Chapitre IX :

17 minutes de lecture

De retour dans ma chambre, le cœur battant, je peinais à réaliser ce à quoi je venais d’assister. Une telle cruauté !

Peter… commença Astérion.

— Tu l’as condamné à rester prisonnier au cœur d'un volcan, bafouillai-je. Tu l’as condamné à sentir la lave consumer sa chair pour l’éternité !

Il avait tué mon fils ! J’étais fou de rage ! Mon enfant avait péri à cause de sa louable mais futile manie de penser qu’il y a du bon chez n’importe qui ! Il a cru en Kelos, un membre de sa famille, et regarde où cela l’a mené ! Comment aurais-je pu rester sans réaction à une telle bassesse ?

Ma gorge se noua, submergé par la colère intacte d'Astérion. Comment aurais-je moi-même réagi ? J’aurais cherché à me venger sans aucun doute, mais j’aurais préféré le tuer et débarrasser la Terre d’un individu aussi abject plutôt que de le condamner à un immuable supplice.

Aujourd’hui, je regrette, ajouta l’Éternel.

— Du traitement que tu lui as fait subir ?

De ne pas l’avoir éliminé ! Mon désir de vendetta lui a permis de survivre alors que je pensais que la souffrance aurait raison de lui. Désormais, il emploie sa hargne pour ramener mon frère à la vie !

Je me levai et plongeai le regard par la fenêtre pour essayer de me vider l'esprit, en vain. Certes, j'avais espéré des réponses et je les avais obtenues : Kelos était bel et bien une pourriture. Néanmoins, il restait un demi-dieu dont le souhait de vaincre Astérion était légitime... et cela me faisait une belle jambe ! Pour être moi-même désireux de venger les Elementaris morts à cause d'Hepiryon, je savais que c'était une redoutable source de motivation.

Malgré tout, je ne pouvais m'ôter de la tête le visage fou d'Astérion et son ton cruel lorsqu'il prononça le châtiment de Kelos. Il était mon aïeul et, même s’il n’avait pas toujours été le plus plaisant des partenaires, il s'était montré indulgent et bienveillant tout au long de mon périple. J’avais confiance en lui et œuvrais pour préserver les Hommes de la tyrannie de son frère. Comment ne pas ressentir de l'aversion envers sa cruauté, lui, un Immortel qui avait juré de ne pas intervenir dans le conflit des mortels ? Je comprenais son désir de venger son enfant, mais je ne supportais pas qu'il ait cherché à torturer alors qu'il aurait simplement pu l'éliminer !

Consterné, je me pris la tête entre les mains.

Qu’allais-je bien pouvoir faire contre Kelos, le fils d'un Éternel, dont la haine avait été alimentée durant des siècles ?

Me lamenter ou blâmer Astérion ne résolvait pas le problème.

— Je n’approuve pas ta décision, murmurai-je, mais rien ne changera le passé. Nous devrons en subir les conséquences ensemble. À partir de maintenant, je dois maîtriser tes pouvoirs célestes si je veux parvenir à le vaincre. Tu dois m’entraîner !

Je t’entraînerai.

— Que peux-tu me dire d’autre sur Kelos ? A-t-il des points faibles ?

Il est arrogant, provocateur et sait garder la tête froide en duel. Son contrôle de la magie divine est remarquable, car elle est catalysée par son fouet et son épée. Tout comme le bouclier et la lame de Celestios accentuaient la sienne. Ce sont des cadeaux que nous leur avons faits, Hepiryon et moi.

— Donc si on l’en sépare, il sera affaibli ?

Certainement, mais ce ne sera pas suffisant.

— Et les éclairs lui obéissent, ajoutai-je. Comment est-ce possible ?

Vous, les humains, avez souvent mentionné qu’il n’y a que quatre éléments, ceux que tu maîtrises aujourd’hui. Ceux-ci sont les éléments de la Création, mais il en existe un cinquième qui appartient à la catégorie du Chaos : la foudre.

Je me mordis la lèvre.

— Comment est-ce que je peux m’y opposer ? Lorsque nous l’avons affronté, Elysion a failli mourir !

Le meilleur moyen est la magie divine, d’où la nécessité de la contrôler avant la résurrection d’Hepiryon.

