Chapitre 6

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  À son arrivée, Jenner remarqua la présence d’une équipe médicale.

  La salle des cellules regorgeait de monde ; des agents de la Division, ainsi que des médecins et un scientifique. Ce dernier s’approcha du corps pour se laisser choir prêt de lui, ses genoux cognant le sol en béton.

  Jenner accosta l’agent en charge des cellules :

  — Une overdose ?

  L’homme se tourna pour lui répondre :

  — Tout semble le confirmer. Sauf que je n’ai jamais vu un cas semblable. Du moins pas aussi brutal.

  L’agent rajusta son holster qui compressait ses larges épaules. En remarquant le sang sur l’uniforme de son collègue, Jenner comprit ce qu’il entendait par cas atypique. Elle avait déjà assisté à une overdose, lors d’une interpellation en pleine rue. Une femme, visiblement droguée, tenta d’abattre sa rage sur Jenner, ainsi que sur son équipier, pour terminer sa course le visage contre le bitume humide. Puis avec beaucoup d’habilité, elle la menotta d’un geste parfaitement chorégraphié. La femme se mit enfin à cracher au sol une sorte de mousse jaunâtre. Et après quelques tressautements convulsifs, elle s’éteignit comme ça, sous le poids de Jenner qui la maintenait au sol. Mais ce qu’elle découvrait ce soir était tout autre. Effectivement, quelque chose d’anormal se produisait.

  Jenner se pencha à son tour sur le corps pour tâter les globes oculaires à l’aide de ses pouces.

  — Les yeux sont gonflés comme des baudruches, dit-elle au médecin présent dans la pièce.

  — On a relevé plusieurs tâches sur l’iris, lui répondit-il en retirant les gants en latex de ses mains.

  En disant cela, il vit que Jenner était déjà en train d’analyser cette partie-là.

  — Je n’ai jamais vu ça. Pas à ce point-là du moins. Il y a autre chose ?

  Il observa son rapport d’un rapide coup d’œil, puis secoua la tête.

  — J’ai croisé un homme dans le couloir, déclara l’agent qui scruta l’autre bout de la salle.

  — Il était avec lui dans la cellule lorsque c’est arrivé. Je l’ai ausculté, et il ne souffre que d’un état de choc. Rien de grave.

  — Dans ce cas je vais l’interroger.

  Alors elle se présenta à l’homme qui semblait encore secoué. Il tenait ses bras croisés contre son torse. Jenner le prit avec une compassion modérée.

  — Racontez-moi ce qui s’est passé, lui demanda-t-elle tandis que tous les deux tentaient simultanément de faire irruption dans l’esprit de l’autre.

  L’homme eut plus de mal à y parvenir. Le contre coup de ce qu’il venait de vivre l’empêchait de se concentrer suffisamment, si bien que Jenner n’eut pas grand-chose à attendre de son témoignage. La scène se dessinait si bien dans sa mémoire qu’elle en paraissait réelle, comme si elle se déroulait en ce moment devant ses yeux. Cependant, les images étaient telles que l’homme les avaient décrites peu avant, à l’agent chargé sur les lieux.

  Jenner remercia l’homme qui se sentit le besoin de serrer ses bras plus fort contre sa poitrine.

  On plaça le corps de Jazz sur un brancard. Un médecin s’occupa de le sortir de la cellule et se dirigea vers Jenner qui s’entretenait avec l’un de ses collègues. Celui-ci arborait une silhouette rectiligne. De larges fossettes venaient creuser son visage au teint mat, le front dissimulé par des cheveux aussi fins que de la paille.

  — T’as pu soutirer quelque chose de lui ? demanda l’agent, mordillant le bout d’un stylo qu’il avait sorti de la poche de sa veste.

  Ils jetèrent un regard sur le brancard qui passait tout prêt d’eux.

  — Je n’arrive pas à comprendre ce qui a provoqué ça, admit Jenner en réprimant sa frustration.

  Puis, en observant le cadavre de Jazz, elle se questionna… Si cette overdose provenait du Lerguole, est-ce que tous les junkies de la cité seraient voués à terminer de cette manière ?

  — Va savoir ce qu’il s’était foutu dans les veines, reprit l’agent. Si ça se trouve, on lui a refourgué tout un mélange de cachetons périmé. Ce ne serait pas une première. Avec ce qu’ils prennent dans la gueule à longueur de journée c’est à peine s’ils savent lire ce qu’ils ont devant leurs mirettes !

  — Ce qui me paraît le plus anormal c’est cette coloration provoquée au niveau des yeux.

  — Tu penses à une infection ?

  — Si c’est le cas, il n’y aura qu’une autopsie pour nous le confirmer.

  — Mais ça n’arrivera pas. Personne n’autorisera qu’on inspecte le corps d’un junkie mort d’overdose. La Division ne paiera jamais pour ça, tu le sais.

  — Ce qui m’effraie, c’est qu’il est possible qu’une pandémie ait lieu. Si cette réaction provient d’une nouvelle came, alors tu peux être persuadé qu’on en verra beaucoup d’autres terminer de la même façon.

  — Et alors ? Ça fera des drogués en moins. Je ne vois pas en quoi ce serait un mal que l’élimination de ces junkies. Vois ça comme une sélection naturelle.

  — Peut-être une rivalité entre deux clans ?

  — Là encore, il n’y aurait aucune cohérence. Tu cherches trop… vas au plus logique. Souviens-toi de ta formation. Et reste pragmatique. De la mauvaise came ça existe, et ce pauvre homme en a été témoin.

  — Probablement.

  — Je te laisse rédiger le rapport. C’était ton prisonnier.

  Jenner hocha la tête. Son collègue la salua avant de repartir. Elle observa de nouveau Jazz avant que les ambulanciers ne le sorte de la Division. Puis elle se rendit une dernière fois dans la cellule et s’agenouilla là où une flaque de sang souillait le sol.

  Qu’est-ce qui a bien pu arriver… ? songea-t-elle en se perdant dans ses pensées. Elle appréhendait l’apparition d’une nouvelle mutation, et par là de voir un trop grand nombre d’individus touchés par ce fléau. Ces pensées se perdirent dans un flot innombrable de suggestions qu’elle chassa enfin pour rejoindre la sortie.

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