Chapitre XI :

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Je passai les lanières de mon sac sur les épaules et jetai un œil à l’horloge de la cuisine : il me restait une quinzaine de minutes avant mon rendez-vous à la prison de Berlin.

— Maman, je pars ! annonçai-je.

— Ne t’avise pas d’être en retard pour au mariage ! s’exclama ma mère depuis la salle de bain, à l’autre bout du couloir.

— Tu peux compter sur moi !

Je fermai les paupières et visualisai la destination.

Astérion, allons-y !

Dans un flash de lumière, je me volatilisai.

Je n’avais jamais eu l’opportunité de me rendre en Allemagne, même si j’avais souvent entendu dire qu’il s’agissait d’un beau pays. Je regrettais simplement de débuter la découverte de sa capitale par l’un de ses centres pénitenciers. J’apparus sur un trottoir de pavés, face à un bâtiment semblable à une petite abbaye en pierre rouge dont la double-porte en ferraille bleu clair était close. Se prolongeaient de chaque côté des murs de briques coiffés de barbelés, hauts de cinq mètres. Bien que ce soit une prison, elle n’avait rien d’austère : les coloris vifs de ses façades, les arbres effeuillés par l’hiver visible derrière et le silence qui y régnait n’avaient rien d’inquiétant.

Quelqu'un devant la porterie me fit un signe de la main. C’était un grand individu de type caucasien, brun à la barbe finement taillée et aux lunettes bleues. Il portait une chemise blanche sous un long manteau marron et un pantalon noir classique. Il s’agissait certainement du traducteur français qui se chargerait de faire l’interprète entre moi et les autorités germaniques. Preuve en était, deux soldats, un homme et une femme l’encadraient. Tous deux bien plus solennel dans leurs tenues de camouflage, des armes aux poings et leurs bérets rouge amarante.

Au moins, je me trouvais au bon endroit. Je m’approchai et celui que je supposai être l’intermédiaire s’avança et me tendit la main.

— Vous êtes bien Peter Leroy ?

J’acquiesçai et lui serrai la main.

— Mon nom est Fabien Deschamps, poursuivit-il. Traducteur officiel envoyé par le gouvernement français pour permettre les échanges entre vous et les autorités de ce pays.

— Merci de vous être déplacé.

— Je dois admettre que j’étais sceptique lorsque l’on m’a dévoilé votre identité et votre récit. On m’avait prévenu que vous n’étiez pas banal, mais surgir dans un éclat de lumière relève de l’impossible !

Je souris.

— J’ai découvert que nous avions une définition de l’impossible beaucoup trop étroite, croyez-moi.

Je jetai des regards aux alentours, mais la rue semblait avoir été bloquée.

— Quelque chose vous tracasse ? demanda-t-il.

— Il me semblait que vous seriez accompagné d’une amie à moi.

— Kalya l’Elementaris, je suppose ? Elle n’a pas voulu perdre de temps à vous attendre et, comme elle parle couramment allemand, elle se trouve déjà à l’intérieur du centre pénitencier.

Elle n’avait pas changé : toujours aussi impatiente.

— Allons la rejoindre dans ce cas !

Je suivis Fabien qui demanda aux soldats de nous mener sur les lieux de l’évasion de Hans Becker. Tout du moins, je supposais que c’est ce qu’il avait demandé, car je ne parlais pas un mot d’allemand. La femme toqua à la porte bleue de l’entrée puis cria quelque chose afin que quelqu’un l’ouvre de l’intérieur. Une fois chose faite, elle s'engagea et nous fit signe de l'imiter.

À l’intérieur de l’abbaye, des hommes qui conversaient à des tables se turent et nous considérèrent avec intérêt. Certains échangèrent quelques paroles à mi-voix.

— Ils se demandent pourquoi un français a été autorisé à venir, m’expliqua Fabien. Seuls les plus hauts membres de la prison sont au courant de votre identité, de celle de Kalya et la raison de votre venue.