Il se tut un instant avant d’ajouter :

Aujourd’hui, l’histoire se répète : la rancœur et la haine sont la cause de tous nos conflits. Kelos a été libéré du mont Etna par les Xenos et planifie de nous barrer la route pour garantir le retour de son père.

— Mais s’il tient à le protéger, pourquoi a-t-il confirmé que la réincarnation aurait lieu la nuit du changement d’année ? Je croyais qu’il mentait, mais, comme il parlait en Esternal, j’en doute...

Je pense qu’il nous a dit la vérité. Si c’est bien le cas, nous n’avons que dix-huit jours pour nous préparer.

— C’est un piège, n’est-ce pas ? Il ne nous confie pas cette information par sympathie, j’imagine ?

Non, Hepiryon trame quelque chose. Néanmoins, nous devrons intervenir et il le sait.

— Alors il nous faudra être prêts en temps et en heure.

Je me relevai, résolu.

En début d’après-midi, le téléphone prêté par mon frère sonna.

— Allô ?

— Peter Leroy ?

— Monsieur le président ?

— C’est bien moi. Je vous rappelle pour vous informer qu’un escadron militaire sera dépêché ce soir aux États-Unis. Nous avons obtenu hier un accord pour envoyer nos soldats à Thorlann.

— Parfait ! Il n’y a eu aucun souci en rencontrant Kalya ?

— Il n’a pas été très enchanté d’apprendre que des créatures vivaient dans son pays à son insu. Toutefois, il a accepté ma requête en échange de certaines conditions.

— Lesquelles ?

— Qu’une vingtaine de ses hommes accompagne les nôtres tout d’abord, afin de déterminer si les Elementaris sont dignes de confiance ou un danger à… garder à l’œil. Ensuite, il leur interdit de quitter leur cité pour le moment.

À la seconde modalité, je manquai de m’étrangler.

— Quoi ? m'indignai-je. Il ne peut pas interdire aux Elementaris de...

— C'était à prévoir, me coupa-t-il. Il refuse que tout un peuple de créatures déambule à pied pour rejoindre la côte est, ou peu importe où ils iront. Néanmoins, il a promis que si vous lui amenez la preuve que les Xenos existent et que les rapports sur les Elementaris leur sont favorables, il consentira à leur offrir des transports aériens et de dénicher un endroit pour les loger en attendant que la situation s’éclaircisse.

Je réfléchis quelques instants avant de grommeler :

— Je suppose que nous ne pouvons pas lui forcer la main…

— Il n’avait aucune obligation d’accepter ma demande, mais les événements sont suffisamment préoccupants pour qu’il nous concède quelques libertés. Ne nous plaignons donc pas de ces conditions.

— Vous avez raison, mais j’ai l’impression qu’on ne me facilite pas ma tâche déjà particulièrement rude.

— Je vous enverrai par message les coordonnées et l’heure de décollage de l’avion. Vos amis souhaitent toujours se joindre au groupe ?

Je mordis ma brosse à dents, encore exaspéré par cette proposition saugrenue qu’Elysion avait faite à mes quatre compagnons.

— Oui, marmonnai-je, ils sont partants. C’est surprenant de votre part d’avoir accepté.

— Le fait que la suggestion vienne d’Elysion me fait penser que c’est une bonne idée malgré la délicatesse de cette mission. S’ils ont la confiance d’un Elementaris, mes conseillers s’accordent à dire que cela favorisera les relations entre nos deux peuples, surtout si leur rancœur envers notre espèce est aussi palpable que vous l’insinuez.

— Je l’espère…

Après un bref silence, il poursuivit :

— Il y a une seconde chose que nous devons évoquer. J’ai peut-être une piste pour dénicher les Xenos en liberté.

— Où ça ? m’enquis-je, attentif.

— Il y a de cela deux heures, Kalya et moi avons rencontré la chancelière allemande par visioconférence. Une fois la peur que lui a infligé la vue de votre amie, elle nous a dévoilé quelque chose qui pourrait vous intéresser : la vidéo d’évasion de Hans Becker.

— Le terroriste ? m’étonnai-je.

