Chapitre III

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Le lendemain, il suffit d’une simple recherche sur internet pour dénicher l’agenda du président. Je trouvais improbable que son emploi du temps soit disponible à la vue de tous, et pourtant c’était bel et bien le cas ! Le chef d’Etat devait se rendre dès le lendemain matin en Angleterre afin de rencontrer le Premier ministre britannique à dix heures. D’après Thomas, il devrait prendre son avion privé tôt à la base militaire de Villacoublay en compagnie des fusillés-commandos de l’armée de l’air, ainsi que les hommes du GSPR, le groupe de sécurité du président de la République.

Après mûre réflexion, et en ayant écarté l’idée de nous introduire dans le Parlement anglais pour éviter un incident diplomatique, il paraissait plus approprié de tenter notre chance avant le décollage ou pendant son vol. Pendant une grande partie de la matinée, nous érigeâmes un plan pour obtenir une entrevue en tête à tête avec le chef d’Etat de la manière la plus discrète qui soit. Nous aboutîmes enfin à quelque chose lorsqu’Anaïs me fit une demande des plus singulières : l’accompagner faire les magasins et m’acheter un costume pour le mariage. Il fallait dire que je n’avais pas eu le temps de m’y intéresser ces dernières semaines et qu’après l’escapade du lendemain, je n’en aurais sans doute plus l’occasion.

Malgré mon désir de participer au mariage de mon frère, je craignais de sortir à la vue de tous. Même si deux mois s’étaient écoulés, j’étais toujours un fugitif recherché et le risque d’être reconnu par quelqu’un restait réel. Néanmoins, comme ma future belle-sœur le souligna, j’avais changé depuis mon départ : mes cheveux étaient coupés courts, j’étais plus grand et j’avais pas mal bronzé. Mais je restais reconnaissable, trop à mon goût.

La seconde raison qui me rendait réticent à une sortie était de faire les magasins avec Anaïs. C’était certes une fille géniale et intelligente… mais elle restait une fille. Une jeune femme très indécise dont le salaire d’avocate, même en étant débutante, lui offrait amplement les moyens de dévaliser les boutiques, à mon grand dam. Je suppliai même mon frère de nous accompagner mais dès qu’il entendit les mots « magasin » et « Anaïs » dans la même phrase, il se découvrit une étrange passion pour l’aspirateur.

Une telle lâcheté était lamentable !

Finalement, je finis par me résigner : je devais l’accompagner dans sa croisade des magasins. Néanmoins, il était futile de croire que les achats allaient être pour moi. Comme on dit : « Les filles d’abord ! ». Ainsi, après trois commerces où j’avais dû user des légendaires phrases masculines du type : « Oui, ça te va très bien ! » ou « Non, je t’assure que ça ne te grossit pas ! », je portais désormais deux sacs chargés de vêtements féminins. Elle me confia qu’acheter des vêtements la détendait, et qu’elle était stressée entre mon histoire de guerre et l’organisation de son mariage. Quelle chance j’avais !

Lorsqu’enfin elle décida de me mener dans un magasin de costumes, elle se montra particulièrement pointilleuse et difficile. La vendeuse, qui faisait également d’évidents efforts pour satisfaire ma future belle-sœur, partait à la recherche d’une énième tenue à sa demande. Quelques instants plus tard, elle revenait avec un smoking classique : chemise à col cassé, veste noire deux boutons, un gilet et un pantalon assorti. Sans oublier le petit nœud papillon. Tout cela me convenait parfaitement mais je craignais qu’Anaïs ne change de nouveau d’avis.

« Voilà, celui-ci t'ira beaucoup mieux ! s’exclama-t-elle à mon grand soulagement. »

La vendeuse me tendit les vêtements avec un grand sourire insistant qui me mit mal à l’aise. Elle me dévorait tant du regard que je craignis qu’elle ne me reconnaisse. Néanmoins, si c’était le cas, elle n’afficherait pas une telle joie car j’étais présumé dangereux.

