Le plan

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-Pourquoi, nom de Zeus...

-Qu'il y a-t-il, votre altesse ?

-Non, rien, je me demandais pourquoi M01-R4 nous a dévoilé tout ça... Continuez, je vous prie.

-si vous le permettez...

-Quoi donc ?

-Si nous abritons en ce moment même deux giga-bombes quantiques, ne serait-ce pas plus sage de déplacer le problème dans un autre endroit ? Et puis, les geôles du palais ne sont pas parfaites en termes de confinement...

-J'y ai pensé, Michaël. Seulement, si j'ai appris quelque chose des Y.P.S.O., c'est qu'il ne faut jamais les sous-estimer. Même si je les mutais vers notre meilleure prison dans le plus grand secret, je suis sûr que 7U-M1-N4 et N1-V01 sauraient que nous les déplacerions... Et je ne veux pas prendre le risque de perdre deux prisonniers aussi précieux que ces deux-là. Un jour on arrivera à trouver LE code qui nous permettra de désamorcer les détonateurs, je vous en fait le serment.

Le nouveau trône de bois était en train de prendre place en plein sur la marque encore visible de la désintégration de l'ancien. Un siège noble, mais cependant construit dans le style renaissance... Ce qui déplaisait à Alan. L'esprit Ampérien se force à évoluer d'avantage, à avoir de plus en plus de longueur d'avance sur les deux autres. Voilà pourquoi le peuple énergétique détestait le peuple arcanique, qui régressait en technologie chaque jour un peu plus.

-C'est fait, seigneur ! annonça l'ébéniste lorsque les deux armoires à glace qui lui servaient de porteurs eurent fini de déposer le trône. J'ai pris de gros risques pour la conception, mais je n'ai guère d'inspiration ces temps-ci. Je m'en excuse.

-Tu fais bien. Je ne suis pas vraiment d'humeur, ces temps-ci. Prépare-toi à en faire un autre, je vais le détruire.

-Il en sera fait comme vous le souhaitez, votre altesse.

L'empereur s'avança vers cette jeune antiquité et prépara la foudre. Mais il n'a jamais projeté les volts. Ses mains se sont bloquées là, dans les airs, les doigts pointés vers le siège, le regard troublé. Les arcs électriques cessèrent de se mouvoir sur sa peau. Subitement intrigué, il s'approcha de la chose et la toucha.

-Vous ne le détruisez pas, maître ?

-Il y a quelque chose... Je ne sais laquelle... Qui me trouble sur ce meuble. Je n'ai pas eu le courage de le pulvériser, ni même de lui projeter le moindre ampère.

-Moi aussi, il m'a troublé, maître, assura Michaël alors que l'empereur s'assit sur son nouveau siège. Mais impossible de savoir quoi...

Lorsque Alan posa son dos sur le dossier du trône, une certaine émotion l'envahit. Sentiment de satisfaction ? De protection ? De quiétude ? Peut-être... Mélangés avec une certaine crainte. Crainte de quoi ? Ah, s'il savait...

Le 21 juin 5136, Alan 1er régissait les affaires du royaume lorsqu'une servante l'appela, affolée.

-VOTRE ALTESSE ! VENEZ VITE ! C'EST VOTRE ÉPOUSE !

-Quoi !? Qu'est-ce qu'il y a ?!

-Elle va donner la vie !

Dès que la servante eut fini sa phrase, le sang d'Alan ne fit qu'un tour : il se décomposa électriquement et effectua une téléportation de son bureau jusqu'à leur chambre. Cheryl n'était pas là... Nouvelle téléportation, dans l'hôpital impérial cette-fois-ci. Il trouva la salle d'accouchement rapidement : les hurlements de l'impératrice s'entendaient de loin.

Alan regarda, anxieux, sa femme se tordant de douleur et son ventre rond. Après une grossesse plus longue que prévu, le nouveau prince allait naître. Lui qui avait perdu toute illusion lorsque l'impératrice avait été empoisonnée ! Son espoir avait grandi à chaque centimètre de plus que gagnait l'abdomen de Cheryl. En espérant que le petit ait plus de chance qu'Elodie, moins d'ardeur que Brandon et moins de narcissisme que Sibband...