Bien entendu, j’avais entendu parler de cette histoire qui tournait encore dans tous les journaux. Le 7 décembre dernier, le condamné Hans Becker s’était enfui de la prison de Plötzensee, située à Berlin. Cet homme de trente-neuf ans, originaire de la capitale allemande, avait abattu de sang-froid une vingtaine de personnes dans une cathédrale près du centre-ville. Il n’avait laissé aucun survivant, adultes comme enfants. Lorsque la police est arrivée sur les lieux, il les attendait à genoux, désarmé et s’égosillant de son massacre.

Un véritable cinglé.

Pourtant, quelques jours plus tard, il était parvenu à s’évader dans des circonstances confuses. Tout ce que nous savions c’est que trois gardes avaient été retrouvés morts dont deux profondément mutilés à l'arme blanche. Puis, il se serait enfui par un trou béant creusé dans le mur de sa cellule. Les médias parlaient d’explosifs utilisés par des complices pour libérer le meurtrier, mais aucune image de surveillance n’avait été transmise pour confirmer leurs dires.

— Cette vidéo a été gardée secrète pour une bonne raison, m’expliqua le président. La caméra qui l’a filmée se trouvait devant la cellule du prisonnier. Elle était la seule à pouvoir voir ce qui s’était passé, sauf qu’elle ne nous apprend presque rien.

— Comment ça ?

— Je n’ai pas eu l’autorisation d’en obtenir une copie, mais nous avons pu la visualiser. Nous y avons aperçu l’un des gardiens faire sa ronde près de la cellule de Becker. Alors que le maton sort du cadre, il se retrouve projeté violemment contre le mur de la prison. Avant qu’on ne puisse voir son ravisseur, un voile noir recouvre l’objectif de l’appareil, comme un liquide visqueux. Nous n’entendons plus que des cris durant une vingtaine de secondes, ainsi qu'un son strident, puis la mystérieuse matière sombre se volatilise.

— Et Hans a disparu, devinai-je.

— En effet. La manière dont a été projeté le gardien pénitencier laisse croire qu’un véhicule l'aurait percuté, mais les couloirs de la prison sont bien trop étroits. De plus, il n’y avait aucune trace d’un quelconque liquide noir sur la caméra. J'ai songé à ce que vous m’avez dit sur les Xenos : ils sont dotés d’une force prodigieuse et seraient capables de manipuler les ombres à leur guise.

Je restai silencieux, essayant de joindre toutes les pièces du puzzle.

— Vous savez ce que ça signifierait si votre hypothèse se confirme ?

— Que cet homme serait l’élu d’Hepiryon, répondit-il. L’individu choisi pour devenir son hôte.

— Exactement ! Je dois me rendre sur place ! Je pourrais déterminer si les monstres du Chaos sont bel et bien venus et peut-être retrouver leur trace ! Vous devez vous procurer…

— J’ai déjà obtenu l’autorisation pour que vous vous y alliez. Ils vous attendront demain matin à neuf heures.

Je me mordis pinçai la lèvre. À onze heures aurait lieu le mariage de mon frère. Cela semblait difficile de partir à la poursuite des sbires d'Hepiryon et de revenir pour la cérémonie. Néanmoins, j’avais là une chance inestimable de débusquer un Xenos !

— J’y serai ! affirmai-je.

— Kalya vous accompagnera, ajouta le président.

— Dites-lui de venir armée dans ce cas, on risque d’en avoir besoin.

Je raccrochai, excité par la nouvelle. Nous avions enfin une piste !

Après avoir prévenu ma famille de l’appel, j’informai mes vieux camarades de classe qu'ils avaient le droit de se joindre au groupe de militaire qui irait à Thorlann, ainsi que l'horaire de leur départ. Ils furent ravis de l’apprendre et je ne pus m’empêcher de tous les remettre en garde, en vain.

À Thorlann, j’avais vite découvert que rien ne valait un bon entraînement pour se vider la tête. En essayant de manier l'épée dans le salon, j’avais oublié à quel point son tranchant était redoutable. La chaise que j’avais coupée en deux ne risquait pas de l’oublier, elle. Après la remontrance de ma mère, je décidai de dégoter un emplacement isolé pour continuer à pratiquer. Je pourrai également y débuter mon apprentissage de la magie divine et ainsi éviter de réduire en cendre toute une capitale.

Après plusieurs minutes de réflexion, l’idée me vint de me rendre dans un lieu désertique. Et quel meilleur endroit pour cela qu’un désert ? J’enfilai une tenue adéquate et légère, rangeai la gourde offerte par Kacelia, la sœur de Kalya, dans un sac à dos et, après une simple recherche sur Google, je disparus dans un flash de lumière.

