Chapitre 7

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  Une belle jeune femme aguicha Cleve quand il s’approcha d’elle.

  Elle portait une robe bleue, striée de haut en bas par de fines et longues ouvertures en résilles. Au-dessus d’elle, une large pancarte illuminait l’enseigne du club le Cluster. L’agent entra quand la femme lui caressa l’épaule, soutenant un sourire espiègle dont l’intéressé ne prêta guère d’attention.

  L’établissement regorgeait d’individus en tout genre, assiégés sur de hauts tabourets. Derrière le bar se dressait une scène panoramique, là où se trouvaient plusieurs cages en verres cylindriques. Chacun des hublots abritaient des danseuses qui s’évertuaient dans des chorégraphies quasi-similaires, ce qui donnait une impression de reflet entre chaque silo, comme un assemblage de miroirs les uns à côté des autres. Les femmes étaient vêtues de sorte à dissimuler le strict minimum. Leurs mouvements trahissaient une fausse impression de réalité, affectés par l’état de transfert. Leur reproduction holographique donnait à leur chorégraphie un faux-semblant altéré.

  Cleve monta discrètement à l’étage pour retrouver le maître du château. Dans son bureau, Silver observait à travers une large vitre son établissement regorger de clients. Il regardait d’un œil réfléchi ses femmes qui dansaient, tandis que Cleve se rapprochait de lui.

  — Il y a quelque chose d’étonnant lorsqu’on les observe, lança Silver à son hôte qui observa la vue à son tour. C’est indescriptible… comme une forme incandescente qui s’éteindrait au moindre contact. Les gens payent pour voir ça, s’en délectent pour ne ressentir que du plaisir inassouvi. Et aujourd’hui, c’est tout ce qui reste à offrir. Des miettes pour nos plus bas instincts.

  — On paye bien trop cher pour si peu de plaisir, je te l’accorde.

  — De quoi tu me parles ? Tu as toujours refusé les services que je propose. Je ne comprends d’ailleurs pas pour quelle foutue bonne raison.

  Cleve observa autour de lui pour constater la luminosité des néons baisser d’intensité.

  — T’as recommencé tes conneries ? demanda Silver en se grattant le front.

  — Je ne comprends pas.

  — Je t’imagine mal venir ici uniquement pour voir ma sale gueule.

  En disant cela il se mit à avoir un rire glauque, presque malsain. Puis Cleve reprit :

  — Je ne suis pas censé t’en parler… mais j’ai besoin de quelques informations.

  — J’écoute.

  — Tu es les yeux de cette cité. Et je sais que tu es au courant de pas mal de chose…

  — Tu me flattes, rétorqua son interlocuteur.

  — Est-ce que t’as entendu quelque chose au sujet de la mort des ministres ?

  — Je ne m’attendais pas à cette question. Tu ne fais donc plus parti de la section anti-drogue ? Celle qui me cherche des noises depuis un bon moment…

  Silver s’installa devant son bureau, et prit place sur un siège en bois ancien, dont le dossier était recouvert d’un tissu en daim. La couleur noire de la matière s’accordait avec le reste du mobilier, empreint d’une teinte sinistre. Cleve prit place face à l’homme, les jambes étendues en avant.

  — Personne ne te cherche des noises. Tu n’es plus sous surveillance depuis un moment, et tu nous auras beaucoup aidé.

  — Il y a dix jours, j’ai rencontré trois de tes collègues. Ils se sont pointés ici, et ont joué aux méchants flics après avoir tenté de m’intimider.

  — Ce n’est pas méchant.

  — Ils pensent que je suis mêlé à cette foutue dope qui traine dans toute la ville.

  — C’est la merde partout en ce moment.

  — C’est cette putain de substance qui fou la merde. Elle décime petit à petit tous les réseaux. Il n’y a pas pire comme gangrène, tu peux me croire. Si je n’avais pas mon bar, je me retrouverais à croupir dans une ruelle, avec le reste de la vermine.

  — Tu ne sais toujours rien là-dessus ?

  — Si ça avait été le cas, tu te doutes bien que j’aurais pris de l’avance sur vous. Et je me serai occupé de cet enfoiré de merdeux qui distribue cette came. Le monopole n’existe pas dans ce milieu, du moins pas sans en subir le courroux de ses rivaux. Mais remonter la source reviendrait à retrouver une bouée échouée en plein océan.

