Evasion

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Le matin avant de partir, Mère m'avait embrassée, encore une fois, avec son horrible rouge à lèvres. Arrivée au collège, je filais aux toilettes. Horreur ! J'étais passée au vermillon, sur les deux joues. Je rinçais abondamment, mais c'était gras. Et plus je frottais, plus je rougissais. Finalement, je me décidais à sortir, chapka rose sur la tête. Je croisais un groupe de filles, une classe au dessus de la mienne.

  • Super ton look !
  • J'adore ! Tu as eu l'idée comment ?
  • Heu...

Du coin de l'oeil, je voyais celles de ma classe qui me regardaient en chuchotant. Elles étaient jalouses, et avaient toutes envie d'avoir, comme moi, une casquette rose à oreilles de lapins et des joues bien rouges Au moins, un problème de réglé ! D'ici une semaine, je passerai, à nouveau, totalement inaperçue !

Mais pour l'instant, je trouvais tous ces regards braqués sur moi un brin embarassants.

Je suis donc allée me planquer au fond de la classe, à côté des délaissés de l'estime sociale, des impopulaires, des rebelles à l'autorité, des marginaux à l'esprit flottant, des mous du coude endormis sur les tables. Ma chapka rose à oreilles de lapins fut acceptée comme allant de soi. J'avais trouvé ma place.

Pendant que la professeur de français se lançait dans un rappel enthousiaste des règles de mise en oeuvre du subjonctif imparfait, ma voisine me regardait longuement. C'était génant. Les autres l'appelaient Gaëlle, ou Gal. Elle était bizarre, avec ses gros yeux globuleux qui regardaient fixement. Elle chuchota,

  • Bienvenue Béatrice...
  • Merci, Gal, ai-je répondu, en chuchotant aussi. Quelques minutes plus tard, elle me glissait un bout de papier. Je le pris et je le dépliais.
  • "Je ne peux pas te parler".
  • "Ha ?" Ai-je écrit. "Et pourquoi ?" A l'évidence, ce n'était pas l'intérêt du cours, qui, ici, tombait dans un vide sidéral, une sorte de dépressurisation, à dix mètres à peine de son lieu d'émission.
  • "Tout à l'heure". Fut le mot en retour. "A la sortie". "Tu aimes le chocolat ?"

Bizarre. Mais elle savait me parler. Dès la sonnerie, nous nous sommes retrouvés dans le couloir. C'était l'heure de la cantine. Nous avons marché côte à côte pendant un certain temps, puis au lieu d'aller attendre dans la queue, elle a bifurqué vers les cuisines. Et elle a dit.

  • Situation de combat, règle n°1 : L'ennemi est immobile, Je bouge. Saute !
  • Hé ? Mais c'est quoi ça ?

Elle ouvrait la porte arrière d'une camionnette, qui venait de faire ses livraisons, et me tirait par la manche, refermant d'un coup sec. Je me retrouvais parmi des cageots de choux, de carottes et des cartons de salades.

  • Chut... Dit-elle en désignant le conducteur, à l'avant.

Je n'osais plus bouger, et je ne savais pas si j'avais plus peur du camionneur, ou de cette fille aux yeux hallucinés. Cinq minutes après, nous étions devant une école primaire, pour la suite de la tournée.

  • Situation de combat, règle n°2 : L'ennemi se déplace à l'Est, je frappe à l'Ouest.

Pendant que le livreur faisait le tour pour ouvrir le battant de la porte arrière, elle ouvrit la porte latérale, embarquant un cageot de choux, et me refilant un carton de salades.

  • Cours !

Je ne demandais pas mieux, tellement j'aurais été confuse de me trouver surprise parmi des choux. Après avoir tourné derrière un pâté d'habitations, elle ouvrit la porte d'une petite maison de ville, et me fit entrer, déposant son butin sur la table de la cuisine.

  • C'est chez tes parents ?

Elle me regarda bizarrement, amusée.

  • Chez mes parents ? Non. Je suis chez moi !

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