Mes pieds s’enfoncèrent dans le sable et une brise brûlante me caressa le visage. Lorsque j’entrouvris les yeux, les rayons du soleil aveuglants se reflétaient sur les dunes à perte de vue. Je m’étais si facilement habitué à la chaleur californienne que je ne pensais pas endurer pareil supplice dès mon arrivée. Or, là, je risquais de finir comme les merguez au barbecue de mon père ! Toutefois, je n’avais pas choisi ce lieu par hasard. Contrairement à une forêt ou des montagnes, il n’y aurait aucune végétation pour pâtir si je venais à perdre le contrôle.

Je bus une gorgée d'eau fraîche dans ma gourde et posai la main sur le sol. Par simple contact avec l’élément, je m’y connectai et sondai les alentours. Hormis quelques serpents et scorpions, il n’y avait rien de vivant. D’une manière que je ne saurais expliquer, je parvins à envoyer des signaux répulsifs aux animaux. Puis, j’ordonnai au sable de s’élever en une structure arborescente pour m’offrir une ombre bienfaisante. Néanmoins, j’ignorais combien de temps je parviendrais à supporter ces conditions climatiques.

Patience, Peter, me souffla Astérion. Ton organisme va s’acclimater.

S’il se trompait, je me jurais de le hanter si cela était possible… Je balayai du regard les environs et m’immobilisai subitement. Je venais d’apercevoir... une silhouette. Immobile, trouble, elle était assez grande et arborait des cheveux ondulés. Elle s’approcha et je la reconnus. Mais c’était impossible !

— Emilie ? balbutiai-je.

Elle me sourit et plongea ses magnifiques prunelles azurées dans les miennes. Comment la fille qui m’avait sauvé la vie au réveil d’Astérion et que j’avais protégée du Xenos avant de m’enfuir lâchement de France pouvait-elle se trouver ici ?

J’hallucine…

Je battis des paupières et Emilie disparut. C’était un mirage.

Ma vue s’éclaircit et je me rendis compte que ma respiration se calmait. Je n’avais plus aussi chaud, ni soif. Même ma peau rougie revenait à la normale. Pour une raison étrange, mon esprit et mon corps parvenaient à lutter contre la canicule ! Le soleil était de moins en moins éblouissant et son baiser brûlant de moins en moins douloureux.

Tu n’auras pas nécessité de me hanter, ironisa Astérion.

Je l’ignorai et me retournai vers l’endroit où j’avais cru distinguer Emilie. Il n'y avait rien, évidemment. Depuis ma conversation avec Antoine, Maël et les autres, il était inutile de le nier : je songeais souvent à elle. Mais ce n’était pas le moment de me torturer inutilement, j’avais des pouvoirs divins à maîtriser !

Pourquoi le visage de cette fille occupe tes pensées ?

— J’ai eu une hallucination, répondis-je. Rien d’important.

Dans ce cas, débutons l’entraînement ! Je pense que ce n'est plus un secret pour toi, pour apprendre à manipuler la magie divine, tu dois d'abord l'extérioriser, puis en garder le contrôle. Hélas, cette fois, ce n’est pas uniquement question de concentration, mais également de volonté. Mon énergie est instable et fougueuse : en retrouvant sa liberté, elle ne se laissera pas maîtriser docilement. Si ton esprit n’est pas capable de la ficeler, tu reproduiras tes échecs passés.

Premièrement, répétai-je, restreindre la quantité de magie que je libère pour ne pas m'épuiser et pour en conserver le contrôle. Deuxièmement, la modeler selon mon souhait.

Exact ! Plus la quantité extraite est grande, plus tu auras du mal à te faire obéir, garce cela en tête. Maintenant, tends les mains et tourne les paumes vers le ciel. Tu vas commencer par en libérer une infime quantité.

Je pris une profonde inspiration et me centralisai sur ce mystérieux et puissant fluide qui parcourait chaque parcelle de mon être. Elle faisait partie intégrante de mon corps. Mes paumes se mirent à luire.

