Chapitre IV

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Lorsque mon frère me secoua l’épaule pour me réveiller, j’avais le sentiment de n’avoir dormi que quelques minutes. Et pour cause : il était trois heures et demie du matin. Après m’être vêtu à la hâte, le cerveau brumeux, je me rendis dans la cuisine où Kalya et Elysion, silencieux, s’affairaient déjà à enfiler leurs armures. Mon frère et moi portions des vêtements sombres et épais pour nous protéger du froid tout en nous camouflant dans la nuit. Malgré la réticence des Elementaris, je les avais convaincus de laisser leurs armes ici. Je ne comptais tuer personne et nos pouvoirs nous suffiraient amplement à nous défendre en cas de danger.

Mes parents, ainsi qu’Anaïs, s’étaient levés pour nous souhaiter bonne chance. Cette dernière, emmitouflée dans un peignoir, embrassa mon frère et lui murmura quelques mots au creux de l’oreille. Il lui sourit et déposa un baiser sur sa chevelure blonde. Je les enlaçai tous trois avec affection et ressentis tout particulièrement le conflit intérieur qui tiraillait ma mère. Malgré les raisons que je lui avais données, elle peinait à me laisser repartir. Heureusement, elle ne connaissait qu’une partie de notre plan. Mais c’était assez pour qu’elle s’inquiète. Après l’avoir rassuré au mieux, je finis par m’éloigner, le cœur serré mais l’esprit résolu.

Comme prévu, il nous fallut à peine une heure pour atteindre notre destination. Et si nos déductions étaient exactes, ce que nous espérions, le président n’arriverait pas avant deux heures. Thomas gara la voiture à quelques centaines de mètres de la base afin de ne pas attirer l’attention, puis nous la rejoignîmes à pied. Nous ne croisâmes personne sur notre trajet.

À notre connaissance, le camp militaire avait une forme triangulaire d’une superficie de trois kilomètres carrés, entièrement enclavé par des grillages de trois mètres de haut coiffés de fils barbelés pour dissuader quiconque d’y pénétrer. En examinant la vue satellite, nous avions également découvert que son plus grand côté était délimité par une forêt, tandis que les deux autres étaient bordés par des routes, l’isolant du reste de la ville. Nous maintenions donc notre plan initial : Kalya et Elysion pénétreraient dans la base grâce à leur invisibilité tandis que Thomas et moi resterions cachés dans le bois. Il nous suffirait de rester prudents et d’éviter les patrouilles de sécurité dont le nombre serait certainement renforcé avec la venue du président. Ensuite, lorsque ce dernier serait arrivé, les Elementaris nous enverraient un signal afin qu’on les rejoigne et exécute la seconde partie du programme.

Tout paraissait bien ficelé mais j’avais appris à mes dépens que rien ne fonctionnait jamais comme je le souhaitais. Il ne restait plus qu’à croiser les doigts et espérer que cette fois serait différente !

Lorsque nous arrivâmes à quelques mètres du mur grillagé, nous attendîmes quelques instants cachés dans un fossé. Attentifs, nous n’entendions pas le moindre signe suspect. Après une quinzaine de secondes d’attente, Thomas décida d’y aller mais je le retins par le bras.

« Attends, lui soufflai-je. »

Il se raccroupit sans poser de question. Moins d’une minute plus tard, une camionnette militaire passa devant nous à faible allure, ses puissants projecteurs balayant l’obscurité. Je retins mon souffle.

Lorsque les soldats se furent éloignés, Thomas chuchota :

« Comment as-tu su qu’ils approchaient ?

— Le pouvoir de la terre, lui répondis-je. J’ai senti les vibrations du véhicule sur le sol. Maintenant, nous pouvons traverser sans crainte, le prochain véhicule ne passera pas avant quatre minutes. »

Mon frère me dévisagea un instant, ébahi, avant de suivre les Elementaris hors de la cachette pour s’approcher du grillage. Un panneau fixé sur le rempart avertissait : « Zone militaire – Défense de pénétrer ». Les règles étaient faites pour être transgressées, non ? Elysion, Kalya et moi prîmes notre élan avant de bondir par-dessus la clôture pour atterrir de l’autre côté. Il était impossible de deviner que quelqu’un avait pénétré dans la base.

