Un anniversaire super-singulier

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Hier, c’était mon anniversaire. Trop contente. Je venais d’avoir treize ans.

Il faut savoir que 13 est un nombre premier super-singulier. Des super-singuliers, il en existe, très précisément, et seulement, 15, et celui-ci est super-chou. Il est jumeau avec 11, cousin avec 17, et sexy avec 19 et 7. Un signe. A 13 ans, on entre dans sa quatorzième année, et 14 ça fait deux fois 7, nombre magique, sexy lui aussi avec 19, lui aussi super-singulier, et en plus, chanceux. Donc j’étais hyper-contente.

J’avais invité mes deux meilleures copines, Linh, une Vietnamienne qui venait d’arriver pour un échange scolaire, et qui ne parlait pas encore très bien le français. Heureusement, elle adorait ma mère, qui se débrouillait un peu en Viet. Et nous, on se parlait dans un mélange de langue des signes et d’anglais, en attendant que mon zombie de frère télécharge une application de traduction simultanée.

Et puis aussi, Luv, une Lituanienne russophone, hyper-grunge, hyper-braque, et très marrante. Elle disait toujours plein de trucs sans le moindre sourire. Son père était mort deux fois. Sa mère n’était pas encore née. Quand elle marchait dans la cour, avec son blouson et son crâne rasé, les filles se tournaient légèrement pour ne pas croiser son regard, puis refermaient le cercle, on ne sait jamais, s’il lui venait l’idée de s’incruster.

Elles pouvaient dormir tranquilles, cette idée, je crois, ne l’a jamais effleurée.

Enfin, je dois dire qu’on formait un drôle de groupe, avec mon père au milieu en Moïse, découpant le gâteau au chocolat.

Sans cet idiot de frère, tout se serait bien passé.

— Le gâteau au chocolat, c’est meilleur tiède !

— Tu as raison, on va le faire réchauffer au micro-ondes !

Quel âne, me faire attendre pour mon gâteau ! Pour mes treize ans ! Le tout début de ma quatorzième année ! Heureusement, mon père n’était jamais à court d’anecdotes.

— Vous savez, les enfants, comment le micro-ondes a été découvert ? Dans une usine d'armements ! Un beau jour, un ingénieur est passé à côté d’un magnétron en fonctionnement, avec une barre de chocolat dans sa poche. Lorsqu’il a mis les mains dans sa blouse, l’une d’elles est ressortie pleine de chocolat fondu !

— C’est quoi, un Mâ Nih Têt Long ?

— Un sous-système, pour les radars.

— Et aussi, un moyen de confiner les électrons. Entre une anode et une cathode, dans de petites cavités, ils vont entrer en résonance, espèce de nain...

— Bon, je crois que c’est prêt ! Joyeux anniversaire ma chérie !

J’étais super contente, sauf que lorsque ma part de gâteau au chocolat est arrivée dans mon assiette, il y avait un petit trou au milieu, et ça fumait en faisant un petit glouglou et des bulles…

— Jonas… Lorsque je t’ai demandé de trouver un emballage pour le cadeau de ta sœur, et de le cacher…

— Ben quoi, un gâteau au chocolat, c’est une super-idée comme emballage, et c’est aussi super-bien caché, et c’est une super-surprise !

— Mon cadeau ! Fondu au micro-ondes ! Je vais t’étrangler !

— Mais non, ce n’est pas possible, c’est en métal !

— En plus, du métal !

— Rassure-toi, ma chérie, ton cadeau est sain et sauf.

Mon père trifouilla avec la pointe d’une baguette à sushis dans le petit trou gargouillant, et en sortit un anneau fumant.

— Tadam !

Un truc marron, dégoulinant de chocolat, venait de sortir de mon gâteau, et mon père s’attendait à me voir radieuse, du genre,

— Oui ! Comme c’est joli ! Merci-merci-merci…

Et bien non. Ça ne se passerait pas comme ça. Même Luv n’en pouvait plus de rire, c’était la honte totale.

— Attends, je la passe sous l’eau froide.

— Tu « la » passes sous l’eau ?

— Oui ma puce, regarde, comme elle est belle maintenant, toute brillante, c’est un anneau en métal précieux, je l’ai fait faire pour toi !

— Pour moi ? Ho comme elle est jolie… Merci ! Merci !

Luv était pliée en deux sous la table, mon frère faisait Gna-gna-gna-ga… dans mon dos, mais cela m’était bien égal. C’était le plus beau jour de ma vie.

Une bague torique en toridium torsadé, super-brillante.

— Pour l’aspect brillant, je l’ai fait passer dans la chambre de l’accélérateur, au laboratoire. Le grain est exceptionnellement faible, d’où cette surface quasi parfaite en miroir convexe, une courbure du torsadé optimale, bref, un tore torsadé, parfait, tout droit issu des derniers calculs de notre laboratoire.

Béate d’admiration, examinant le bijou avec des Ho ! et des Ha ! je n’écoutais déjà plus mon père, enfilant l’anneau du plus beau jour de ma vie.

Dans un léger floutage, comme une vieille télévision couleur à tube cathodique échouée dans une zone sans couverture hertzienne, je me mis à vibrer, puis disparus de notre univers.

J’eus à peine le temps de voir mon père descendre ses lunettes sur le bout de son nez, me considérant avec intérêt.

— Mince…

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