« Vous souhaiterez autre chose avec ceci ? me demanda-t-elle d’une voix étrangement aigue. »

— Non, pas pour le moment, répondis-je. Merci.

— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas ! ajouta-t-elle en s’approchant plus près de moi. Un nouveau costume, un autre nœud papillon… ou une cravate peut-être ? »

Son parfum envahit mes narines et me fit tousser.

« Non, non ! Je vous assure ! répétai-je entre deux quintes de toux tout en reculant. »

Déçue un instant, son sourire se redessina sur ses lèvres et elle s’en alla, guillerette. Je marmonnai un juron, agacé. Alors que je pensais m’en être débarrassé, je vis avec stupeur qu’elle minaudait dans les rayons alentour, prête à accourir au moindre signe de ma part. N’avais-je pas été assez clair pourtant ? Anaïs s’approcha de moi, l’air soucieux, et me souffla :

« Je suis la seule à me rendre compte que tout le monde se plie en quatre pour toi comme si tu étais un prince ? Entre elle qui te lèche les bottes, le vendeur du magasin précédent qui tenait à te faire une réduction et le groupe de filles qui nous a harcelés pour obtenir ton numéro de téléphone… C’est bizarre non ? »

Je pensais la même chose. Non pas que cela me déplaisait d’être chouchouté par les commerçants ou dragué en pleine rue, mais cela frisait le harcèlement. Le groupe de jeunes filles dont elle parlait s’était comporté de manière hystérique lorsque j’avais refusé de leur donner mon nom. J’avais même dû faire croire qu’Anaïs était ma copine pour qu’elles renoncent. Et encore, elles avaient commencé à lui jeter leurs rouges à lèvres au visage pour se venger. Elles avaient paru… envoûtées.

« Je crois, répondis-je avec réticence, que c’est mon charisme. »

Comme je l’avais anticipé, Anaïs ricana.

« Tes chevilles vont bien ?

— Je ne rigole pas ! expliquai-je. Mes pouvoirs ont amélioré mon physique et, d’après Astérion, je dégage une sorte d’attraction sur les gens. À leurs yeux, je parais plus impressionnant, resplendissant et donc… attirant. Un peu comme dans les mythes anciens où les dieux séduisaient les humains : c’était grâce au charisme engendré par leur pouvoir qu’ils avaient autant de facilité à rendre les mortels fous d’eux.

— Tu veux dire que tu pourrais influencer n’importe qui ?

— Je n’en sais rien. Je le fais de manière involontaire. Certaines personnes doivent y être plus sensibles que d’autres, je n’ai pas rameuté tout le quartier. Mais les personnes célibataires doivent me trouver hyper… séduisant, je crois.

— Si tu ne te trouves pas une copine avec tout ce relooking que tu as subi, je ne sais plus quoi faire pour toi, gloussa-t-elle. Allez ! Va essayer ce costume et rentrons avant de provoquer une émeute !

— Tu es insupportable, rétorquai-je en riant. »

Une fois dans la cabine, je tirai le rideau et commençai à me déshabiller. Je m’attardai un instant sur mon physique semblable à celui de Jason Momoa. Je peinai toujours à croire que c’était bien mon reflet que j’observais. Où était donc parti le jeune homme, petit et maigrelet qui peinait à monter les escaliers de son université sans s’essouffler ?

Il a disparu, tout comme tes chances de retrouver une vie normale.

Cette pensée néfaste fit disparaître mon sourire. Je m’en voulus aussitôt d’y avoir songé. Il était vrai que je conservais secrètement un infime espoir de retrouver mon ancienne vie un jour, mais si je venais à dévoiler mon identité au monde entier, cela risquait d’anéantir les dernières chances qui me restaient. J’avais accepté et embrassé ma destinée, prêt à tout pour protéger mon monde du retour d’Hepiryon. Mais si nous y parvenions et que je survivais à toutes ces aventures, peut-être pourrais-je un jour étudier à la bibliothèque de nouveau et maudire ces professeurs qui nous donnaient tant de devoirs ?