« Eh ! Ne m’oubliez pas ! marmonna Thomas, coincé de l’autre côté. »

Je ne pus m’empêcher de sourire en le voyant s’agacer de l’aisance avec laquelle nous avions franchi la clôture. D’un geste de la main, je fis tournoyer l’air autour de lui, le faisant s’élever de plusieurs mètres. Mal à l’aise, il se mit à battre des bras comme un oiseau, avant de réaliser que cela gênait ma concentration.

Finalement, il posa pied à terre en époussetant son pantalon.

« Merci, me souffla-t-il. »

Je lui souris et nous poursuivîmes notre chemin.

Plus nous nous approchions du cœur de la base, plus la végétation se faisait rare. Le terrain était de plus en plus dégagé, augmentant alors le risque d’être découvert. Thomas nous avait d’ores et déjà prévenus de cette disposition sécuritaire établie par les militaires. Lorsqu’il devint évident que nous ne pourrions pas avancer davantage sans nous trouver à découvert, nous fîmes une halte.

« Les hangars devraient se trouver une centaine de mètres plus loin, détermina Thomas à mi-voix.

— Vous vous souvenez à quoi ressemble l’avion présidentiel ? demandai-je aux Elementaris. C’est un gros avion blanc avec les couleurs du drapeau français sur la queue.

— La dérive, me corrigea discrètement mon frère. Et c’est un Airbus A330, pour information. »

Je haussai les épaules : j’étais presque sûr que les Elementaris se fichaient de ces détails mais sait-on jamais.

« On devrait pouvoir trouver cet engin à l’odeur, marmonna Kalya. Vu la pollution qu’il produit à lui seul.

— Tu penses vraiment que c’est le moment de faire ta crise écologique ? marmonna mon frère.

— Non, mais je tenais à le préciser. »

D’un commun accord, elle et Elysion fermèrent les paupières. À mes yeux, rien ne changea. Pourtant, Thomas manqua de s’étouffer.

« Ils ont véritablement… disparu ! Ce sont des espions parfaits ! »

Les deux Elementaris se relevèrent sans un mot et s’élancèrent au pas de course en direction de la base, avec la grâce et la légèreté d’un félin.

« Ils sont partis ? me demanda Thomas en fixant l’endroit où se trouvaient mes amis quelques secondes plus tôt. »

Je hochai la tête.

« Et maintenant on attend, murmurai-je.

— Et maintenant on attend, répéta mon frère en s’asseyant près de moi. »

La première demi-heure se passa dans le silence. Nous restions sur le qui-vive, craignant à chaque instant d’être repérés et encerclés par des militaires armés. Pourtant, les patrouilles devaient majoritairement circuler au centre de la base car la seule voiture que nous entendîmes se trouvait à une trentaine de mètres de nous et ne vint pas dans notre direction. Je restai posé et attentif au moindre signe des Elementaris. Pour sa part, Thomas se rongeait les ongles, démontrant sa nervosité.

Il fut le premier à rompre le silence.

« Comment fais-tu pour être aussi calme alors qu’on se trouve dans une base militaire surveillée et qu’on risque d’être traité en paria pour ce que l’on s’apprête à faire ? »

Je haussai les épaules.

« Je suis déjà un fugitif, non ?

— N’empêche que beaucoup de choses peuvent mal tourner, voir empirer ta situation, me répondit-il.

— Elle empirera de toute manière. Si on était resté les bras croisés, bientôt, il n’y aurait plus grand monde pour nous traiter en paria. Et puis j’ai confiance en mes amis pour accomplir leur mission. »

Thomas n’ajouta rien. Après une hésitation, je lui demandai :

« Qu’est-ce qu’on ressent quand on va devenir papa ? »

Il parut surpris par ma question avant de froncer les sourcils.