J’avais toujours trouvé que de masquer les informations au grand public était le meilleur moyen de se mettre le monde à dos. Toutefois si nous dévoilions mon récit avant de nous être organisé pour nous opposer Hepiryon, tout le monde paniquerait. Les laisser dans l’ignorance pour le moment restait la meilleure solution, que je le veuille ou non.

Nous arrivâmes devant une seconde porte qui menait à l’extérieur. Nous avancions désormais dans l’enceinte de la prison. Les soldats prirent un chemin qui conduisait à un second immense bâtiment en brique qui s’étalait sur plus d’une centaine de mètres comme une imposante muraille couverte de fenêtres.

— C’est la véritable prison ? interrogeai-je le traducteur. Là où se trouvent les détenus ?

Il hocha la tête et répondit :

— La cellule de Hans Becker se trouve dans l’aile est.

— J’ai lu que cette prison avait servi durant la Seconde Guerre mondiale et qu’il y a un mémorial ici.

Fabien se pinça la lèvre.

— Sale affaire, marmonna-t-il. En 1945, elle servait de lieu d’exécution des résistants au régime nazi. Près de trois milles malheureux ont été abattus ici, c’est pourquoi un mémorial a été réalisé.

Une période sombre de votre Histoire, grogna Astérion.

— Et aujourd’hui, combien de prisonniers sont internés ? continuai-je.

— Je l’ignore, mais le centre peut accueillir un peu moins de six-cent personnes.

La soldate qui nous guidait se tourna vers nous et formula quelques mots.

— Elle nous demande de rester silencieux lorsque nous serons dans les couloirs, me traduisit Fabien. Et d’éviter de fixer les détenus. La zone où était retenu Becker regroupe les pensionnaires les plus difficiles.

J’opinai.

Une fois dans le centre, nous rencontrâmes quelques matons et prîmes un long corridor sur la droite, uniquement éclairé par des lumières blanches qui rendaient ternes et froids les murs gris. Rien à voir avec l'extérieur. Nous passâmes devant plusieurs dizaines de portes métalliques où seule une visière permettait d’apercevoir l'intérieur de la cellule. Je croisais quelques paires d’yeux, des curieux qui nous scrutaient. Certains cognèrent contre leurs portes et vociférèrent des paroles que je ne compris pas et que Fabien se garda bien de me traduire.

Il émanait de ses lieux un mélange de colère et d’amertume. Bon nombre rêvaient de s’évader et goûter à la liberté une nouvelle fois. J’aurais pu avoir pitié d’eux si je n’imaginais pas les crimes qu’ils avaient commis.

Les soldats passèrent une carte magnétique pour ouvrir une porte métallique. Dans un déclic, elle s’ouvrit sur un nouveau couloir. Plus nous approchions de notre destination, plus je me sentais étrangement excité. Je ne pouvais pas empêcher mes doigts de tapoter ma cuisse. Nous nous dirigions vers quelque chose que j’avais déjà ressenti auparavant. Je ne comptais pas faire de conclusion hâtive, mais il était difficile d’ignorer cette impression de déjà-vu, comme dans l’ascenseur du hangar militaire de Villacoublay.

Au bout du chemin, j’aperçus trois nouveaux militaires qui gardaient l’entrée d’une cellule dont la porte avait été arrachée. Au même instant, Kalya sortit de la pièce et s’adressa à l’un des gardes. Alors que je m’apprêtai à la héler, je manquai de m’étrangler.

Je devais halluciner.

— Elle est…

— Ici ? termina Fabien. Oui, je vous l’ai dit.

— Non, ce n’est pas ça ! Elle est habillée comme une humaine !

Mon amie à a peau bleue revêtait un jean au-dessus de baskets blanches et un sweat à capuche noir où était écrit « Touche pas à mes baleines ». Une casquette de la même couleur enfoncée sur le crâne l’aurait presque fait passer pour une fan de base-ball. L'unique allure guerrière se retrouvait dans sa fameuse pertuisane retenue dans son dos par une lanière. Je les avais implorés, Elysion et elle, de porter des habits normaux pour mieux s’intégrer à mon peuple et ils avaient toujours strictement refusé.