  — Aucun fournisseur n’a tenté de te la refourguer ?

  Le visage de Silver parut s’empourprer lorsqu’un néon vira au rouge.

  — Non, répondit-il simplement. Et c’est d’ailleurs une bonne chose. Cette daube ne m’intéresse pas. Ma clientèle est habituée à consommer de la qualité lorsqu’elle fait appel à moi. C’est une image de marque que je ne trahirai jamais.

  — Et pourtant, ton affaire semble se dissoudre.

  — Ma réputation prévaut sur tout le reste, les pertes y compris. Si t’attends de moi un conseil, je te dirai de ne plus marcher sur cette piste. Mais tu devrais plutôt convaincre tous ces camés à parler, une bonne fois pour toute. Tes facultés te le permettent que je sache. À moins que t’aie une meilleure option ?

  Cleve observa à son tour les danseuses, faisant mine d’être surpris par leur démonstration artistique.

  — Je pense que tu as tort, déclara-t-il sans quitter les silos des yeux.

  Des néons suspendus en leur sommet clignotaient au rythme des mouvements des danseuses. Silver se mordit la lèvre supérieure, l’air circonspect. Cleve poursuivit sans y prêter attention :

  — Il y a quelque chose d’artistique qui s’en dégage. Ce n’est pas uniquement un acte charnel. Le désir passe d’abord par le regard avant le toucher.

  — Comment le saurais-je ? J’ignore la dernière fois où j’ai réellement touché une femme. Je pense faire partit de cette génération accro au transfert. Je ne saurais même plus comment m’y prendre. Le contact de la peau, la chaleur des corps, c’est loin derrière nous. Avant, cette sensualité semblait naturelle. Alors que maintenant ce n’est plus qu’un fantasme lointain. Et ceci n’intéresse plus grand monde.

  Il s’arrêta de parler un court instant, puis reprit son souffle afin de pousser un long soupire. Il termina enfin son discours :

  — Tu devrais t’y mettre Cleve. Fais-moi confiance. J’étais réticent moi aussi. Jusqu’à ce que je finisse par en assimiler les bienfaits.

  L’agent se tut.

  — Pour ce qui est de ta demande, déclara Silver, je ne sais pas grand-chose. J’ignore pourquoi ces enfoirés se sont fait abattre. Ni même comment ça s’est produit. Un même tireur, à trois endroits différents de la ville, et au même instant. C’est comme si la téléportation existait.

  — Donc aucune rumeur n’est parvenue à toi ?

  — Nada. Ce que je sais c’est que l’un d’eux souhaitait retirer le monopole à la société Skoja.

  — Je ne savais pas que c’était punissable.

  — Si ce monopole est obtenu par des stratégies douteuses… alors ça le devient.

  Il y eut un silence, le temps que Cleve médite sur tout ça.

  — Tu penses que ce détail pourrait avoir un lien avec ce qui s’est passé ? demanda Silver.

  — Tout ce que je sais… c’est que cette enquête risque d’être sinueuse.

  — Bon, laisse-moi te payer un verre.

  Pendant qu’il disait cela, Silver jeta un bref regard du côté du bar. La clientèle ne désemplissait pas.

  — On m’attend ailleurs, conclut Cleve en passant une main sur son visage. Si tu entends quoi que ce soit…

  — Si j’entends quoi que ce soit, je saurais quoi faire. Ne t’en préoccupes pas.

  L’agent sourit, bien que cela ressemblait plus à un tic nerveux qu’à un signe jovial. Et il quitta enfin le club pour regagner sa voiture. En entrant dans la Corvus, Cleve prit place sur son siège dont le cuir lui procura un certain confort. Là, il cogna en rythme ses doigts sur le volant. Durant une longue minute de silence, l’agent réfléchissait à son enquête. Tout en pensant à ce qui allait s’en suivre, son regard ne pouvait se défaire du document Helice posé sur le siège passager. Il tapota plus encore le volant et démarra enfin, les pneus grinçant sur le sol avant que la voiture ne s’insinue dans la circulation.

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