« Eh bien… Pour le moment je ne m’en rends pas vraiment compte. Je veux dire, il nous reste encore plusieurs mois avant qu’elle ne naisse…

— Elle ? soulignai-je. Je croyais que vous n’aviez pas voulu connaître le sexe du bébé ?

— C’est exact ! sourit-il. Mais je sens que ce sera une fille ! On a déjà décidé du berceau qu’on lui prendra, ainsi que la couleur de sa chambre. Si c’est une fille comme je le pense, bien sûr. »

Je souris.

« Tu seras un père formidable, mais je plains les pauvres garçons qu’elle ramènera chez vous. »

Son sourire se mua en grimace.

« Ne m’en parle pas ! »

J’étouffai un rire et refixai l’horizon.

Après une minute de silence, Thomas me demanda avec sérieux :

« Qu’est-ce que tu comptes faire ensuite ? Si tout se passe bien et que le président croit ton histoire, le monde finira par être au courant. Mais ensuite ? Tu n’as pas la moindre idée du lieu de la réincarnation ?

— Non, admis-je. Je sais juste qu’elle se passera probablement la nuit du changement d’année. Mais là encore, ce ne sont que des hypothèses. Ce dont je suis certain, c’est qu’Hepiryon sera bientôt suffisamment puissant pour réaliser la cérémonie. C’est pour ça que je dois trouver un Xenos : Astérion pourra alors lui arracher les informations dont on a besoin directement de ses pensées.

— Je pensais que ces monstres n’avaient pas d’âme, s’étonna Thomas.

— Non mais ils sont programmés avec des ordres et des instructions comme des machines. Et avec un peu de chance, l’emplacement de la réincarnation s’y trouvera.

— J’espère que tu n’as pas épuisé toute ta chance dans ce cas…

— Je l’espère aussi. Ensuite, mon plan est de laisser la réincarnation débuter et de l’interrompre pendant. En mettant l’hôte qu’il a choisi en lieu sûr, cela ne l’empêcherait pas d’en désigner un autre. Or, si Hepiryon dépense son énergie inutilement en essayant de se réincarner, cela repoussera de plusieurs décennies une nouvelle tentative, le temps qu’il recouvre ses forces. Ce qui nous laissera le temps de mieux nous préparer la prochaine fois et d’avoir quelques années de répit. »

Le regard de mon frère se fit songeur lorsqu’il demanda :

« Comment fonctionne une réincarnation exactement ?

— Durant l’espace d’une minute, l’esprit de l’Eternel dépense une quantité considérable d’énergie afin de devenir visible. En redevenant matériel durant une minute, il peut alors s’engouffrer dans le corps d’un homme qui lui offre volontairement l’accès à son corps. C’est à ce moment qu’il faudra intervenir. Si personne n’est consentant lorsqu’il a retrouvé une forme physique, il finira par redevenir immatériel et se rendormir.

— Le sort du monde se jouera donc sur l’espace d’une minute ?

— Oui, confirmai-je. La plus longue minute de ma vie, je pense.

— Mais comment ça s’est passé pour toi ? Tu m’as dit qu’Astérion avait forcé l’accès à ton corps, c’est bien ça ?

— C’est un peu ça, oui. Apparemment, c’est arrivé le lendemain de ma naissance. Maman dormait dans un lit tandis que j’étais dans un berceau hospitalier juste à côté. Astérion attendait de prendre le contrôle de mon corps depuis huit ans : il avait senti qu’un enfant viendrait à naître et lui offrirait le corps le plus propice à son retour. Même dans un corps de mortel, les Immortels restent limités dans l’utilisation de leurs pouvoirs. Néanmoins, mon corps lui offrait plus de possibilité que celui d’un autre. Et de la même manière que je te l’ai expliqué, son esprit est redevenu visible durant l’espace d’une minute et s’est engouffré dans mon corps.

— Et comme tu étais de son sang, ça lui a permis de passer outre le consentement ?

