Chapitre 12

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  Cleve lui emboita le pas lorsque Marialie s’insinua dans le hall de son immeuble.

  Ils prirent l’ascenseur et ne prononcèrent aucun mot. Les numéros défilaient jusqu’au septième étage. Les portes s’ouvrirent et Marialie sortit la première.

  En entrant dans son appartement, Cleve prit soin d’ouvrir la fenêtre du salon, et tira nerveusement une large porte coulissante faisant ainsi entrer l’air qui s’empara de l’atmosphère ambiante. De son côté, la jeune femme fit quelques pas, comme pour se rendre compte des lieux. Sur le dossier d’un tabouret elle posa sa veste qui goutta sur le parquet. L’eau ruisselait le long du similicuir pour former de petites tâches claires et volutes sur le sol en chêne brun.

  La pluie s’arrêta de tomber et dans le ciel une nuée d’éclaircies argentées se mirent à strier l’azur. Marialie s’approcha pour observer. En inspirant profondément elle put sentir la fraicheur de l’air gonfler ses poumons, puis se rappela la matière délétère qui se mélangeait au CO2. Cet effet provenait des climatisations enveloppant le dôme de la cité et qui, lorsqu’ils protégeaient la population des températures extérieures, se confondaient avec le système de chaufferie. Tout le circuit demeurait dans l’ensemble une parfaite organisation qui empêchait le grand froid de faire irruption au sein de la ville. Sauf que ce système pouvait donner à certaine personne une fausse impression de suffocation, comme prisonnier d’une forteresse de verre dont la pollution stagnait en ses haut cieux.

  Cleve tendit à son invitée une bière qu’il venait de décapsuler. Elle l’attrapa et but sans trinquer. Le goût râpeux et amer de la boisson lui évoqua un moment la substance qu’elle eut recrachée il n’y a pas une heure, quand les machines de la Cryosphère l’extirpèrent de ses songes. L’arum prit un meilleur attrait à la seconde gorgée. Puis elle posa la bouteille sur le bar en s’installant sur le tabouret, là où pendait sa veste.

  — J’ai du mal à comprendre ce que tu fais ici, déclara Cleve avant d’ingurgiter bruyamment une longue gorgée de bière.

  — J’ai besoin de ton aide, tout comme la mienne te sera nécessaire.

  Comme pour mieux comprendre ce qu’elle lui disait, l’agent fronça les sourcils.

  — Très bien, dit-il alors.

  Marialie se cambra un peu plus en avant.

  — Écoute-moi, Cleve. Tu ignores qui je suis. Et pour l’instant, tout ce que tu sais de moi c’est que je ne suis ni folle, ni une pute qui cherche à soutirer ton fric pour une nuit de passe. Mais je n’ai plus le temps d’attendre.

  — Et cette façon que tu as d’anticiper… Je n’avais encore jamais vu ça. Tu le fais avec une précision étonnante.

  — Une fois que les choses se seront calmées, j’éclaircirai ton esprit sur ce qui se passe. C’est une promesse.

  C’était évident pour lui qu’elle tentait de le manipuler. Alors il prit une nouvelle gorgée. Le liquide froid glissa le long de sa gorge. Mais ce ne fut pas assez et il termina sa bière d’une traite.

  Ce qu’il lui fallait c’était quelque chose de plus corsé, et qui l’aiderait à mieux gérer la situation. Il sortit du mini bar une bouteille de Genn Clove dont il extirpa net le bouchon. Puis plaça deux verres, l’un à côté de l’autre et les remplis aux trois quarts. Il en soupesa un pour le porter à son visage. Les effluves de l’alcool envahirent ses narines, et il éclusa finalement le verre.

  — Il va falloir s’en occuper dès ce soir, déclara la jeune femme, lorsque le poste se videra et que les bureaux seront presque déserts.

  — Tu peux au moins me dire ce que tu comptes faire ?

  — La puce que tu as trouvée dans le manoir, il me la faut pour que je puisse en extraire les données.

  — C’est impossible. Je ne peux pas accéder aux preuves. Il me faut l’accord du chef du S.C.A. Tant que son rapport ne sera pas aux mains du Directeur, ma section n’aura pas accès à ces pièces.

  — On doit quand même la récupérer. Et comme je l’ai dit, ce soir et pas plus tard.

  — Je ne pense pas que tu saisies ce qui se passerait si...

