques mots à son oreille et lui porta un coup suffisamment violent pour qu’elle perde connaissance.

  À la suite de cette attaque, la section décida de reprendre l’enquête avec bien plus de sévérité. Le clan des Ruy Blas n’eut jamais été démantelé, malgré l’acharnement mis en œuvre par Jenner, avant même que l’agression ne survienne. Par la suite, le syndicat s’estompa au point de tomber dans l’oubli. Plus rien ne les accablait, et ainsi plus aucune arrestation ne se fit. Depuis ce jour-là, Jenner restait sur ses gardes, prête à bondir au moindre écart de mouvement d’un inconnu.

  Après un certain temps d’attente, un signal sonore prévenu l’arrêt de la machine. Jenner se munit de son panier pour extraire le linge du tambour. Le séchage l’avait rendu chaud, et la lessive donnait au textile un faux-semblant de senteur des îles.

  À l’extérieur, les vapeurs avaient diminué d’intensité. On pouvait voir quelques lueurs artificielles, haut perchés dans le ciel comme un millier d’étoiles scintillantes, prêtes à se décrocher pour s’écraser sur le microcosme.

  Elle ouvrit l’entrée de l’immeuble à l’aide d’un badge magnétique. Une porte s’ouvrit lorsqu’un bruit résonna tout proche. Ainsi Jenner se rapprocha du son. Derrière elle la porte en bois massif se refermait lentement, le temps pour elle d’analyser les environs. L’agent laissa le panier sur le sol humide et serra fort son arme.

  L’obscurité d’une ruelle empêchait toute visibilité. Jenner s’aventura dans la sombreur des lieux à pas feutrés, puis se ravisa. L’endroit paraissait désert. En rebroussant chemin elle faillit heurter une couverture. Une personne y était enveloppée, allongée à même le sol. Dans le cocon de textiles qui étoffait son corps, l’homme se protégeait du froid. Une soucoupe s’était renversée en face de lui, et quelques pièces étaient maintenant éparpillées sur l’asphalte. L’agent rangea son arme et retourna à l’immeuble. La porte était fermée, alors elle repassa le badge et entra. Une fois dans l’ascenseur elle pressa le bouton du dernier étage. En s’approchant du sommet, la platine faisait écho dans une sonorité itérative. Le disque avait dû sauter… Une fois encore, pensa Jenner, agacée.

  Les portes s’ouvrirent.

  L’agent se raidit, figée. Son panier glissa de ses doigts tremblants et, avant que la corbeille n’ait atteint le sol, elle empoigna son arme pour la décrocher de son étui. Mais son geste fut trop lent et l’assaillant tira le premier. Une fumée noire s’échappait de son arme qu’il rangea avant de s’enfuir. Le corps de Jenner barrait l’ouverture des portes, son cadavre étendu au sol et dont les jambes dépassaient de l’ascenseur.

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