Cette idée me refit sourire et chassa la morosité. J’enfilai aisément le costume puis, m’observai sous différents angles. Le tissu collait à mon corps mais pas suffisamment sans entraver mes mouvements. Le seul souci était le nœud papillon : je n'avais pas la moindre idée de la manière de nouer ce machin-là. Me demander de me battre avec une épée, j’en serais capable. Mais me battre avec un nœud papillon dépassait mes compétences.

Je sortis de la cabine pour recueillir l’avis de la future mariée. De toute manière, sans son consentement, je ne risquais pas de ressortir d’ici même si une météorite menaçait de s’écraser dans les minutes à suivre. Anaïs s’approcha, plus sérieuse que jamais. Elle tourna trois fois autour de moi, puis deux fois en sens inverse, tout en tirant par ci et là. Ses sourcils en accent circonflexe et sa lèvre inférieure pincée ne me laissaient pas deviner ce qui lui traversait l’esprit. Je croisai discrètement les doigts en attendant le verdict final.

Finalement, elle s’arrêta et s’exclama :

« Je pense qu’il te va à merveille ! »

J’en soupirai de soulagement.

« Tu pourrais me montrer comment on enfile ce machin ? lui demandai-je en lui tendant le morceau de textile qui servirait de nœud papillon. »

S’il y avait une chose de formidable chez ma future belle-sœur, c’était son humilité. Elle ne se moquait jamais du manque de connaissance ou du manque de savoir-faire des gens, alors même qu'elle venait d'un milieu aisé. C'était l’une de ses plus grandes qualités, sans aucun doute. Ce qui compensait dans une certaine mesure son addiction aux magasins.

Avant qu'elle ne puisse me répondre, la vendeuse surgit de nulle part. Elle m’arracha le tissu des mains et s’écria :

« Monsieur souhaite-t-il que je lui montre comment réaliser un nœud papillon ? Cela ira à ravir avec votre costume pour le rendre encore plus beau et séduisant qu'il ne l'est déjà !

— Gageu goi ? bégayai-je, pris au dépourvu. »

Je ne l’avais même pas entendu arriver, un véritable ninja ! Heureusement, Anaïs vola à mon secours et lui reprit le nœud des mains.

« C'est gentil, répondit-elle d’un ton sans équivoque, mais je vais lui montrer moi-même, merci. »

Les yeux de la vendeuse s’assombrirent et elle parut sur le point de se jeter sur ma belle-sœur. Finalement elle se ravisa et lui lança un regard assassin avant de s’éloigner pour de bon. Anaïs s’approcha de moi et se mit à jouer de ses mains afin de façonner un nœud papillon parfait.

Toujours aussi désemparé, je marmonnai :

« C'est étrange que le charisme ait cet effet sur elle alors qu’il ne fonctionne pas sur toi, par exemple… »

Tout en parfaisant son ouvrage, elle me répondit :

« Je n’y connais pas grand-chose… mais je pense que tu as tort. Il marche sur moi aussi mais d'une autre manière. On l'a tous remarqué d’ailleurs : tu sembles plus mature, plus sûr de toi. Tu dégages quelque chose de… fort.

— J'espère que ce n'est pas un sous-entendu pour dire que je sens mauvais, plaisantai-je. »

Elle sourit et poursuivit :

« Ce que je veux dire c’est qu’il n’a probablement pas les mêmes effets sur tout le monde. Une personne en recherche d’amour pourra te trouver attirant. Une autre en recherche d’attention souhaitera simplement t’impressionner. Et d’autres qui ne rechercheront ni l’un ni l’autre te verront comme je te vois : un homme sûr de soi et robuste. »

Elle finalisa le nœud et observa le résultat.

« Ça devrait le faire ! s’écria-t-elle devant son œuvre. Mais dis-moi, pourquoi tu ne questionnes pas Astérion à ce propos ? Moi je ne fais que des conjectures, lui il pourrait te donner des réponses, non ? »

Je me mordis la lèvre, embarrassé.