Un garçon... Le couple avait décidé de l'appeler François. Juste pour l'occasion, Alan avait effectué un voyage à Ataraxia, l'archontinent divin, afin de vérifier son destin. À Delphes, la Pythie lui avait déversé un flot de niaiseries... Selon elle, l'enfant n'était apparemment pas réel ! Du moins, c'est ce que l'empereur a compris de son langage énigmatique. N'y croyant pas un mot, il a essayé tout le reste. La Sybille étant extrêmement vieille, il n'a pas voulu la déranger, et ses livres ne lui ont rien fourni. Il se refusait à accomplir l'épreuve de l'Oracle de Trophonios qui demandait de perdre la raison -et les prêtres lui ont certifiés que cela ne pouvait fonctionner qu'avec lui, comme c'est Alan qui se questionnait pour son fils, pas un de ses gardes-, et tous les autres oracles lui ont donné des réponses évasives... Certains lui ont donné la même réponse que Delphes, cependant il a enfin reçu une réponse claire, de la part d'un prêtre d'Odin (assez louche, il est vrai) : l'enfant serait destiné soit à mourir dès ses premiers instants à l'air libre, soit à accomplir de grandes choses.

L'empereur a payé le prêtre, puis, soucieux, rentra à Ampéria.

Depuis cette prophétie, il se rongeait les sangs. Et là, le moment de vérité est arrivé : l'issue de la prophétie se jouait maintenant.

L'accouchement aurait pris des heures, sans une certaine machinerie à laser visant à calmer la mère et l'enfant -de manière bénigne- et une sage-femme naine très talentueuse. Le bébé sortit d'un coup dans un bruit de succion. Effrayées et dégoutées, toutes les personnes fixèrent l'enfant... Son corps n'avait plus que la peau noire sur les os, son visage maigre à crever affichait deux orbites sans yeux, et son crâne, son crâne... Ratatiné, comme une boule de carton qu'on aurait fait broyer entre des doigts humains.

La prophétie s'était accomplie.

Le corps se mit à briller, et avec lui le cordon ombilical pas encore coupé. Cheryl se remit à crier, encore plus fort, alors que de la fumée sortait de son utérus. La naine qui tenait le bébé elle-même cria et lâcha le cadavre d'un coup pour ventiler ses mains rougies de chaleur. La lumière dégagée fut si forte qu'Alan dût détourner le regard... Et puis il y eut une explosion.

L'intense lumière blanche avait cessé. Les infirmiers accoururent vers l'impératrice pour voir son état ; au vu des soufflements soulagés de ces médecins, le monarque s'égosilla de joie : il n'y avait plus aucune trace de l'enfant, mais au moins la mère était saine et sauve... A peine une brûlure au cinquième degré aux endroits touchés par le cordon ombilical... ce fut vite réglé par une opération-express. Cheryl en ressortit indemne, bien qu'évanouie.

Enfin... L'opération terminée, l'impératrice reconduite dans la chambre impériale, on annonça à Alan que le système reproducteur de son épouse avait fortement été touché, et qu'on n'avait pu sauver certains organes.

Son altesse s'effondra par terre et pleura nerveusement : quand est-ce que cet ascenseur émotionnel allait s'arrêter ? Du stress durant l'enfantement, du désespoir lorsqu'il a vu son fils, de la profonde inquiétude alors que l'explosion s'était produite, une joie sans fin quand il a su que son épouse était en vie... Et de nouveau du désespoir en apprenant qu'à présent elle était devenue stérile. Il n'allait jamais plus pouvoir avoir d'héritier...

Les affaires de l'empire devinrent graduellement plus pénibles à gérer. Le peuple avait peur. Une seule et unique Axo menaçait la nation entière en s'attaquant à son dirigeant. Des émeutes se soulevèrent, visant à forcer Alan 1er à tuer M01-R4 et C1-N37. Comment les gens pouvaient-ils savoir ? Que faire ? Si l'empereur leur disait pourquoi il se refusait à les tuer, les émeutes cesseraient au dépit de la peur qui s'installerait encore plus. S'il ne dévoilait rien, les révoltes continueraient tout en préservant une certaine paix intérieure... Le choix fut vite fait : Alan préfère avoir de la casse plutôt que d'affoler tout le monde ; des bombes quantiques, c'est suffisamment puissant pour pulvériser des pays entiers.

Toutes les tentatives visant à détecter ces bombes en secret ont échoué, on essaye encore mais c'est peine perdue. Le monarque, payant le prix de son mutisme, doit mettre les bouchées doubles pour préserver la paix. Cheryl aurait pu être préservée de tout ça ; au fond, c'est Alan qui dirige l'armée et une partie de l'administration. Tous les points que l'impératrice gouvernait étaient épargnés par les agitations. Seulement... Elle semblait de plus en plus stressée. maladroite. La perte de sa fertilité et de sa magie l'avait beaucoup affectée.

