Chapitre 3 – Sarah

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Sarah entendait des murmures inintelligibles, semblables à des cliquettements métalliques ou des grincements aigus, des sons que nul gorge humaine ne pourraient jamais produire. Elle scruta les ténèbres, figées, sans rien discerner de son environnement, elle ne savait plus où elle était, ni même comment elle s'était retrouvé là.

Sarah avança avec difficulté dans cette épaisse obscurité d'encre comme si elle essayait de marcher à travers de la gelée. Ici le temps ne s'écoulait plus, elle était là depuis des temps immémoriaux et depuis un instant, elle continua jusqu'au moment ou elle aperçut des surfaces concaves et convexes, des contours sans angles aux nombreux cotés. Sa santé mentale faillit défaillir en tentant d'appréhender la géométrie des lieux. Mais alors qu'une terreur instinctive, primitive, la tenaillait elle utilisa toute la force de sa volonté et récita tel un mantra une vieille berceuse d'enfance que lui chantait sa mère pour l'aider à s'endormir.

Elle chercha son chemin dans ces tunnels tortueux, dans ce labyrinthe insensé. Une multitude de passages enchevêtrés à travers le temps et l'espace, sans début ni fin, sans haut, ni bas. Sarah avançait depuis une éternité, le temps n'avait pour elle plus aucun sens.

Elle arriva à une porte d'entrée banale, elle observa avec plus d'attention cet insolite élément et reconnu la porte d'entrée de la maison à Albany. Comme rassurée par cet objet familier elle ouvrit la belle porte bleue de leur doux foyer. Elle découvrit avec un mélange d'incertitude et de plaisir le hall d'entrée de leur maison. Elle jeta un œil au porte-manteaux, la veste rose de sa mère s'y trouvait. Elle remarqua accroché au mur, le drôle de porte clé de sa mère un bête morceau de bois avec quelques plumes fichés dedans.

Sarah entendit du bruit de vaisselle provenant de la cuisine, elle sourit, malgré elle, en entendant une voie familière fredonner. Elle sentit une odeur alléchante de cookies chauds, ses heureux souvenirs d'enfance rejaillissaient subitement : elle était enfant, sa mère avait préparé des cookies aux pépites de chocolat, ils devaient être bien cuits, croquants comme elle les aimait. Sarah courut vers la cuisine, sa poupée préférée dans la main, elle était si contente maintenant, elle ne se souvenait plus pourquoi elle avait tant pleuré. Elle sentit comme une douleur en courant, elle s’arrêta pour regarder et elle découvrit qu'elle saignait au genoux, ce n'était que cela, un bobo ! Maman était là, elle allait la soigner.

Sarah claudiqua jusqu'à la porte de la cuisine qu'elle poussa, l'odeur de cookies s'échappa de la pièce avec une vague d'air chaud réconfortante. Elle entra dans la cuisine et découvrit sa mère de dos, dans sa jolie robe à fleurs. Ses cheveux pendants le long de son corps mince en deux longues tresses noires. Elle était en train de faire la vaisselle, alors qu'un plat de cookies refroidissaient sur la table. Sarah alla jusqu'à sa mère et tira doucement sur sa robe. Sa mère arrêta sa vaisselle et le bienveillant visage se tourna vers elle.

«Maman je me suis fait mal » sanglota Sarah avec sa voix enfantine.

« Ce n'est rien, je vais arranger cela, tu n'auras bientôt plus mal. »

Sa mère se plia et tendit les bras pour prendre Sarah. Mais lorsque ses doigts la touchèrent Sarah sentit qu'une froideur éternelle, une intelligence malveillante l'effleurait. Sarah fit un pas en arrière pour se mettre hors de porté des mains de sa mère et la regarda en serrant dans ses bras sa poupée de chiffon. Le visage était pourtant beau, de grands yeux noirs en amande, des pommettes bien dessinés, de longs cheveux de jais et un grand sourire. Mais ce sourire était bizarre, différent, ce n'était pas celui que Sarah connaissait si bien, il n'était ni bienveillant ni compatissant c'était un sourire amusé, moqueur. Sarah avait peur, que se passait-il ?

Elle commença à se rappeler. Le cimetière, la tombe, le cercueil, sa mère : sa mère était morte et pourtant elle était là. Elle voulait tellement croire que tout n'avait été qu'un mauvais rêve. Après tout c'était peut être un simple cauchemar, une erreur ou une mauvaise farce.

« Maman que se passe-il ? Tu n'es pas comme d'habitude.» dit Sarah avec sa voie et sa taille d'adulte retrouvées.

« Ne t’inquiète pas, je suis là maintenant, je ferai en sorte qu'il ne t'arrive plus rien. Viens dans mes bras et tu n'auras plus jamais mal. » dit la mère de Sarah sur un ton étrange, mielleux et faussement chaleureux.

« Non ! Je ne comprends pas, mais tu ne peux pas être là devant moi, tu es morte ! Tu m'as laissé seule ! Tu m'as abandonné!» hurla Sarah tout à coup submergée par la peine et la colère. Tout à coup, le visage de sa mère se mua en une parodie d'humanité fluctuante, elle émit une sorte de rire glougloutant immonde. Effrayée, Sarah recula de quelques pas. Puis d'étranges mouvements apparurent sous la robe fleurie. Et en un instant, des formes émergèrent, de long et sinueux tentacules d'une chair rosâtre abjecte. Les membres difformes fusèrent à la rencontre de Sarah.

Sarah hurla de terreur en se réveillant, son sursaut renversa le livre qui tomba lourdement au sol dans un bruit mat. Elle était en sueur comme si elle avait été prise d'une violente fièvre. Elle cligna des yeux et trembla subitement sous les morsures du froid alors que sa sueur couvrait son corps. La fraîcheur de cette nuit d'hiver emplissait maintenant le salon de ce sombre manoir désert. Sarah serra ses vêtements contre elle pour tenter de se réchauffer. Elle était encore bouleversée par ce cauchemar, et il lui fallu quelques minutes pour reprendre ses esprits. Elle s'était seulement endormie se dit-elle. Les événements de la journée conjugués à sa lecture de l'histoire de Francis Edward Sabael avait du lui inspirer cet horrible cauchemar.

Mais elle était également surprise, elle relut la description faite de Myranda par l'auteur. Cette femme correspondait trait pour trait à sa mère! Même leurs noms étaient similaires ! Comment cela pouvait-il être possible ? Les événements qui étaient relatés dans ce journal datait de plus d'un siècle ! Sarah se sentit prise de vertige à cette idée…

Pourtant c'était impossible. Elle se calma un instant faisant appel à sa raison. Elle respira profondément, lentement jusqu'à s'éclaircir les idées. Ce devait être autre chose. Il était évident que cette femme portant le même prénom et avec des traits si semblables, avait des liens de parenté avec sa mère. C'était probablement son arrière arrière grand-mère. C'était parfaitement logique. Les idées fusant dans l'esprit excité de Sarah se bousculèrent. Ce manoir devait alors être une sorte de maison de famille, elle contenait peut-être des souvenir, des photos, des actes de naissances, la généalogie de sa famille et peut être même des informations sur son vrai père ! Elle n'était peut être pas seule ! Espérant en apprendre plus, Sarah reprit sa lecture du journal de Francis Edward Sabael.

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