Omega Sport

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Le lendemain au collège, tous les élèves et les professeurs ne parlaient que du spectacle et des annonces extraordinaires faites par Peter le Magicien. Madame Hortense Pellegru était l’Archonte des Mondes Souterrains. Sa sortie à quatre pattes, suivie de cinq élèves, était considérée comme une simple péripétie sans importance, et ne semblait pas de taille à nuire à sa réputation.

La direction de l’établissement avait établi un communiqué.

« La rumeur attribue à l’une de nos enseignantes un rôle public éminent, dans un domaine lié au spectacle et au divertissement. La direction prie chacun de garder la tête froide, et de ne pas imputer à l’intéressée des comportements relevant du domaine de la fiction, tels que meurtres, crimes de guerre, tortures, coups d’Etat, exécutions sommaires et génocides.

Signé : Jean Quenemeur, Directeur »

Je regardais effarée, avec Anselme, Linh et Luv, la note punaisée sur le tableau de la cafétéria. Anselme n’en revenait toujours pas.

— Si l’Archonte des Mondes Souterrains est une Ame Errante, un Métamorphe ou un machin gélatineux, ou pire, Hortense Pellegru, il n'y a plus de sécurité !

— Par Apollon, Babo, restons calmes !

— Luv ? Tu jures par les Dieux, maintenant ?

— Je ne jure pas, Babo, j’invoque. C’est très différent.

— Vous avez parfaitement raison mademoiselle !

Monsieur Jean Quercy, le nouveau professeur de littérature, venait de surgir derrière nous. Lui aussi lisait la note.

— Vous en pensez quoi, monsieur Quercy ?

— Monsieur Petitrôt, je pense que la direction est parfaitement dans son rôle lorsqu’elle rappelle que chaque chose doit rester à sa place, et notamment ces fantasmagories, qui n’ont pas à franchir les grilles de notre établissement.

— Pourtant…

— Pourtant, je vous l’accorde, parler de ces fantasmagories, c’est leur accorder une importance. Et figurer sur une note, c’est passer les grilles de l’école. Je penserai à majorer votre note, si un jour j’obtiens une copie de vous, Anselme !

Il reprit.

  • Quant à vous, Mademoiselle Wertmann, je regrette vraiment votre absence de distinction. C'est malheureux. Croyez bien que nous sommes nombreux à considérer vos mérites. Aussi, nous vous offrons ce modeste présent. Avec toutes nos félicitations, Mademoiselle !

Il nous envoya un sourire et un clin d’oeil, me laissant dans les mains un papier-cadeau avec un noeud vert, puis il repartit arpenter les couloirs, balançant largement les bras, lançant la jambe en avant.

— Ça c’est une marche ! Un vrai marathonien ! Qu'y a-t-il dans ton paquet ? Linh, curieuse, regardait par dessus son épaule, puis reprit - Une carte de club de remise en forme, Béatrice, Omega Sport ! Regarde, avec ta photo et tout !

— Mais, c’est une blague ? Je déteste le sport ! Courir m’épuise. Même marcher pour changer de salle de cours, c’est trop long…

— Tut-tut… Tu es bien décidée à voir Peter ? Et bien, c’est là-bas que nous allons le trouver ! Et personne ne peut entrer sans carte de membre. Regarde, la carte est irisée. Les inscriptions et la photo ne sont pas imprimés, mais insérés dans un métal transparent.

— Une carte hautement sécurisée ! Waouh ? Mais je ne veux pas faire de sport !

— Et moi ?

— Babo, intervint Luv, c’est une histoire qui ne te concerne pas.

— Mais moi, j’aime le sport. Et j’aime bien Peter. Et puis, je suis au courant pour l'histoire du souterrain !

— Pff… Il faudra que j'en parle à Peter, pour effacer tout ça. Non, Babo. Les cours sont terminés, l’après-midi est libre. Pourquoi n’irais-tu pas te promener ?

— Si c’est comme ça, de toute façon, je m’en vais !

— Luv, tu n’aurais pas du. Tu l’as vexé !

— Et alors ? Il est encore sous l’effet de la fascination de Peter, et sous le choc de toutes ces histoires. Il n’est pas entièrement lui-même. Il ne doit pas venir.

Je trouvais que Luv était injuste. Babo me semblait au contraire plein de ressources. Je le regardait s'éloigner, et j'étais triste pour lui.

Nous avons marché jusqu’à une petite rue. Certainement une des rues les plus louches de toute la ville, avec des poubelles débordantes, des chats faméliques, des néons en plein jour, et quelques rares échoppes. Il y avait en effet un club de sport, au nom de Omega.

— Omega cela veut dire quelque chose ?

— Oui. C’est la dernière lettre de l’Alphabet grec. C’est le signe inscrit sur la carte. Tu ouvres la porte avec la carte Omega.

Linh avait glissé sa carte dans un lecteur, qui se mit à vibrer en émettant un petit sifflement. La fenêtre s’ouvrit.

— C’est toi, Linh ? Le lecteur de cartes est défectueux, je viens t’ouvrir ! - C’est moi qui y vais ? - J’y suis déjà !

On entendit un cliquetis, puis des voix qui se disputaient.

— Mais dépêche-toi, Groucho, tu vas les faire attendre ! - C’est toi qui a les clés, Harpo ? - Chico, tu veux bien les donner à Groucho ?

La porte s’ouvrit laissant apparaître trois hommes fluets, courbés par le poids des années, en jogging et tennis roses. Un T-shirt révélait, sous une longue barbe blanche, leur appartenance au club de fitness Omega Sport. Ils étaient tellement impatients qu’ils se montaient presque les uns sur les autres. Linh fit les présentations.

— Un peu de patience, laissez-nous entrer ! Je vous présente Béatrice.

— Nous avons entendu parler de vous mademoiselle ! - Une Quantique, enfin, après tant d’année ! -Et très jolie.

— Béatrice, j'ai déjà entendu parler d'eux ! Ils ne sont pas faciles à reconnaître. Ce sont les fameux Gardiens ! Ils sont joueurs ! Rose, Chico je pense. Harpo est en bleu, et Groucho en violet. Ils portent les noms d’acteurs des années 1950, les Marx Brothers !

— Tu as entendu parler des Marx Brothers, Groucho ? - Non. Et toi, Harpo ? - Pas d’avantage. Et Chico non plus.

— Comme c’est drôle…

— Vous nous flattez mademoiselle !

  • Et vous avez beaucoup de clients ?

— Clients ? C’est quoi ça, « clients » ? - N’embête pas la demoiselle, Chico. Elle veut dire des Passagers. - Ha oui ! Passagers, c’est mieux !

— Passagers ! C’est ça. C’est un club de Passagers. - On ne recrute pas souvent des nouveaux. - C’était quand la dernière fois ?

Luv commençait à s’impatienter. Elle regardait par la fenêtre.

— Bon, c’est pas tout les Frérots, mais il faut nous laisser passer !

— Mais oui, c’est vrai ! - Allons-y, je passe un coup de balai. - Tu ne penses vraiment à rien !

Je n’avais pas du tout envie de me laisser manipuler, ce n’était pas une salle de fitness, et ces vieux messieurs n’étaient pas des coachs sportifs.

— Je n’irais nulle part !

— Ha bon ? -Vous ne voulez pas y aller ? - De l’Autre Côté ? - Mais c’est trop tard, mademoiselle ! - Il fallait le dire plus tôt ! Hai-ai-ai… - Nous sommes déjà partis… - Et arrivés !

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