— Oui, sauf que ça n’a rien changé au fait qu’il avait rompu l’une des lois sacrées des Eternels qu’il a jurées dans sa langue : je n’étais pas consentant. Or, les mots ont du pouvoir. Lorsque l’on fait une promesse dans la langue des Immortels, l’Esternal, on prête un serment. Si on l’enfreint, les pouvoirs des mots nous affectent directement ou indirectement. Et les Immortels n’échappent à la règle, la preuve : Astérion a dormi vingt ans pour avoir rompu sa promesse. Si un mortel ment ou transgresse un serment juré en Esternal, il peut potentiellement en mourir.

— C’est déjà arrivé ?

— Oui, et plus d’une fois. Les Elementaris s’efforcent d’être le plus droits et honnêtes possible mais c’est déjà arrivé. Une femme a un jour causé la mort de son enfant à cause de ça. »

Thomas écarquilla les yeux.

« Mais c’est horrible !

— Les retombés affectent directement, ou indirectement l’individu, répétai-je. La culpabilité est une bonne méthode pour convaincre de tenir sa parole, même si dans ce cas c’est effroyable.

— Toi, tu as déjà menti en Esternal ? me questionna Thomas, inquiet. »

Je me mordis la lèvre inférieure.

« Une fois, juste avant la Bataille de Thorlann. Après avoir tenté de m’accaparer Atalamos, l’épée divine d’Astérion, j’étais dans un piètre état. Le Kalheni, le chef des Elementaris, m’avait demandé si je serais bientôt remis pour combattre. Je lui avais répondu que oui, alors qu’Astérion m’avait certifié que ce ne serait pas le cas avant plusieurs heures. Je l’ai très vite ressenti durant l’affrontement : je n’avais pas la force de manipuler les éléments comme je l’aurais souhaité. Mais je ne pouvais pas me reposer alors qu’une bataille allait éclater !

— Alors tu pourrais… mourir de ce mensonge ?

— Je ne pense pas, le rassurai-je. Il ne s’agissait pas d’un énorme mensonge. Les retombées ne devraient pas être majeures. »

Du moins je l’espère.

Thomas ne parut pas plus rassuré pour autant mais n’ajouta rien.

Nous approchions doucement de l’heure fatidique et nous n’avions toujours aucun signe des Elementaris. Je regardai ma montre, inquiet. Encore une dizaine de minutes et il serait sept heures. Que faisaient-ils ? Avaient-ils échoué à trouver le président ? Ou bien avaient-ils été détectés d’une quelconque façon ? Cela paraissait impensable, et pourtant…

« Regarde ! me souffla soudain Thomas. »

Je suivis son regard et découvris une faible lueur qui longeait le sol et filait dans notre direction. Rapidement, elle se précisa : il s’agissait d’une petite flamme qui se déplaçait dans l’obscurité tel un feu-follet. Lorsqu’elle arriva à notre hauteur, elle flotta quelques instants sur place avant de repartir en direction de l’entrepôt. Elle voulait qu’on la suive.

C’était le signal !

« Allons-y ! »

Nous sortîmes de notre cachette à pas feutrés, le dos voûté afin d’être le moins visible possible et prîmes le chemin emprunté plus tôt par les Elementaris. Aussi discret que possible, mes sens développés nous avertissaient si des patrouilleurs se trouvaient sur notre route afin de les contourner.

Après cinq minutes de marche, nous débouchâmes au centre de la base.

Je saisis la flamme entre mes mains, sans qu’elle ne me brûle, et nous nous agenouillâmes pour étudier les lieux. À cinq cents mètres devant nous s’étendait une piste de décollage. Éclairés par de puissants projecteurs, ces bâtiments n’étaient autre que des entrepôts où étaient gardés les avions. D’autres édifices, plus petits, s’étendaient à l’arrière. Probablement des bureaux ou des logements pour les soldats. Après de longues minutes d’observation, je me tournai vers mes compagnons.

Le tarmac était éclairé mais aucune patrouille n’était en vue pour le moment, ce qui nous permit de la traverser sans encombre. Il nous fallait marcher sur près de deux cents mètres avant d’atteindre les hangars, or plus on s’en rapprochait, plus le risque d’être découvert augmentait. Comme pour confirmer mes craintes, deux soldats avançaient dans notre direction, une lampe torche braquée devant.