Elle dut m’entendre, car elle se tourna vers nous.

— Un seul mot sur ma tenue, gronda-t-elle avant même que j’ouvre la bouche, et je t’embroche. J’ai décidé de faire un effort pour satisfaire les tiens donc ne t’avise pas de m’en faire la remarque.

— Un plaisir de te revoir, m’esclaffai-je.

Elle finit par esquisser sourire avant de retrouver son sérieux et de m’indiquer la cellule.

— Tu le ressens, pas vrai ?

— Oui, mais j’attendais d’être ici pour en avoir la certitude.

— Je te laisse vérifier par toi-même, dans ce cas.

Je rentrai à mon tour dans la geôle. Elle était petite sans pour autant être inconfortable pour une seule personne. Un lit métallique une place était renversée en plein milieu de la pièce. À gauche, un lavabo était en partie brisé et des gouttes d’eau s’écoulaient encore du robinet cassé. Les morceaux de verres d’une ampoule brisée étaient éparpillés. Au fond de la pièce, un trou béant ouvrait sur la cour extérieure.

C’était par-là que Becker s’était échappé.

Ou par-là que ses ravisseurs s’étaient enfuis en l’emmenant avec eux.

Regarde le sol, me souffla Astérion.

À mes pieds, le béton ciré gris était endommagé.

Je touchai du bout des doigts. Une sueur froide me parcourut.

— Des Xenos sont bien venus ici, murmurai-je.

— Et ils n’étaient pas seuls, s’immisça Kalya.

Sans comprendre, je m’avançai au centre de la pièce. L’énergie du Chaos qui animait les Xenos était l’exact opposé de la mienne. Pour autant, malgré le dégoût qu’elle m’inspirait, ces deux forces ne se repoussaient pas. Telles une charge positive et une charge négative, le Chaos et la Création s’attirent mutuellement. J’ouvris mon esprit pour sonder minutieusement les alentours : des traces du passage des monstres, jusqu’ici comme une odeur diffuse dans l’air, devinrent nettement perceptibles. Et elles étaient bien plus puissantes que ce à quoi je m’attendais.

Des images surgirent dans mon esprit.

Je me trouvais dans la cellule, mais il faisait nuit. Seule une faible ampoule au plafond éclairait la pièce, la lune était couverte par les nuages. Des hurlements éclatèrent à l’extérieur, dans les couloirs. La porte s’arracha de ses gonds et un monstre se pencha pour avancer dans le passage, de la bave dégoulinait de sa gueule béante. Son grognement profond se répétait au rythme de sa respiration rapide. Je pensais ma dernière heure arrivée, pourtant il s’écarta pour permettre à un homme de passer le pas. À la faible lumière, sa chevelure immaculée et sa peau livide me firent croire à un spectre. Il sourit, mais cela n’exprimait pas la moindre chaleur.

— Hans Becker, susurra-t-il. Nous avons de grands projets pour toi.

Le monstre lâcha un cri strident et se jeta sur moi. L’ampoule explosa.

— Peter ?

Kalya me secouait l’épaule.

— Tu vas bien ? insista-t-elle.

Je clignai des paupières pour chasser l’image du Xenos. Mon cœur battait la chamade. Je venais de vivre l’enlèvement du point de vue de Becker !

— Je… bafouillai-je.

— Qu’as-tu vu ?

— Kelos. Il était ici, là où tu te tiens.

Je me tournai vers l’interprète.

— Prévenez le président qu’il avait raison ! Les Xenos sont bien responsables de cette évasion et Hans Becker est l’homme sur qui Hepiryon a jeté son dévolu ! Il est son actuel futur hôte !

