Electron sur canapé

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Il allait falloir la jouer fine, et comme les Sioux, adopter un camouflage pour tromper les bisons.

Je choisis une casquette avec une doublure. A la place j'allais mettre ma Douce ! C'était juste la bonne taille. Sauf pour les oreilles. Mais je n'avais pas le choix. Je laissais dépasser, façon chapka, mais en rose. Au collège, ma chapka, ça passerait facile, entre les pulls troués, les jeans déchirés, les piercings au nombril. Je me regardais dans la glace, caressant les oreilles de ma Fluffie qui dépassaient de la casquette.

  • Tu m'as sauvé la vie. Je n'oublierais jamais.

Lorsque le soir venu j’ouvris la porte, je trouvais mon père affalé sur le canapé. Il regardait la télévision et se gavait, la bouche ouverte et l’oeil éteint, piochant distraitement dans un paquet de chips avant d’enfourner ces trucs graisseux, toute la difficulté étant de ne rien laisser tomber, sans perdre une miette de l’émission.

— Tu es là, Béatriche ? C'est jolie, ça, ta cachquette. Che suis renchtré tôt aujourd’hui ! Ils n’avaient plus besoin de moi au bouchlot.

J’allais exploser, ou bien le passer à la machine avec cette lessive de la publicité, qui lavait aux enzymes gloutonnes et laissait le linge propre et doux comme au bon vieux temps, mais je restais froide.

— Tu n’es pas mon père. Mon père était chercheur. Il portait une grande barbe. Toi, tu es juste mal rasé. Il était drôle. Il racontait des tas d’histoires. Il ne passait pas son temps à dormir et à manger des cochonneries.

Mon père reposa le paquet sur la table basse.

— Mais, Béatrice, il faut prendre les choses plus cool. Tu dois te reposer, te reconstruire. Enfin, c’est ce qu’a dit le docteur.

— Je ne sais pas si c’est moi qui dois me reconstruire… Peut-être parlait-il… de toi ?

— Béa, je peux t’aider à faire tes devoirs si tu veux. Tu as reçu les résultats de ton contrôle ?

J’ai rougi à nouveau. Et j’ai menti.

— Non. Pas encore.

Je ne sais pas si mon père m’a cru. Il m’a regardé bizarrement. J'en ai rapidement rajouté une couche, bien épaisse, dans le genre salé-pimenté, pour faire diversion et qu'il oublie un peu ma copie. Je secouait la tête, faisant valser les oreilles de Fluffie.

— Et non, je ne veux pas que tu m’aides. Tu es nul en maths. Tu as toujours été nul en maths, depuis tout petit. C’est toi qui le dis. Alors, pourquoi voudrais-tu m’aider ? Avant, mon père était excellent en maths, et il ne m’aidait jamais.

— Béatrice, l’homme que tu décris n’existe pas. Je te propose une chose. Faisons comme avant ! On regarde un peu la télévision, et puis, on fait tes devoirs.

Je ne pouvais pas lutter indéfiniment contre ces souvenirs irréconciliables. Il fallait trouver une issue. Rentrer dans le jeu ?

— D’accord.

— Ha ! Enfin. Tu as de la chance, Question pour un Lampion va commencer. J’adore cette émission ! Tu connais le principe ? L’animateur pose une question, et le premier qui a la réponse appuie sur le poussoir, qui allume le lampion. Il doit alors donner la bonne réponse. Ça ira ?

— Pff…

Assise au fin fond du canapé, je regardais d’un œil noir mon paternel, qui attendait, le regard fixe. J’essayais désespérément de retrouver en lui quelque chose de l’homme qu’il était.

L’émission commençait. Le présentateur vedette Philibert Persil entrait sur le plateau, sautillant sportivement et saluant la foule, cheveux gominés, sourire ultra-bright.

— J’espère que vous avez la super-pêche ! Bienvenue à Question pour un Lampion, et un tonnerre d’applaudissements pour notre Lampionne et notre Lampion du jour, je veux parler de Madame Juste Hunne et de Monsieur Côme Parazar, le vainqueur de notre dernier championnat !

— Clap-Clap-Clap-Clap !

— Merci pour eux, ils le méritent !

— Pas trop tendus ? Juste un peu, Côme-ci Côme-ça ? Ha ha ! Je serais même prêt à tricher pour vous voir revenir, tiens. Mais là, je vais vous poser une question trrrèès difficile, alors êtes-vous prrrêts ?

Les deux concurrents se concentraient, l’air sérieux, les mains déjà sur le poussoir du lampion.

— Dannns quelllles circonstances… fut-découvert-le-principppe… du-micro-onnnde ?

Visiblement, Juste et Côme n’avaient pas la réponse, et c’est mon père qui a répondu ;

— Ça c’est facile, par accident, dans une usine qui fabriquait des radars.

Je le regardais, n’en croyant pas mes oreilles.

— Mais comment est-ce que tu sais ça ?

— Je ne sais pas. Je le sais, c’est tout. C’est important ?

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