Je saisis aussitôt la flammèche dans ma main et nous nous jetâmes au sol. L’un des deux hommes portait l’uniforme d’un marshaller, ces hommes qui guidaient par des mouvements de bras les avions autorisés à décoller.

Le départ de l’avion présidentiel n’allait donc pas tarder !

« Tu t’en charges ? chuchota Thomas. »

Je hochai la tête, même s’il ne le vit probablement pas à cause de l'obscurité. Je posai ma main sur le sol et me connectai à l’élément. Aussitôt, je sentis l’intensité de sa puissance et de son énergie qui bouillonnait dans chaque parcelle de terre. Elle ploya aisément sous l’impulsion de mon esprit.

J’ordonnai par la pensée :

« Eida se likeïez ! »

Le sol se fractura juste devant les deux militaires et s’ouvrit sur une fosse de plus de deux mètres de profondeur. Avant qu’ils ne comprennent ce qui leur arrivait, ils chutèrent dans la crevasse. Thomas et moi attendîmes quelques instants, silencieux, afin d’être certains qu’ils ne pouvaient pas remonter. L’idéal aurait été qu’ils se soient assommés durant la dégringolade.

« Johnny, tu vas bien ? s’écria l’un d’entre eux.

— La vache ! lui répondit le dénommé Johnny. C’est quoi ça ? Il n’était pas là ce trou avant !

— J’en sais rien ! Tu penses réussir à grimper toi ? »

J’entendis Johnny s’élancer et se jeter contre la paroi, sans pour autant réussir à y trouver une prise. Il retomba lourdement.

« Bien joué, on peut continuer, me souffla Thomas. »

Je relâchai la flamme qui reprit sa course. Mon frère reprit la tête. De leur côté, les deux hommes se démenaient pour s’extirper du piège, tout en jurant. Nous arrivâmes finalement devant les hangars où, cette fois, d’immenses projecteurs éclairaient la zone. Au même instant, les immenses portes commencèrent à s’ouvrir, dévoilant l’avion présidentiel dans lequel une cinquantaine de personnes, politiciens comme militaires, entraient par le biais d’un escalier d’embarquement. Deux soldats gardaient l’entrée de l’entrepôt et davantage encore patrouillaient autour du bâtiment ainsi qu’à l’intérieur, armes au poing.

La flamme disparut dans un souffle et, d’un geste de la main, je fis soulever une bute de terre pour nous dissimuler. Comme la flammèche s’était éteinte, Elysion savait que nous étions arrivés à destination. Lui et Kalya n’allaient donc pas tarder à nous rejoindre. Comme en échos à mes pensées, ils apparurent dans notre champ de vision, se faufilant jusqu’à nous sans alerter les gardes.

Kalya se pencha vers moi et chuchota :

« Le président est dans l’avion. On se retrouve à l’intérieur ?

— Ne traînez pas, répondis-je en hochant la tête. »

Puis, me basant sur les images de l’intérieur de l’avion que j’avais dénichées sur internet, je disparus dans un flash de lumière.

Un autre désavantage de la translatíon c’est que je ne pouvais anticiper ce qui m’attendrait une fois à destination. Cette fois, en surgissant dans un flash de lumière, ce n’était pas un alcoolique mais bien trois militaires qui se trouvèrent face à moi. Étant aveuglés par mon éclat, j’en profitai en saisissant le premier et l’assommai d’un coup derrière le crâne. Le second n’eut pas le temps de réagir avant de subir le même sort.

Le dernier, cependant, eut le temps de reculer et s’apprêtait à donner l’alerte lorsque je plaquai ma main contre sa bouche. Tandis qu’il se débattait, j’invoquai le pouvoir de l’air et expulsai tout l’oxygène de ses poumons. Ses yeux s’écarquillèrent quelques secondes avant qu’il ne tombe dans mes bras, inconscients.