Fabien comprit l’urgence de la situation et interpella les soldats allemands pour leur traduire mes propos. L’un d’eux saisit son téléphone et tapa un numéro avant de s’éloigner, l’air grave. Je me mis à genoux et essayai de capter plus d’images de l’enlèvement, en vain.

— Pourrait-on remonter leur piste ? me questionna Kalya. Mes capacités sensorielles sont bien moins affûtées que les tiennes, mais peut-être que…

— Ils sont partis depuis plusieurs jours. Ils doivent déjà être loin !

— Ni les Xenos ni Kelos ne peuvent transporter un mortel dans les ombres. S’ils l’ont emmené, c’est par la voie terrestre et, en parvenant à remonter leur piste, elle nous mènerait probablement à l’endroit exact de la réincarnation ! Nous connaissons la date et le réceptacle, nous devons déterminer avec certitude l’emplacement !

Je la dévisageai.

— Je suis d’accord avec toi, mais comment veux-tu que je devine le trajet qu’ils ont emprunté ?

— Triture-toi les méninges, c’est toi l’héritier des Immortels !

Astérion, une idée ? m’enquis-je.

Tu peux les traquer avec ton esprit comme un chien de chasse remonterait le fumet d'une proie, répondit-il. Toutefois, s’ils sont trop loin, tu ne parviendras pas à les atteindre.

— Ça vaut la peine d’essayer !

Je fermai les yeux, toute mon attention sur l'empreinte invisible laissée par l'ennemi. Puis je m’y cramponnai pour ne pas qu’elle m’échappe, de la même manière que l’on se concentre sur une conversation dans un métro bondé pour ignorer celles des autres. Le plus difficile restait à venir : remonter cette piste et me tracter jusqu'à son extrémité, là où se situaient le Xenos, Kelos et Hans Becker. Mon esprit se projeta en avant et se hissa le long de ce fil si fin qui, moins la trace datait, plus il s’épaississait en un cordage ferme et facile à agripper.

J’étais toujours conscient de me trouver dans la prison, les paupières closes, mais mes yeux voyaient au travers de mon âme partie à la poursuite de l’ennemi. Chez les Elementaris, j’avais appris à séparer ma conscience de mon corps pour explorer le monde de façon quasi omnisciente, faisant abstraction de toutes les limites spatiales que la chair occasionnait et me permettant de découvrir les merveilles cachées de notre planète. Cette fois, j’usais de cette capacité pour une raison tout autre, sauf que plus je m’éloignais, plus je prenais le risque que mon esprit ne puisse réintégrer mon corps.

Sous mes yeux spirituels défilaient des images : sitôt ville, sitôt champ, sitôt forêt. J’empruntais le même chemin que les Xenos sans pour autant distinguer nettement où je me trouvais. Néanmoins, je savais avec certitude l’orientation cardinale qu’ils avaient suivie. Une vive douleur me traversa et ralentit mon avancée, comme pour me mettre en garde sur la limite de la connexion entre mon corps et mon âme. Malgré la souffrance et les risques, je décidai de ne pas abandonner. J’étais près du but, je le sentais ! Après des secondes qui équivalaient à des dizaines de kilomètres, je perçus enfin une image fixe, mais floue. Vaguement, je distinguai une créature massive se dresser seul au sommet d’une vallée avec, à l'horizon, l'océan. Dans ses bras putrides reposait un individu immobile, emmitouflé dans une tenue uniforme grise : Hans Becker.

Peter ! s’affola une voix.

Malgré la faiblesse de son appel, je reconnus Astérion. Au creux de mon dos, là où ma conscience était retenue à la réalité, j’avais l’impression que quelqu’un s’acharnait au fer chaud pour rompre ce lien. Je m’étais aventuré trop loin. Sans perdre un instant, je cessai de lutter et permis à mon esprit de réintégrer mon corps. Ce fut comme si je relâchais enfin l’élastique que je tendais depuis le début de la traque. Je fus traîné violemment en arrière et l’image du Xenos s’évanouit.