Avec douceur…

Je me focalisai sur l’incommensurable énergie qui ne réclamait qu’à sortir, comme un mustang fougueux qui ne rêverait de liberté et d’espace. J’allais lui offrir ce qu’elle réclamait. J’imaginais ma peau se trouer de minuscules pores et laisser s'évader la magie. Sous mes yeux, des particules scintillantes et dorées s’échappèrent de mes doigts et composèrent un nuage de poussière qui, bientôt, se mélangea pour donner un fluide volatil. Je le sentais flotter et vibrer dans l’air, comme une extension de moi-même relié à mes mains par des fils invisibles. Je fis un geste souple sur la gauche et elle m’imita, comme un ruban de gymnastique. J’en restai sans voix. Elle répondait à ma volonté !

Je ris et la fis tournoyer autours de moi, grisé par ce succès.

N’oublie pas de la contenir ! intervint Astérion. Ne te laisse pas enivrer par la sensation, tu dois brider ce pouvoir !

Il avait raison et je commençais à le remarquer. Les particules sortaient toujours de mes doigts pour alimenter la magie qui s’allongeait, s’épaississait et devenait moins réceptive à mes ordres.

— Cesse de sortir ! ordonnai-je en Esternal. Magie, obéis-moi !

Le flux ralentit, sans pour autant cesser complètement. Pire, contre ma volonté, elle tournoya autour de moi pour s’étendre en un cocon protecteur. L’excitation que j’avais ressenti fut balayé par le sentiment d’impuissance. Je serrai les dents et l’imaginai sous la forme d’un puissant étalon que je harnachai avec des sangles mentales. Sous mes yeux, la poussière dorée prit la forme d'un immense cheval qui galopa dans les airs avant de s’immobiliser et de se débattre. Un instant fasciné par cette métamorphose, je me concentrai sur mes entraves pour l'empêcher de se libérer. De mes mains, les particules de magie continuaient de s'échapper, alimentant et renforçant l'animal incandescent.

— Arrête de te libérer ! réitérai-je.

Elle m’ignora superbement et l'équidé se cambra pour me faire lâcher prise, grandissant de plus en plus malgré ma consigne. Il hennit et fit trembler le sol. Je titubai : j’avais l’impression d’essayer de contenir une véritable tempête ! Des ondes de force balayaient le sable et formaient des fentes dans les dunes. Nous lutâmes plusieurs minutes, mais l'animal parvint à se dégager et se mit à galoper autour de moi, soulevant un nuage de sable derrière lui. Sa silhouette se mua en une rafale qui s'éleva et m’emprisonna au cœur d’un ouragan d’énergie impénétrable. Astérion m’avait toujours affirmé que sa puissance divine agissait dans l’unique but de nous protéger et, pour elle, le meilleur moyen semblait de me confiner à la manière d’un bunker.

— Arrête ! criai-je. Je n’ai pas besoin d’être enfermé quelque part ! J’ai simplement besoin que tu m’obéisses, je peux me défendre !

Le sol gronda comme pour contredire mes propos. La tornade fulminait d'arcs énergétiques et était hors de contrôle. Elle gagnait en ampleur et en hauteur de seconde en seconde, alimentée par mes réserves qui fuyaient sous la forme de particules par mes mains, mes jambes, mes joues... Je tombai à genoux, le souffle court.

Peter ! s’alarma Astérion.

— STOP ! hurlai-je.

Le typhon doré explosa et je m'écroulai.

RÉVEILLE-TOI !

La voix résonna et me ramena à la réalité. Je toussai, la poitrine oppressée par une violente douleur.

Tu as frôlé la mort !

Je pris une éprouvante, mais nécessaire inspiration. Mes jambes et mes bras endoloris peinaient à réagir.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? soufflai-je.

Ce qui s’est passé ? grommela Astérion. Redresse-toi et tu auras ta réponse !

Je patientai, le temps de récupérer suffisamment de force pour m’asseoir. Puis, médusé, je découvris les alentours.

— Impossible, bafouillai-je.

Je me situais au centre d’un cratère de plusieurs dizaines de mètres de profondeur et d’une superficie semblable à un stade de foot. Ma gorge se noua à la vue de ce désastre. Qu’avais-je fait ? Que se serait-il passé si je m'étais trouvé dans un endroit habité ?

— J’étais concentré, balbutiai-je. Je…

Ma voix se brisa.