Je me redressai sur le qui-vive, mais j’étais seul. Je me trouvais à l’endroit prévu : la salle de réunion de l’avion. Il s’agissait d’une petite pièce circulaire, en grande partie occupée par une table ronde entourée d’une quinzaine de sièges. C’était là que le président et ses conseillers passaient la majorité du voyage. Des bruits de pas interrompirent mon examen des lieux. On venait dans ma direction. Je traînai à la hâte les corps inconscients et me plaquai contre le mur le plus proche. Si nous avions vu juste, les passagers de l’engin devaient être constitués d’une vingtaine de politiciens, et l’équipage d’une dizaine de techniciens et d’hôtesse de l’air ainsi que d’une quinzaine de soldats, sans oublier les pilotes.

La porte s’ouvrit et un militaire accompagné de trois hommes, des conseillers certainement, et une hôtesse de l’air entrèrent. Ils purent voir les agents inertes avant que je n’agisse. Le soldat s’effondra avant même d’avoir le temps de réagir. D’un geste de la main, j’aspirai l’air des poumons des quatre autres individus. Ils portèrent la main à leur gorge avant de s’évanouir, sans un bruit.

Je sortis de la pièce discrètement et suivis le long couloir éclairé terminé par une porte qui devait mener au centre de l’appareil. Une fois au bout du couloir, je posai la main sur la poignée et essayai d’entendre ce qui se passait de l’autre côté. Le blindage était trop épais pour que je perçoive le moindre son. J’espérais simplement que les Elementaris avaient fait leur travail. Après une hésitation, j’entrouvris la porte et jetai un œil de l’autre côté. Une dizaine de sièges s’alignaient à côté des hublots et… des corps immobiles jonchaient le sol. J’entrai, ébahi : Kalya et Elysion n’avaient pas chômé. Tous les militaires gisaient au sol, inconscients.

Elysion verrouilla l’appareil, empêchant ainsi toute fuite, tandis que Kalya observait avec un rictus les treize politiciens et les sept employés de l’avion qui fixaient avec stupeur leurs gardes du corps dans les pommes. À leurs yeux, ces hommes s’étaient effondrés sans la moindre raison.

« Ils ne se doutent encore de rien à l’extérieur ? interrogeai-je Elysion. »

Il regarda par l’un des hublots et secoua négativement la tête. En prenant la parole, hommes et femmes tournèrent la tête vers moi, les yeux écarquillés. Je reconnus aisément le président, au milieu du groupe.

« Monsieur le président, débutai-je, c’est un honneur.

— Qui êtes-vous ? s’exclama-t-il en déglutissant bruyamment. Et que leur avez-vous fait ?

— Ils sont simplement inconscients, ne craignez rien, répondis-je en levant les mains afin de montrer que je n’étais pas armé. Quant à la raison de ma venue, c’est simple : je dois m’entretenir avec vous, seul à seul. Je vais donc vous demander de me suivre calmement dans votre salle de réunion. »

Même s’ils paraissaient tous terrifiés par la tournure des événements, les passagers se ressaisirent rapidement. De leur point de vue, j’étais seul et sans arme. Un des plus costauds, le ministre de la santé il me semblait, eut la brillante idée de se jeter sur moi pour me plaquer au sol. Sans que j’esquisse le moindre geste, il se figea à moins d’un mètre de moi, aussi rigide qu’une statue.

« Écoutez-moi bien ! m’écriai-je, le ton aussi ferme que possible. Je n’ai aucune mauvaise intention, je ne recherche que le dialogue. Toutefois, il est inutile d’essayer de fuir ou de vous en prendre à moi. J’ai le contrôle des lieux. »

Je libérai la pression que j’exerçai sur le pauvre homme qui trébucha et tomba au sol. Je savais que le temps jouait contre moi, je n’avais donc pas une minute à perdre. Je braquai mon regard sur le président.

« Maintenant, venez avec moi ! »

Comme il n’esquissait pas le moindre signe de coopération, Kalya perdit patience. Elle s’approcha et le saisit fermement par le bras. L’homme écarquilla les yeux en sentant le contact avec l’être invisible.