  — Je comprends parfaitement la situation. Sans quoi je ne serais pas là à discuter d’un plan pour récupérer cette puce.

  — Un plan ?

  Cleve se surprit à poser la question. La manière n’avait guère d’importance puisque de toute façon il refuserait catégoriquement de le faire. Sauf que Marialie lui infligeait son regard persistant. Il ne fallait pas qu’il se laisse berner par ses tours de passe. Elle pouvait lire en lui, mais cela ne l’effrayait pas trop. C’était une étrange sensation pour lui, ce qu’il n’eut jamais à ressentir jusqu’à aujourd’hui. Cette pensée l’amena à une autre : et si elle pouvait lire en moi, que trouverait-elle ? Il se calma enfin pour répliquer avec détermination :

  — Ce ne sera pas possible, et je n’ai plus envie d’insister. Tu ferais mieux de retourner de là où tu viens. Et si tu désires avoir cette puce, alors va faire ton joli tour de mentaliste à un agent du S.C.A. T’auras peut-être plus de chance !

  — Écoutes, si tu ne m’aides pas je ne pourrais pas y arriver. Tu ne sais pas encore ce qui risque de se passer si on n’agit pas maintenant.

  — Je l’ignore, et ça n’a pas d’importance.

  — Les deux enquêtes sont liées. C’est tout ce que je peux te dire. (Elle se tut) Ça… et le fait que Jenner sera là d’ici une minute…

Cleve fronça de nouveau les sourcils.

  — Elle sera là pour t’apporter de nouveaux documents concernant l’enquête sur le Lerguole. Mais elle ne doit pas savoir que je suis là.

  — Elle peut sentir ta présence ?

  — Pas si je me concentre, et si elle ne me soupçonne pas d’être là avec toi.

  Silence.

  Cleve se retourna. Il constata sur horloge l’aiguille des secondes terminer son tour pour ainsi changer d’heure.

  — Tu n’as plus que quelques secondes, admit la jeune femme. Décide-toi.

  Dans le couloir de l’étage on entendait s’ouvrir les portes de l’ascenseur.

  — Trois…

  Cleve grimaça nerveusement.

  — Deux…

  — Très bien, dit-il enfin. Va dans la chambre. Je m’occupe d’elle.

  Un sourire se dessina sur le visage de Marialie tandis qu’elle se faufilait dans la chambre. Elle voulut fermer la porte mais s’aperçut d’un détail quand la sonnette s’éleva dans l’appartement. Les bouteilles de bières trônaient encore sur le bar.

  De l’autre côté de la porte se tenait Jenner, un dossier pendant au bout de sa main. Sans qu’on lui convie d’entrer, elle entra dans l’appartement pour s’installer sur le canapé du salon.

  — Tu veux boire quelque chose, lui demanda Cleve qui aperçut les bières.

  D’un geste précipité, il saisit les bouteilles qui s’entrechoquèrent dans un son perçant. Jenner se tourna, puis se leva du sofa.

  — Tu veux de l’aide ? lui demanda-t-elle, s’approchant du bar en sautillant.

  D’un geste du pied, Cleve pressa la pédale qui ouvrit la poubelle, et y déposa les bières.

  — On dirait que t’as eu de la visite, dit-elle dans un sourire sardonique. À moins que ta consommation d’alcool ait encore augmentée…

  En exprimant sa suspicion, Jenner serra le verre de Marialie en le soupesant.

  — Tu voulais me montrer quelque chose ? l’interrogea Cleve, peinant à ruser de sorte à ce que sa collègue lâche prise.

  — Comment ?

  — Je doute que tu sois venue chez moi pour me surprendre en train de boire. Je me trompe ?

  — Bon… reprit-elle d’une voix suave, dis-moi… Tu as reçu de la visite ?

  Cleve s’abstenu de répondre.

  — Elle est mignonne ? Tu l’as juste sautée ou c’est du sérieux ?

  — Il n’y a rien de ça. De toute façon je dois y aller, je n’ai pas le temps pour tes petites entourloupes. Je jetterai un œil sur ton dossier, et demain…

  — Attends voir ! (Elle soutenu un court silence) Ne me dit pas que…

  Jenner tourna sur elle-même comme un prédateur en chasse.

  — Elle est toujours ici ?!

  Cleve se frotta les yeux.

  — Jenner, arrêtes tes conneries.

  — J’en suis sûre ! C’est pour ça que t’as l’air nerveux.