« Il ne me répond plus depuis hier.

— Tu veux dire qu’il a… disparu ? s’étonna-t-elle. »

Pour elle comme pour ma famille, il était étrange d’imaginer que je discutais régulièrement avec une seconde personne par la pensée. Et qu’en plus il soit à la fois immortel et mon ancêtre rendait la chose encore plus improbable. Mais à notre rencontre, Astérion me l’avait fait comprendre : le seul moyen pour lui de s’extraire de mon corps serait que je meurs. Chose que j’essayais d’éviter au quotidien. J’étais donc certain d’une chose : il ne disparaîtrait pas du jour au lendemain sans prévenir.

« Non, répondis-je. C'est difficile à expliquer mais je sens qu'il est toujours là, quelque part. C’est comme s'il hibernait, je ne sais pas trop comment décrire exactement ce que je ressens. Il s’est renfermé sur lui-même et a bloqué tout échange entre nous. »

Ce n’était pas inhabituel qu’il reste silencieux plusieurs heures d’affilée, mais si j’avais une question il y répondait immédiatement. Or, en me réveillant ce matin et en lui demandant si je devais plutôt porter un tee-shirt blanc ou bleu, un dilemme existentiel, je m’étais rendu compte qu’il était momentanément hors-service. J’avais simplement songé qu’il trouvait ma question idiote mais, après son absence à la réunion de ce matin sur les directives à prendre pour la mission du lendemain, je commençais à m’inquiéter. Il n’était pas du genre à rester de côté, surtout lorsque cela impliquait notre avancée pour barrer la route à son frère.

« Il finira bien par revenir, affirmai-je en dissimulant mes doutes. Et peut-être aura-t-il alors des explications à me donner. D’ici-là, achetons ce smoking et fuyons avant que la vendeuse ne me demande mon adresse ! »

Anaïs remit une mèche blonde derrière son oreille tout en pouffant.

Il était bientôt six heures du soir lorsque nous prenions enfin le chemin du retour. Dans le bus je prenais garde à conserver ma casquette baissée sur mon visage, mais les rares personnes présentes dans la rame ne prêtaient pas attention à moi. Heureusement, tout le monde semblait avoir oublié Peter Leroy, recherché pour violence volontaire sur personnes dépositaires de l’autorité ainsi que présomption de complicité dans le braquage d’un restaurant. Beaucoup de termes compliqués pour sous-entendre que j’étais dangereux, point sur lequel ils n’avaient pas tort.

Anaïs, assise sur le siège à côté du mien, resta étrangement silencieuse. Elle gardait le regard braqué sur les nuages gris qui s’amassaient à l’horizon. Quelques minutes plus tard, nous descendîmes du transport et marchèrent jusqu’à arriver devant l’immeuble où nous attendaient mes parents, Thomas et les Elementaris pour préparer le dîner. Il faisait froid et le soleil déclinait lentement dans le ciel. J’étais bien content de posséder mes nouvelles facultés qui me rendaient moins sensible aux températures hivernales.

Je franchissais l’entrée de l'immeuble lorsqu’Anaïs m’arrêta. Je levai un sourcil, interrogateur.

« Avant que l'on rejoigne les autres, murmura-t-elle, j'aimerais que l'on parle d'une chose si tu as quelques instants. »

Le ton joyeux qu’elle avait employé tout l’après-midi avait disparu. Au contact de sa main, une foule de sentiments me parcoururent. La peur. La détresse. Le désespoir. Elle était terriblement chamboulée par quelque chose. Je retirai mon bras avant que ses sentiments ne m’engloutissent. Depuis le réveil d’Astérion, j’avais non seulement la possibilité de ressentir les émotions d’autrui, mais je les percevais de façon amplifiée. Les leurs comme les miennes. Et Anaïs était actuellement profondément torturée.

« Suis-moi, lui répondis-je. »

Je la guidai jusqu’à un banc, quelques mètres plus loin.

