Retour

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Je suis maintenant de retour à la maison.

Fonctionnellement on me dit que tout va bien. D’une certaine façon, oui, je vais bien. Depuis une semaine, j’ai même repris le chemin du collège. Sur la route, je discute avec Linh et Luv.

— Donc, tu n’as aucun souvenir ?

— Si, j’ai des souvenirs. Mais, mes souvenirs ne sont pas les vôtres. Une partie de la réalité est différente.

— Par exemple ?

— Ma mère. Ce n’est pas ma mère. Même si elle s’appelle Astrid.

— Et puis ?

— Mon père n’est pas agent d’entretien dans un laboratoire. Il est chercheur dans ce laboratoire. C’est un grand chercheur !

— Et qu’a-t-il inventé, ton père ?

— Je ne sais pas exactement, tout est classifié Secret Défense. Mais il a fabriqué sa voiture lui-même. Elle fonctionne au solaire et à l’hydrogène, et ne relâche dans l’atmosphère que de la vapeur d’eau, parfumée à la vanille.

— Hm…

— Pff…

— Vous ne me croyez pas ?

— Non. Ta famille est comme avant. C’est toi qui as changé. Tu as eu un accident, Béatrice.

C’était dur à avaler. Ma superfamille, hyper-géniale ? Ma vie de rêve, idéale – à part Jonas mais il comptait pour du beurre - tout cela n’existait pas ?

Que la brève partie de ma vie passée en état quantique soit une pure illusion, un rêve comateux, passe encore, même si j’avais du mal à le croire tellement cela était encore vivant, en moi. Mais que toute ma vie avant l’anniversaire de mes treize ans soit basée sur un immense malentendu, une construction issue de ma période de coma, je ne pouvais l’admettre.

— Tu es restée dans le coma deux semaines.

— Non. Je suis restée dans le coma presque un an. Les dates ne collent pas. Mes souvenirs remontent à l’anniversaire de mes treize ans.

— Béatrice, si pendant un an tu étais restée dans le coma, tu n’aurais pas récupéré aussi vite. Tu as eu un choc, ta mémoire a en partie disparu !

Oui, j’avais eu un choc. Mais je n’avais pas perdu la mémoire. J’étais encore toute grésillante de la peur que j’avais eue avec ces maudits rats, ayant récupéré un corps physique, celui de ma Fluffie douce, lorsque quelque chose de lumineux m’avait heurté. A mon réveil, à l’hôpital, j’avais des traces sur le corps, du côté gauche, à la tête et au bassin. Les médecins affirment que j’ai eu de la chance.

— Vous êtes une miraculée, mademoiselle Wertmann ! L’effet de souffle du camion vous a propulsé sur le côté, il n’y a donc pas eu de choc frontal, mais un choc latéral. Cela explique vos brûlures, une abrasion liée au frottement.

C’était douloureux. Mais je n’avais rien de cassé, pas un seul os, osselet, tarse ou métacarpe.

— Tu te souviens de nous ?

— Oui, Linh et Luv, mes deux meilleures amies. Vous vous souvenez de mon anniversaire, du gâteau au chocolat ?

— C’était un mille-feuille, Béa, un grand. Avec écrit sur le dessus « Joyeux anniversaire Béatrice ! »

C’était totalement idiot ! Un mille-feuille pour mon anniversaire ! Qui aurait pu avoir l’idée de me faire plaisir avec un mille-feuille ? Je déteste le mille-feuille. C’est impossible à manger, on s’en met plein les doigts, les morceaux se détachent et tout part en galoche. Depuis toute petite, je n’aime que les gâteaux au chocolat, moelleux et très chocolatés.

— Et mon cadeau ? La bague ? On ne peut pas cacher une bague dans un mille-feuille, ça c’est une preuve !

— Tu as eu un livre, Béatrice. Ton cadeau était le best-seller que tu attendais depuis des semaines, «Le Collège Maudit». Les profs sont des zombies, ils sucent le cerveau de leurs élèves, qui deviennent à leur tour des zombies. Alors Emilou la rebelle anti-zombies organise la résistance.

J’étais sous le choc. Pire qu’un camion lancé à toute vitesse. Je nageais en plein cauchemar.

— Des trucs de zombies, ça c’est pour Jonas, mon petit neuneu ! Moi ce que je voulais, c’était «Mondes cachés super-symétriques, une exploration aux frontières du possible» de Jarmut Dierstop.

— Ce livre, c’est ton frère qui l’a eu. Il n’est pas neuneu, Béa. C’est le plus brillant élève du collège.

— Et aussi le plus ironique…

— … Sarcastique…

— … détestable…

— … détesté, envié…

— Sale type, quoi.

Là, j’étais d’accord. Mon frère n'était plus un gentil neuneu, amateur de zombies. Maintenant, c'était un sale type, cynique, arriviste, qui adorait l’étaler. Mais de là à me piquer mes bouquins, il y avait une frontière au milieu. Celle qui lisait des trucs intellos, c’était moi.

— Et puis, il y a quelque chose d’irréfutable, Béatrice, et tu le sais.

Je ne pus m’empêcher de rougir. Je ramenais à la maison une copie de mathématique, où il était noté, à l’encre rouge, 5/20. Depuis mon retour au collège, je n’avais eu aucune note au dessus de la moyenne.

— Tu le sais, Béatrice, n’est-ce pas ? Tu es redevenue comme avant. Tu es toi.

En rentrant à la maison, je suis allé m'enfermer dans ma chambre, m'affalant sur le lit. J'ouvris bientôt les yeux en proie à une angoisse terrible, puis d'un bond je me suis levée. Ma chambre était devenue un bazar indescriptible, mais en fouillant bien, je finis par la trouver. Elle était là, comme avant, sentant la salive moisie. Je la serrais contre moi. Cela me faisait du bien. Tout irait bien désormais.

  • Tu resteras toujours avec moi. Même au collège ?
  • Heu... Oui. Même au collège, Fluffie douce.

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