« Qu’est-ce que… ? balbutia-t-il d’une voix plus aigüe qu’à l’ordinaire. »

Elle le tira sans ménagement dans ma direction. Il tenta de résister mais l’Elementaris était trop forte. Je saisis l’homme qui, dans un mélange de peur et de désespoir, essaya de me porter un coup au visage. J’esquivai sans la moindre difficulté et lui bloquai le poignet avant de le tirer vers la salle de réunion, à l’abri des oreilles indiscrètes.

« Elysion, lançai-je à mon ami. Je te laisse les surveiller. Si l’un d’entre eux tente quoi ce que soit, tu l’assommes. Ensuite… tu sais ce qui te restera à faire. »

Mon ami acquiesça tandis que Kalya et moi nous éloignions.

Il était désormais temps d’avoir une petite discussion.

Je fis asseoir le chef de l’État sur l’une des chaises de la table de réunion. Kalya, quant à elle, sortit les corps des soldats que j’avais assommé, avant de monter la garde devant la porte, silencieuse. Je m’assis à l’autre bout de la table, face au président, et l’observai quelques instants. Ses émotions étaient si fortes que même Kalya devait les ressentir. Il était terrifié certes, mais aussi irrité et déterminé à le montrer le moins possible.

Physiquement, hormis les coups d’œil qu’il jetait à la porte, ainsi que le tic nerveux qui faisait trembler sa paupière gauche, il paraissait plutôt calme. Cet homme avait appris à contrôler chacune de ses expressions faciales afin de toujours donner l’image d’être sûr de lui. Malgré la situation angoissante dans laquelle il se trouvait, je devais reconnaître son talent : il se montrait presque aussi impassible qu’un joueur de poker.

Il fut même le premier à prendre la parole.

« Vous avez commis une grave erreur en vous en prenant à moi. Quel que soit la chose que vous convoitez, vous n’obtiendrez rien de cette manière. Tôt ou tard, des soldats prendront d’assaut cette pièce et je peux vous garantir qu’ils n’auront aucune pitié pour vous ! Rendez-vous tant qu’il est encore temps ! »

Sa voix, bien que moins ferme qu’à l’habitude, ne tremblait plus.

« Vous ne savez même pas ce que je veux et vous refusez déjà ? répondis-je calmement.

— Ne me faites par croire qu’un homme qui a réussi à me capturer et m’isoler souhaiterait simplement un autographe. Faites-moi connaître vos revendications. »

Je ne pus m’empêcher de sourire.

« Me croiriez-vous si je vous disais que j’œuvre actuellement pour le bien de l’humanité ?

— C’est ce que tous les terroristes pensent lorsqu’ils décident de tuer des centaines d’innocents.

— Vous faites erreur sur deux points : je ne compte tuer personne et je ne suis pas un terroriste. Si je suis ici c’est pour vous délivrer des informations d’une importance capitale dont vous devez prendre connaissance avant qu’il ne soit trop tard. Je sais que la manière dont je m’y suis pris pour prendre contact avec vous ne vous incite pas à m’accorder votre confiance, c’est pour cette raison que je vais me rendre aux autorités une fois chose faite. »

Pour la première fois, son visage exprima une surprise non feinte.

« Vous vous… rendrez ? répéta-t-il, dubitatif.

— Cela vous prouvera ma bonne foi, répondis-je simplement. Mais je compte davantage sur votre bon sens pour vous faire entendre raison et prendre les décisions qui s’impose envers les gens qui vous ont élus. »

Il fronça les sourcils quelques instants avant de s’enfoncer dans son siège et croiser les bras en signe de résignation.

« Alors je vous écoute, déclara-t-il enfin. »

Contrairement aux deux fois précédentes où j’avais raconté mon histoire, cette fois j’avais pris le temps de me préparer pour la rendre plus concise et insister sur les points les plus importants. Le président ne cilla pas une seule fois tout au long de mon récit et je me doutai de la raison : il me prenait pour un détraqué. S’il restait impassible, c’était dans l’unique but de ne pas m’énerver pour ne prendre aucun risque.