« Qu’est ce qui te tourmente à ce point ? l’interrogeai-je, une fois assis. »

Elle ne parut pas surprise que je sache déjà la raison de sa demande. Je devinai presque son cœur battre la chamade dans sa poitrine, sous son épais manteau.

Après une grande inspiration, elle se lança d’une voix tremblante :

« Je sais que Thomas a accepté de t’accompagner lorsque vous… »

Elle jeta un regard aux alentours pour être sûre que personne ne nous écoutait et ajouta dans un souffle :

« Lorsque vous ferez ce que vous avez prévu, demain. Et je suis presque sûre qu’il te suivra peu importe les risques. Il a tout de suite pris conscience du danger qui nous guette et, comme tu es son frère, il ferait n'importe quoi pour te protéger. Il est courageux et loyal, ce sont des choses que j’aime énormément chez lui. »

Elle s’arrêta et reprit difficilement son souffle.

« Mais il revient tout juste de Syrie et, c’est peut-être égoïste de ma part, mais j'espérais qu'il… qu’il resterait avec nous, en sécurité à la maison. »

Elle posa ses mains sur son ventre arrondi et poursuivit :

« La guerre l'a beaucoup secoué, plus qu'il ne le laisse paraître au quotidien. Depuis son retour, il… il se réveille la nuit à cause de cauchemars mais il ne m'en parle pas. Il croit que je ne le sais pas, mais il a beaucoup souffert et je ne veux pas qu'il souffre à nouveau. Il ne mérite pas ça ! »

Au gré de ses paroles, les nuages menaçants commencèrent à s’amonceler.

« J'espérais qu'il trouverait un travail aux alentours et qu'on pourrait vivre paisiblement. Ou au moins qu’il resterait sur le territoire français en tant que réserviste. Mais si une guerre éclate vraiment comme tu le dis, et… et qu'il y participe… J'ai peur de le perdre, Peter. »

La détresse de sa voix me noua la gorge. Les barrières mentales qui entouraient mon esprit empêchaient ses émotions de me submerger mais il suffisait d’entendre sa voix tremblotante ou de voir les larmes le long de ses joues rosies pour me faire frissonner.

« Anaïs… murmurai-je, à court de mot.

— Je sais que tu tenteras de le dissuader si tu savais la mission risquée, mais il est têtu. C’est de famille, non ? ajouta-t-elle avec un rire sans joie. Te laisser combattre sans lui le rendrait fou. Mais j'ai peur que cette fois il ne revienne pas, tu comprends ? Je ne veux pas que mon enfant vive sans connaître son père et… »

Elle se tut, incapable de terminer sa phrase. Pour ma part, l’idée même d’imaginer mon neveu, ou ma nièce, naître sans connaître l’homme remarquable qu’était Thomas me semblait inimaginable. Inacceptable, même. Pourtant, j’avais vu la mort. Je l’avais côtoyée de près et j’avais moi-aussi failli y passer alors que je possédais des pouvoirs prodigieux.

Que pourrait mon frère face à des Xenos ?

Anaïs confirma mes propres craintes en ajoutant :

« J'ai simplement l'impression qu'il ne fera pas le poids. Tu as des amis qui se battent avec des épées et des lances et qui manipulent les éléments. Depuis hier, j'ai l'impression que nous venons d'entrer dans un autre monde. Un monde où les hommes ne font pas le poids ! Toi-même tu es à moitié un dieu à présent. Que pourra-t-il faire, lui, dans tout ça ? »

Elle plongea ses yeux rougis dans les miens.

« Ce n'est pas le même genre de guerre et… et s'il mourrait je ne pourrais pas…

— Je ne le permettrai pas, la coupai-je d’une voix ferme. »

Le tonnerre gronda comme pour me mettre en garde. Ma gorge se noua. Comment pouvais-je affirmer cela ? Il y aurait des victimes parmi les combattants, ou même de simples dommages collatéraux. Et lorsque les véritables affrontements auraient lieu entre moi, mes compagnons et les Xenos, d’autres innocents mourraient certainement. Et mon frère, comme tous les membres de ma famille, pourrait ne pas être épargné. Personne n’était à l’abri. Pourtant, cela ne pourrait arriver. Anaïs l’avait dit elle-même : Thomas ne méritait pas cela !