Je rouvris les yeux, de retour dans la cellule du centre pénitencier à Berlin. Je me tournai vers Kalya et voulus l’avertir, mais une toux m’en empêcha et je crachai du sang. Quelqu’un me tendit un mouchoir tandis que je peinais à retrouver mon souffle. Les veines de mes avant-bras saillaient comme si elles menaçaient d'exploser et mes jambes se dérobèrent lorsque j'essayai de me redresser.

Kalya et Fabien m'aidèrent à m'adosser contre le mur.

— J’ai peut-être été trop loin, parvins-je à murmurer.

— Et ça a porté ses fruits ? m'interrogea mon amie.

Je hochai la tête.

— Le Xenos qui a enlevé Becker a couru vers l’ouest sans faire de pause pendant quatre jours pour joindre l’océan atlantique.

— Ils sont en France ? intervint Fabien.

— Pas pour longtemps, maugréai-je. Ils vont le traverser.

— Comment ?

— Je l’ignore, mais je suis presque sûr que le Xenos ramenait Becker sur le continent américain. Et si Kelos ne nous a pas menti en évoquant « le mont du diable » comme le lieu de la réincarnation d’Hepiryon…

— Le mont Diablo, acheva Kalya. À San Francisco.

Fabien traduisit nos propos aux militaires allemands qui s’impatientaient de ne pas comprendre un traître mot de notre conversation.

Le soldat répondit quelque chose en nous désignant, Kalya et moi.

— Il demande, expliqua Fabien, si vous et Kalya ne pourriez pas nous téléporter directement sur place pour les interpeller avant qu’ils n'atteignent l'Amérique.

Je me retins de lui rire au nez. Ils avaient tous l'air de croire que je pouvais me rendre en un claquement de doigts aux quatre coins du globe.

— Avec l’aide d’Astérion, me téléporter seul n’est pas un problème, précisai-je. Mais emporter quelqu’un avec moi réclame beaucoup d’énergie : pour revenir à Paris depuis la Californie, il m’a fallu plusieurs escales. Et nous n’étions que trois ! Sans oublier que les humains ne supportent pas la translatíon, il m’est donc impossible de vous emmener. De toute manière, il est inutile d’essayer de les arrêter.

Je me relevai avec l’aide de Kalya. Elle me prit le mouchoir des mains et m'essuya le nez qui saignait également.

— Pourquoi ça ? s'étonna le traducteur.

— Comme je vous l’ai dit, le but n’est pas de récupérer Becker. Nous avons la confirmation qu’il est l’élu d’Hepiryon et nous savons qu’il le souhaite sur le continent américain, à proximité du lieu de la réincarnation. Kelos, le fils d’Hepiryon, a sous-entendu que le rituel se ferait la nuit du changement d’année au mont Diablo, et ce que j’ai vu tend à le prouver. Notre but est désormais de nous tenir prêts à intervenir le jour J, non pas d’essayer de récupérer ou d'éliminer Becker, sinon Hepiryon risquerait de porter son choix sur un autre mortel.

Fabien acquiesça et partagea mes propos avec les soldats qui parurent insatisfaits, mais ils n’insistèrent pas. Je jetai un œil à ma montre.

— Maintenant, je dois vous laisser : j’ai un mariage auquel je me dois d’assister.

J’arrachai un cri d’horreur à ma mère en revenant le visage barbouillé de sang séché. Après lui avoir assuré que je ne m’étais pas battu et que j’allais bien, elle me tamponna la peau avec un gant humide. Puis, elle me tendit mon costume afin que je me change. Le fameux smoking noir que j’avais si durement acquis avec Anaïs, la future mariée, et où j’avais découvert l’étrange comportement que pouvaient adopter les mortels envers moi.