« Et donc, terminai-je après cinq longues minutes de récit, j’ai besoin de votre appui pour informer le monde de la menace qui nous guette tous. »

Nous restâmes silencieux tout en nous dévisageant.

« Vous vous êtes introduit dans une base militaire, avez interrompu une mission diplomatique et m’avez kidnappé après avoir assommé tous les hommes affectés à ma sécurité pour m’annoncer qu’un dieu menace de renaître en prenant possession du corps d’un homme ? Et vous attendez de moi que je convainque non seulement les autres dirigeants du monde de votre récit, mais que je me prépare également à une potentielle guerre contre des monstres ? »

Il desserra ses bras et je vis ses poings trembler.

« Qui pensez-vous convaincre avec cette histoire à dormir debout ? articula-t-il en faisant des efforts évidents pour ne pas se laisser emporter. Vous êtes l’un de ces fanatiques dévoués à une quelconque entité supérieure ? »

Pour ma part, je restai placide.

« Avec tout le respect que je vous dois, je vous assure avoir été le plus honnête et transparent avec vous.

— Vous pouvez croire à vos folies mais vous ne me ferez pas avaler une telle mascarade ! »

Je jetai un œil à ma montre. Les militaires avaient déjà dû se rendre compte que quelque chose clochait dans l’avion. Elysion les avait probablement retardés mais Thomas n’allait pas tarder à intervenir. Je n’avais plus que quelques minutes pour le convaincre.

« Encore une fois, vous faites erreur. Que vous le vouliez ou non, vous finirez par y croire. Sinon nous mourrons tous ! »

Je me levai brusquement, tendis le bras et serrai le poing. La pièce se mit alors à trembler. Non, tout l’engin tremblait. Kalya s’appuya contre le mur et le président, surpris, faillit tomber de sa chaise. Pour ma part, je serrai les dents en déployant des trésors de concentration pour remuer toute la zone militaire. Un contrôle d’une telle ampleur sur la terre requérait des ressources monumentales si bien que je retombais mollement dans mon siège au bout de quelques secondes seulement.

« Comment avez-vous… ? balbutia le président en se relevant.

— Mes capacités ne sont qu’une mascarade ? l’interrompis-je avec fermeté malgré la fatigue. Je viens d’engendrer un tremblement de terre pour vous prouver que des forces qui dépassent l’entendement sont à l’œuvre dans notre monde. Des forces oubliées et endormies qui se réveillent et menacent de nous anéantir ! »

L’homme se figea en entendant mes paroles.

« C’est… insensé, finit-il par lâcher. »

Je me tournai vers Kalya, agacée.

« Il est temps, lui soufflai-je. »

Ses yeux bleus me fixèrent puis, après une hésitation, elle les ferma et apparut au chef d’Etat. Celui-ci pâlit et recula d’un pas, surpris.

« Im… Impossible ! bafouilla-t-il.

— Assez, humain ! vociféra-t-elle. Je n’ai ni la patience, ni la sympathie de Peter ! Vous avez désormais la preuve qu’un homme possède des pouvoirs remarquables et que nous, Elementaris, existons bel et bien. Vous êtes un meneur, non ? Alors agissez comme tel car vous avez désormais l’avenir du monde entre vos mains. Si vous vous obstinez à nier l’évidence, vous serez le seul terroriste à avoir le sang d’innocents sur vos mains ! »

Les paroles de mon amie le firent frémir.

Soudain, à l’extérieur de la pièce, nous entendîmes plusieurs personnes tenter de forcer la porte verrouillée par Kalya. Thomas s’était rendu et Elysion s’était révélé aux yeux des autres passagers. Kalya porta instinctivement la main où devait se trouver sa lance, mais elle ne l’avait pas apportée. Comme chacun de nous, elle n’était pas armée.

« Je vous ai promis que je me rendrai, dis-je, et je tiens parole. Vous avez toutes les cartes en main, à présent, à vous de jouer les bonnes mises. »

Puis, Kalya et moi passâmes nos mains derrière la tête et nous agenouillâmes, un instant avant que les militaires forcent la porte et braquent leurs armes sur nous.

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