Eonia non plus, me souffla de nouveau la voix de mes songes.

Je déglutis en revoyant le corps de mon amie disparue. J’avais été incapable de la secourir. Néanmoins, je ne désespérais pas. Si mes pouvoirs devaient me servir à quelque chose, c’était à protéger mes proches. Et je ferais tout ce qu’il faudrait pour cela !

« Aucune guerre n’a débuté, la rassurai-je en prenant ses mains dans les miennes. Pour le moment, ce que je m’apprête à entreprendre est avant tout de la politique. Mais s’il venait à m’accompagner et que nous nous retrouvions en danger, je te promets de le protéger. Rien ne lui arrivera. »

Elle sembla quelque peu rassurée même si elle pleurait encore. Elle posa sa tête sur mon épaule. Quant à moi je la soutenais, partageant ses peurs en silence, sous la pluie. Nous tremblions tous deux.

Mais ce n’était pas à cause du froid.

Le soir, après le diner, Elysion, Thomas, Kalya et moi nous réunîmes afin de parler une dernière fois du plan d’action du lendemain. Chaque étape devait être claire dans l’esprit de chacun.

Je pris une profonde inspiration avant de résumer :

« Demain matin, aux alentours de sept heures, l’avion privé du chef de l’Etat décollera de la base militaire de Villacoublay en direction de l’un des aéroports de Londres. Cette base se trouve à l’extérieur de Paris, à un peu moins d’une heure d’ici en voiture. On partira donc tôt le matin afin de repérer les lieux. Puis, Elysion et Kalya s’infiltreront et nous ouvriront l’accès. Lorsque le Président sera dans l’appareil, il sera accompagné de ses conseillers, ainsi que des militaires qui assurent sa sécurité. Il faudra que je m’entretienne uniquement avec lui mais l’idéal serait de ne blesser personne.

— Aucun souci, me rassura Elysion.

— D’après les quelques rares images extérieures que nous avons de la base, ce ne sera pas simple de se faufiler sans être vus. Malgré tout, il fera encore nuit à cette heure-ci, ce qui sera à notre avantage. Ensuite, une fois que le président sera dans l’avion et que vous nous aurez prévenus, il me suffira de m’y translater et d’assommer tous les gardes sans éveiller le moindre soupçon des agents se trouvant l’extérieur de l’appareil. Il faudra être rapide et coordonné car nous n’aurons pas beaucoup de temps avant qu’ils ne se rendent compte que quelque chose cloche.

— Et ensuite tu lui racontes toute ton histoire, conclut Kalya. Comme on en a discuté ce matin. Facile.

— On aura affaire à des soldats entraînés et sur le qui-vive, nous prévint Thomas. À la moindre erreur, l’alarme sera donnée et ce sera la cohue. Si on veut que les choses se passent bien, il conviendra d’être rapide, discret et efficace.

— Nous vous étudions depuis des siècles, rétorqua l’Elementaris, sans jamais avoir été découverts. Nous aurions pu kidnapper n’importe laquelle de vos célébrités ou même assassiner un politicien plus facilement qu’un tueur à gage. Alors inutile de t’inquiéter, ce sera un jeu d’enfant d’y pénétrer. Tout reposera sur l’éloquence et la crédibilité de Peter. »

Elysion l’approuva d’un hochement de tête tandis que mon frère grommelait une réponse inaudible. Je tapais des doigts sur la table, nerveux, mais n’ajoutai rien. Nous continuâmes à discuter durant près d’une heure afin de parfaire le plan, pointant du doigt les éventuelles failles ou difficultés. Malheureusement, comme nous n’avions pas d’idée précise de ce à quoi ressemblait l’intérieur de la base militaire, il ne restait qu’à espérer que nous soyons capables de nous repérer sans difficulté. Et à croiser les doigts.

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