Alan la surveillait. Il remarqua que, de plus en plus, elle se retrouvait en face de son tableau holographique, les bras croisés, le regard vide tourné vers l'hologramme de gestion impériale. Elle restait là quelques minutes, puis s'en allait, disparaissait on ne sait où dans le couloir, puis revenait donner ses instructions d'administration. Toute la valetaille du palais s'inquiétait pour elle, sauf le monarque. Peut-être pensait-il que c'était le droit de son épouse de faire des petites balades pour se détendre et mieux travailler... A vrai dire, il avait ses propres soucis.

Lui aussi était décontenancé par quelque chose.

Il passait chaque jour un peu plus de temps à observer le trône de bois. Le temps qu'il dévouait à son empire se réduisait.

Son épouse devenait progressivement son dernier point d'intérêt.

La fête de la peur... On l'appelle comme ça parce que tout le monde n'est pas d'accord pour nommer le 31 octobre "Halloween". Car c'est une fête chrétienne qui n'a pas sa place dans les autres religions. Mais elle est tout de même entrée dans le folklore humain sous un autre nom. Elle a conservé sa date, ses traditions, son concept, mais pour ne pas que les aspirants Grecs, Aztèques, Vinciens, Circéiens, bouddhistes et autres se vexent, on l'a nommée "fête de la peur". Simple, rapide, efficace.

Pourtant, ce 31 octobre-ci, l'empereur n'avait nullement envie de s'effrayer. Il délaissait totalement Cheryl, désespérée de passer du temps avec lui. Tout ça pour quoi ? Pour observer cette saloperie de trône qui l'obnubile...

Avec le temps, il a décelé une forme étrange sur le dossier... Un motif tracé dans la planche centrale par les fibres du bois dont il est fait. Plus il observait ce motif, plus il trouvait que ça ressemblait à une femme nue, de profil, grandeur nature, qui criait vers le ciel... de haut en bas, on avait la forme du crâne penché vers l'arrière ; le renfoncement des yeux ; la cascade de cheveux ; le bosselage du nez ; la cavité de la bouche semblant propulser dans les airs un braillement déchirant ; la contusion parfaite du menton, puis la concavité surprenante du cou ; un peu plus bas, des seins gonflés ; un tronc lisse... et plus rien. Le reste était celé par les planches de l'assise.
Mais encore, sur le derrière du siège, totalement découvert, exactement le même motif : on pouvait encore y distinguer l'arrondissement des fesses, des mollets obliques, la pliure du genou touchant le sol, l'étonnant détail du mollet, et enfin... des pieds. Des pieds à l'aspect si réel...

Cheryl était encore une fois d'humeur colérique ; c'était toujours plus fréquent, elle en avait marre de se faire rejeter par Alan. Elle balançait des remarques cinglantes à son époux pour qu'il daigne répondre à ses avances... Peine perdue, le monarque était trop attiré par ce siège de malheur.

Il bougea enfin. Il fit un pas vers le trône, deux pas, trois pas... Il rapprocha sa tête de celle du motif, tendit les lèvres...

-NON MAIS ÇA VA PAS OU QUOI ? Gueula Cheryl en écartant son époux de la figure.

-Cheryl, je t'en prie...

-AH ! Tu me réponds enfin ! Tu sais ce que t'étais en train de faire, au moins ?

-Oui... Enfin, non... RAAH !

-Je ne te reconnais plus... Tu vois ce que tu es en train de devenir ? On dirait un drogué toujours addict qui n'a plus fumé de joint depuis des millénaires... Tu as l'air de préférer ce motif ridicule à moi-même... Tu ne sais pas que j'ai besoin d'affection, mon amour ? Je n'ai plus de pouvoirs, plus de fertilité, le peuple me rejette par "inutilité"... Je n'ai plus que toi ! Je t'en prie, reviens...

L'empereur ne répondit pas. Son regard était de nouveau fixé sur le dossier.

-LÀ, C'EST TROP !

Elle leva sa main pour frapper l'empereur. Un messager entra dans la pièce, essoufflé.

-ALTESSE ! ALTESSE !

L'empereur fut d'un coup tiré de son charme.

-Qu'il y a-t-il ?

-On est attaqués, seigneur !