  — Tu dis n’importe quoi.

  — Laisse-moi la voir au moins. Je serai sympa, promis ! Tu ne m’as jamais présenté aucunes de tes amies. Tu peux au moins être gentil pour une fois.

  Jenner observa de nouveau autour d’elle avant de partir en direction de la chambre, puis posa une main sur la poignée.

  L’agent tenta de l’en dissuader :

  — Tu ferais mieux de me dire ce qui t’amène ici. Si c’est important je préfèrerais le savoir.

  Délicatement, comme pour faire réagir Cleve, Jenner tourna la poignée jusqu’à entendre le cliquetis de la serrure. Elle se faufila ensuite dans la chambre. Derrière elle, Cleve intervint et entra à son tour avec précipitation. Jenner était en train d’inspecter sous le lit.

  — T’es ridicule, dit alors Cleve. J’aimerais maintenant savoir ce que tu as à m’apporter. Tu n’es pas venu ici pour m’espionner que je sache…

  Alors Jenner se redressa :

  — Très bien. Après tout… tu as peut-être raison ! La fatigue doit me jouer quelques tours, voilà tout.

  Jenner suivit Cleve qui regagna le salon, puis se rétracta. Suite à quoi elle tourna les talons de sorte à rejoindre le dressing qu’elle ouvrit brusquement. Ainsi, elle poussa un cri ahuri qui détona dans tout l’appartement. Le bruit interpella l’agent qui bondit jusqu’à la chambre.

  Son visage se transforma en frustration quand Jenner s’exclama :

  — J’en étais persuadée !

  Cleve réapparut dans la chambre, s’attendant à voir apparaître Marialie, tapie dans l’obscurité du dressing. Mais à la place, ce fut Jenner qui lui sauta presque à la gorge, un vinyle entre les mains.

  — Ça fait une éternité que je le cherche !

  Après quoi, tous deux regagnèrent le comptoir de la cuisine.

  — Tu vas me dire ce qui t’a fait venir chez moi ? demanda Cleve une ultime fois.

  La jeune femme se rassit sur l’un des tabourets et ouvrit le dossier. Il détaillait la mort de Jazz et était complémenté de quelques clichés. En observant furtivement, Cleve reconnut le visage du junkie, étalés sur le sol d’une cellule, les vêtements tachés de sang.

  — Tu veux que j’en fasse quoi ? demanda l’agent en découvrant un second cliché.

  Sur celui-ci, le corps sans vie de l’homme avait les yeux ouverts en grand. On pouvait aisément découvrir l’anormalité consteller son iris.

  — Ça ne me regarde plus, répondit l’agent en reposant la photo. C’est ton affaire. À toi de te débrouiller maintenant. Je n’ai pas de temps à t’accorder, je suis désolé.

  Comme pour répondre, la jeune femme opina.

  — C’est dommage. J’aurais aussi pu t’aider dans ton affaire…

  — Tu n’es censée rien savoir à ce sujet.

  — Et je n’en sais toujours rien ! Puisque personne ne veut rien me dire. (Elle se mordit les lèvres) C’est si grave que ça ?

  Cleve haussa les épaules.

  — Très bien, reprit-elle en tirant la grimace. Si t’as besoin, je suis dans les parages.

  Ainsi elle repartit, laissant le dossier trôner sur le bar.

  Une fois Jenner sortit, Cleve se précipita dans la chambre dans l’espoir de retrouver son invitée. Dans la pièce, la fenêtre s’ouvrit à son arrivée, et Marialie bondit tout près du lit.

  — C’était moins une, dit-elle, rassurée. J’ai eu peur qu’elle soit trop curieuse.

  Ils sortirent de la chambre, la jeune femme pressant le pas.

  — Si on règle ça ce soir, j’aimerai qu’à l’aube tu ne sois plus là.

  — Ce qui veut dire que je peux passer la nuit ici.

  La jeune femme sourit.

  — Ne t’en formalises pas trop.

  — Ça te changera de tes amies.

  Son sourire réapparut sur son visage, plus espiègle encore que le précédent.

  — Ce n’est pas drôle, conclut Cleve en prenant le verre de son invitée. Je veux d’abord que tu me dises ton plan. (Il but le whisky) Je veux tout savoir. Il n’est pas question que j’agisse à l’aveugle.

  — Ne t’en fais pas (son sourire se dessina une fois encore), tu vas adorer.

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