Remise des prix

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Voilà, j'étais de retour au collège, avec Gal.

En temps normal, J’aurais adoré la remise des prix, me voir monter sur scène, puis prendre un air modeste, un peu étonné, l’air de dire ;

— Moi ? Un prix ? Je ne m’y attendais vraiment pas… Je vous remercie monsieur le directeur, mais je ne le mérite pas. Beaucoup d’autres ici peuvent y prétendre, j’ai juste eu de la chance, en tombant sur des sujets qui me passionnent. Oui, malgré mes oreilles de lapin... Néanmoins, du fond du cœur, merci !

A la place de cette apothéose, il m’avait fallu subir l’ascension de mon frère, un sourire carnassier plaqué sur son visage ;

— Monsieur le directeur, l’école de l’excellence a su, encore une fois, distinguer l’élite de la jeunesse. C’est avec modestie que je reçois aujourd’hui cette distinction. Je ne peux qu’encourager mes camarades dans la voie de l’effort et de la droiture ! Sur le chemin de l’honneur, en confiance, suivons les pas de nos ainés.

Et de sourire en regardant tout le monde. Décidemment, mon frérot était encore plus zombie que je ne l’imaginais. Le directeur du collège consulta ses notes, visiblement confus ;

— Bien bien, bien… Vous m’ôtez les mots de la bouche mon jeune ami… En tout cas, merci à vous pour ce magnifique discours, moi-même je n’aurais pas fait mieux ! Nous pouvons l’applaudir…

— Clap, clap…

— Imbécile…

— Léche-botte…

— Lèchefrites…

— Ça se paiera…

— On dirait le discours du directeur…

Un bon point à celle qui a dit ça, Margot, une grande de 3ème. C’était bien possible après tout. Je l’ai vu sortir de l’administration, ce matin. Réjoui et pressé, mais comme s’il s’attendait à être rattrapé. Je le prends par la manche à la descente des escaliers.

— Dis-moi frérot, tu n’aurais pas piqué le discours du directeur, ce matin ?

— Ho ho ? Mais, soeurette, voilà que tu deviens maligne !

— Donc, c’est bien ça.

— Disons que j’ai voulu jouer un petit tour à cette baderne. Tu as vu sa tête ? Ça valait bien un petit effort !

— Comment as-tu pu changer à ce point…

— Changer ? Changer comment ? Rien ne change jamais, chez nous. Père est une lopette sans volonté, mère est toujours absente. Et tu voudrais que je fasse comme eux ? Non merci, Béatrice, ce sera sans moi. Je veux devenir quelqu’un.

Il partit, visiblement en colère. Décidemment, non, mon frère n’était plus un zombie. IL était comme moi, il luttait contre cette situation, nouvelle et intolérable. Sauf que lui, il pensait qu’elle avait toujours existé, cette situation. Ce qu’il faisait, à sa façon, était plus difficile, plus douloureux. Moi, au moins, j’avais des souvenirs, et ils me faisaient du bien.

En sortant du collège, je rencontrais mon Bad Boy. Là encore, la situation était différente de celle de mes souvenirs. Il m’était devenu parfaitement indifférent. Désormais, c’est lui le timide, le réservé. M’aborder avait du lui couter une ou deux nuits d’insomnie et quelques heures de cogitations tactiques. - S'il me parle de ma casquette, je lui en colle une.

Je le vis regarder mes oreilles de lapin, puis hésiter, et cligner des yeux comme s'il se ressaisissait.

— Ho ? Béatrice ? Tu es là. Quel heureux hasard. Magnifique, le discours de ton frère…

— Humpff…

— Oui, un peu bizarre, c’est vrai.

— Hm ?

— On aurait dit… un discours de directeur. Un directeur qui voudrait créer une guerre civile, hein ? Du genre, les meilleurs écrasent les nuls, alors les nuls se rebellent, et puis alors, les autres veulent rétablir l’ordre.

— Hm-Hm ?

— Oui, je sais, c’est juste une idée, comme ça. Mon père est enfin sorti de prison. Lui non plus n’a jamais été une flèche à l’école. Comme nous, hein ?

— Ha non. Comme toi. Moi, je suis juste fatiguée, en ce moment. J’ai eu un accident.

— C’est vrai, mais…

— Mais quoi ?

— Béatrice, de l’autre côté du trottoir, il y a un homme qui te regarde. Il est avec Linh et Luv.

Je me retournais. Ils étaient tous les trois en grande discussion, devant une camionnette violette. Il y avait une inscription, « Monsieur Peter, spectacles de magie et de marionnettes ». Certainement cet homme élégant, élancé, dont la barbe poivre et sel soigneusement taillée faisait ressortir un visage buriné. Il avait une démarche souple, un regard acéré qui s’animait lorsqu’il discutait avec mes amies. De temps à autre, ils jetaient tous trois un regard dans ma direction.

L’homme secoua la tête, comme s’il doutait de quelque chose. Il sortit un pistolet de sa poche intérieure, et dans un mouvement ample, me visa, pressant sur la détente.

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