-C'EST PAS VRAI ! DE QUEL CÔTÉ ?

-Tous à la fois !

Alan se téléporta à côté du messager et le prit par le cou.

-Qu'est-ce que tu veux dire ? Qui nous attaque ?

-Les... Y.P.S.O. ... seigneur...

Le monarque le lâcha tout de suite.

-Impossible !

-SI ! C'est urgent, monsieur, C1-N37 s'est débarrassée de ses chaînes comme de simples fils de nylon et a libéré M01-R4 ! Il y a une armée d'Ents, dehors, menée par un humanoïde pourri et N1-V01 ! Des dizaines d'Axos inconnues entrent dans le palais par les portes magnétiques !

-QUOI ? ENVOYEZ-MOI LITZ AUX PRISONS, QU'IL CALME CETTE FORCENÉE ! ET QUI A OUVERT LES PORTES ? SI ELLES AVAIENT ÉTÉ DÉTRUITES, JE l'AURAIS TOUT DE SUITE SU ! OÙ EST CETTE SALOPERIE DE 7U-M1-N4, LEUR ESPIONNE ?

-Avec toi depuis le début, gros nigaud.

Un laser de lumière traversa la pièce pour faire un trou de dix centimètres de rayon dans la poitrine du messager. Alan se retourna subitement et vit Cheryl, nimbée d'une brillance blanche.

-Pas trop tôt, j'en avais marre de jouer la comédie, dit-elle alors que l'illusion qui l'entourait s'effaçait d'un coup.

L'empereur fut trop interloqué pour riposter. L'Axo blanche fonça vers lui et l'assomma. Puis elle se rendit paisiblement en direction du trône de l'impératrice pour sortir un petit transmetteur...

-M01-R4 ?

-Tu réponds enfin ! répondit la voix de son amie à travers l'appareil.

-Où est-ce que tu en es ?

-C1-N37 est en train de libérer tous les prisonniers. J'ai pris de gros risques en la protégeant, cependant les "autres" se battent avec moi. Je vois que tu l'as fait.

-Oui. On vous attend dans la salle du trône, les filles.

-Je peux tout voir, d'ici, par électrolocalisation ! N1-V01 n'y est pas allée de main-morte avec les hommes-arbres. M3-U73 et ses filles font un meilleur boulot que je ne le pensais... Tout est en place ! Les portes magnétiques que tu as fait ouvrir n'ont pas pu être réactivées à temps, et le palais se fait envahir de quatre côtés simultanément. Voulant protéger leur empereur, ces imbéciles se ruent vers les geôles et les ouvertures en ne sachant pas que la salle du trône aussi est occupée. L'évolution n'a visiblement rien d'équitable.

-Je le savais, ça.

-As-tu réussi à réunir les fragments ? Je ne peux voir le bois sec.

-Sans problème. Le tronc est presque prêt à être reconstruit ! Il reste une seule et unique pièce, la centrale, en plein sur le dossier du trône. En clair, à portée de main. Autre chose ?

-Oui. Déjà, je n'ai aucune trace de son champion mais je pense qu'il ne va pas tarder à arriver. Il faut faire attention, Zarath provient d'une race alterrienne spécialiste dans le magnétisme, il arrive à manipuler des millions d'électro-magnétorbes simultanément. Ensuite, N1-V01 m'a avertie que le futur pour cette journée était incertain...

-Et je le confirme toujours, fit la voix de la psychopathe dans l'émetteur. Les visions ont été coupées après l'empoisonnement. Tout marche comme prévu, mais il faudra prévenir un plan de sortie au cas où.

-Je m'en occupe, répondit la conspiratrice.

-Au passage, M01-R4, cet imbécile d'Alan a envoyé Litz vers votre position.

-Tant mieux ! Il va goûter notre vraie puissance. répondit la fulguréenne. 7U-M1-N4 ?

-Yep ?

-Prépare-toi, il y a un groupe de soldat qui court vers ta position pour vérifier l'état d'Alan. Une petite quinzaine, sans plus. Tu sais comment tu vas les arrêter ? Tu n'es pas très forte pour tuer... Même si ton tir de tout à l'heure fut magnifique.

-Oh, je ne vais pas les tuer...

Elle fit une pause, puis assura, le sourire au coin des lèvres numériques :

-ils vont se tuer eux-même.

Le rire de N1-V01 se fit entendre :

-Là, je te reconnais bien, ma sœur. M3-U73, prête pour envoyer la dernière vague ?

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