— Peut-être qu’on s’obstine pour rien, articulai-je, la bouche pâteuse. Peut-être que ma mortalité m'empêche…

Tu viens seulement de commencer et tu abandonnes déjà ? Tu vas te relever et réessayer !

Je me laissais retomber sur le dos.

Les yeux clos, le silence et la chaleur me rappelaient Thorlann. Tout y était si paisible et là-bas, j'étais parvenu à atteindre mes objectifs. Je ressentis un pincement au cœur : la cité me manquait. Ses paysages idylliques, l’odeur des pins au nord de la forêt, les baignades dans le lac Lithán… Je n’appréciais plus le tapage des villes humaines, je voulais retourner dans ce sanctuaire de la nature.

J’aimerais te suggérer quelque chose à propos de cette chose qui te tracasse, ajouta Astérion.

— Ce qui me tracasse ? Il va falloir être plus précis, car je n’ai pas qu’un tracas.

Je parle de tes tourments au sujet de la mortelle.

— Appelle-là Emilie. Ce n’est pas tabou.

Dans ce cas, je pense que tu devrais tout raconter à Emilie.

Je m’apprêtais à dire qu’elle ne me préoccupait pas et que cela n’avait rien à voir, mais il aurait perçu le mensonge. Il est vrai que je souhaitais la revoir et tout lui raconté. Elle méritait des explications. Pourtant, je craignais de faire plus de mal que de bien en revenant vers elle, et j’avais donc fui cette rencontre malgré les recommandations de Matt et Antoine. Parler à une fille était compliqué dès le départ, même Astérion s’accordait à dire qu’elles étaient plus difficiles à cerner que les garçons, mais cela ne m’avait jamais découragé jusqu’à maintenant. Il faut dire que le Xenos n’avait pas aidé les choses.

— Ce n'est pas aussi simple... grommelai-je.

— Et en quoi ce n'est pas simple ? Elle a assisté à des choses qui l’ont ébranlée et la fuir ne fait que te torturer. Elle finira par découvrir la vérité tôt ou tard, autant que ce soit toi qui la lui annonces.

Il ajouta d’un ton taquin :

— Et cela te soulagera du poids de la culpabilité et de ton désir de la revoir que tu essaies de refouler.

J’esquissai un maigre sourire.

— Tu es agaçant !

— Moins que toi !

Je restai silencieux, dubitatif.

Prononce le fond de ta pensée, Peter.

— Et si elle me repousse ? Si elle me juge responsable de tout ? Si elle...

On croirait entendre un ado qui se cherche des excuses pour ne pas déclarer sa flamme !

— Je ne cherche pas à déclarer ma flamme ! rétorquai-je. Je cherche simplement à...

À te faire pardonner ? Alors, va demander pardon ! Il y aura toujours un "mais" pour te défiler, toujours un "si" pour te faire renoncer et toujours un risque qu'elle te reproche de l'avoir mise en danger ! Seule une réponse te soulagera et il n'y a qu'un moyen, pourtant évident, d'en obtenir une : il suffit de lui demander. Ta vie cessera-t-elle d'avoir un sens si elle te repousse ? Abandonneras-tu l'idée de la revoir et de lui prouver tes regrets ?

Je secouai la tête.

Alors qu'est-ce que tu attends, crétin ? s'exclama-t-il.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il m'avait convaincu. Il m'avait dit exactement ce que j'avais besoin d'entendre.

— Tu as raison, soupirai-je, de mauvaise foi. J’ai beau y réfléchir, je ne trouve pas d’autre solution que de tout mettre au clair en en parlant. Je pourrai aussi découvrir pourquoi cette fille me trouble tant.

Tu te poses encore la question ? Tu n’es pourtant pas le premier à tomber amoureux, petit.

— Je ne crois pas au coup de foudre ! Je ne l'ai vu qu'une fois et j'ai à peine eu le temps de la saluer qu'une voiture manquait de nous écraser !

Que tu y croies ou non n’a pas d’importance. Tu as perçu chez elle quelque chose qui t’a séduit. Au-delà de son physique avantageux, bien sûr.

— Tu es embarrassant, tu le sais ?

Il rit. Ma vie était vraiment singulière : je recevais maintenant des conseils de cœur d’une divinité vieille de plusieurs milliards d’années.

Allons retrouver ta dulcinée pour que tu cesses enfin d’être un boulet !

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