Après l’avoir enfilé, je rejoignis mes parents qui s’affairaient aux derniers préparatifs avant de se rendre à la mairie du VIe arrondissement de Paris, retrouver les invités. Ma mère s’approcha et vérifia méticuleusement mon nœud papillon qu’Anaïs s’était évertuée à me montrer comment réaliser.

— Tu es superbe ! s’exclama-t-elle, ravie.

— Tu penses que ça se passera bien ? demandai-je. Je sais que Thomas a prévenu tous les convives que je n’étais en rien dangereux et que je serais très prochainement gracié pour ce pour quoi l’on m’accuse, mais…

— Tu n’auras rien à craindre, me rassura-t-elle. Tous tes oncles et tantes nous ont appelés lorsqu’ils ont appris pour l’histoire au restaurant. Personne ne parvenait à croire que tu pouvais avoir commis un tel acte ! Ton oncle Yann a même été prêt à contacter les journalistes et les poursuivre pour diffamation !

Cette pensée me fit sourire.

— Il est toujours aussi téméraire.

— On ne le changera pas, soupira ma mère. Au moins, j’ai réussi à le dissuader afin qu’on attende que la situation s’éclaircisse.

— Je vous ai causé beaucoup de tracas, pas vrai ? demandai-je en la prenant dans mes bras.

— Suffisamment pour une vie, oui.

La mairie avait été entièrement embellie avec des fleurs et des ballons blancs et bleus pour l’occasion. Son entrée était recouverte par un grand barnum de la même couleur pour ombrager l’avancée. Une multitude de personnes était regroupée le long de sa façade, attendant patiemment qu’on les autorise à pénétrer dans le bâtiment. Une fois que mon père eut garé la voiture sur l’une des rares places encore disponibles, nous les rejoignîmes. Je reconnus sans peine les membres de ma famille. Tout d’abord mon oncle Yann et sa compagne Laure ainsi que leur fille, Anna. La dernière fois que j’avais vu ma cousine, elle n’avait que quatorze ans. Elle en avait désormais dix-sept et ressemblait bien plus à une jeune femme.

Plus loin, j’aperçus ma tante Sophie, la sœur de ma mère, accompagnée de son mari, mon oncle Chris. Leurs fils, Alexandre et Benjamin, boudaient dans un coin, agacés de patienter aussi longtemps sans avoir le droit de jouer au ballon et d'être obligés de porter une chemise blanche qu’ils devaient trouver ridicule. C’est vrai qu’un mariage devait paraître ennuyeux pour des garçons de huit et onze ans.

Si la famille d’Anaïs, soit dit en passant très nombreuse, était présente, la mariée, elle, ne semblait pas l’être. Ni mon frère d’ailleurs, qui devait arriver en compagnie de ses amis d’enfance. Ma mère nous abandonna, mon père et moi, pour faire le tour des invités et vérifier que tout le monde avait pu venir à l’heure.

— Nous ferions mieux de nous mêler à la foule, me glissa-t-il à l’oreille. Tu as vu comme Anna a grandi ? Je l’aurais à peine reconnu !

J’acquiesçai.

— Je ne sais pas si j’ai envie de me joindre à eux tout de suite, admis-je.

Mon père me dévisagea.

— Ta mère ne t’a pas convaincu ?

— Tout le monde va me fixer, alors même qu’ils ignorent ce que je suis devenu et ce que j’ai traversé ! expliquai-je. Je suis toujours considéré comme un fugitif et un dangereux terroriste, je ne vois pas comment…

— PETER ! cria quelqu’un.

Je me retournai juste à temps, quelqu’un se jeta sur moi. Sans comprendre comment, je me retrouvais avec mon jeune cousin Alexandre dans les bras. Il riait et m’enlaça.

— Tu nous as trop manqués !

Je restai bouche bée.

— Vraiment ? bafouillai-je.

— PETER ! s’exclama une seconde voix.

Son frère Benjamin n’était pas en reste et imita son cadet. Heureusement que j’avais gagné en muscle ses derniers temps, ou jamais je n’aurais pu soulever les deux garnements.

— Où t’étais caché ? me demanda Benjamin, les yeux brillants. Tu es parti à l’aventure comme Indiana Jones ? Tu t’es battu contre les méchants ?

— On peut dire ça, oui, ris-je. Qu’est-ce que vous avez grandi, tous les deux ! Je n’en reviens pas !

Je les déposai à terre et Alexandre dit fièrement :

— Oui, maintenant j’ai huit ans !

— Toi aussi, tu as grandi ! remarqua Benjamin.

Leurs parents, alertés par les bruits, nous rejoignîmes.

— Peter ? s’étonna Sophie. C’est fou ce que tu as changé !

Je me grattai nerveusement le crâne.

— J’ai eu le droit à une… remise en forme, en quelque sorte.

— J’en connais un qui en aurait bien besoin aussi !

Tout en distant cela, elle tapota le ventre rondouillet de son époux.

Mon oncle Chris lui lança un regard noir avant d’ajouter :

— Nous n’avons jamais cru que tu aies pu commettre un crime ! Nous sommes heureux que tu sois revenu et j’espère que tout ira pour le mieux désormais !

— Je l’espère aussi ! Merci, tonton.

Il sourit et je fis de même.

— Regardez ! Papa, maman ! C’est Peter !

Je vis Anna me pointer du doigt et accourir, le sourire aux lèvres.

Il n’y avait pas à dire, c’était bon d’être à la maison.

Une demi-heure heure plus tard, nous étions tous installés sur une chaise dans la grande salle de cérémonie. Les lustres muraux et les hautes fenêtres vitrées baignaient la pièce de lumière dont le sol marron contrastait avec les tenues élégantes et claires des convives. J’étais installé à côté du meilleur ami de mon frère, Valentin, qui était le second témoin. De l’autre côté, les deux sœurs d’Anaïs occupaient la place de ses témoins.

Cette dernière était tout simplement sublime dans sa robe blanche de marquise en tulle aux épaules dénudées. Quelques dentelles ornaient le bord de la jupe plissée, soulignée par le design de son bustier et de ses manches. Anaïs, radieuse avec son large sourire, son maquillage sans excès et ses beaux cheveux blonds lâchés et ondulés, écoutait le maire énoncer son discours. Thomas, à son côté, était tout aussi rayonnant dans son magnifique costume gris qui faisait incroyablement ressortir ses yeux bleu clair.

Jamais je ne l’avais vu heureux à ce point.

Je ne pouvais m’empêcher de trépigner d’euphorie, comme un enfant. Au-delà de mon amour pour le couple, c’étaient la joie et l’affection que toutes les personnes regroupées dans la pièce éprouvaient pour eux qui me touchaient. J’entendais quelques pleurs dans mon dos, certainement ma mère et celle d’Anaïs. Du coin de l’œil, j’aperçus mes tantes prendre des photos pour garder des traces de ce sublime instant. Puis, vint le moment où Valentin et moi signâmes les papiers officialisant les fiançailles. Je n’aurais pu être plus comblé, ressentant l’importance que cela représentait et la confiance que m’accordaient les époux.

Enfin, les mariés prononcèrent leurs vœux. La transparence de leur propos et l’affection qui ressortait de leurs voix tremblantes d’émotions démontraient la force de leur amour. Un amour bientôt attisé par la venue prochaine d’un bébé.

Lorsque le maire scella l’union, Thomas contempla sa femme, les yeux brillants.

— Je t’aime, Anaïs.

— Je t’aime, Thomas, répondit-elle, resplendissant de bonheur.

Et ils s’embrassèrent sous nos applaudissements.

La foule les acclama tout du long de la sortie jusque devant la mairie, là où les attendait une sublime Excalibur Phaéton IV blanche. Ils grimpèrent dedans, le sourire jusqu’aux oreilles et Thomas klaxonna avant de s’élancer dans les rues de Paris, la ville où les plus belles romances avaient vu le jour.

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