La cible

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-Vous allez bien, votre altesse ?

-QU'ON APPORTE DE L'EAU POUR L'EMPEREUR ET SON ÉPOUSE !

-Mais aidez-la à descendre de cheval, bon sang !

Ce fut le genre de paroles affolées qu'entendirent le couple impérial à leur entrée dans le palais.

-N1-V01 Y.P.S.O. ! s'écria un valet. Qui l'eut cru ! Cette saloperie paiera, un jour, pour tout ce qu'elle a fait !

-Démembrons déjà ses complices, suggéra un autre, ça donnera l'exemple !

Alan 1er du nom s'efforça de calmer la foule autour de lui.

-DU CALME ! Personne ne démembrera qui que ce soit ! Et encore moins les autres Y.P.S.O. dans nos prisons ! Le "Fléau des Exanthropes" semble intrépide ! Très peu de gens l'ont vu ou senti sans le payer de leurs vies. M01-R4 et C1-N37 Y.P.S.O. sont les seules qui peuvent nous dire comment la neutraliser.

-L'une est muette et l'autre n'a pas dit un mot depuis qu'on l'a capturée, Seigneur, fit remarquer un garde.

L'Empereur choqua le militaire impudent d'un arc électrique, puis reprit :

-Alors on essayera encore, et encore ! Si intelligente est cette M01-R4, elle a sans doute un point faible. On le trouvera ! Et puis, pas la peine d'en faire tout un plat, nous nous en sommes sortis indemnes.

-Chéri... se plaignit son épouse.

Elle retira sa main de son épaule, laissant apercevoir une mince déchirure à peine rougie. L'Impératrice chavira, puis chuta de son cheval. Un simple citoyen accourut et retint la monarque pour ne pas qu'elle se blesse.

-UN MÉDECIN ! appelèrent Alan et le manant, affolés.

Un mage de l'eau et un autre de la nature accoururent. Le premier fut impuissant, mais le second, spécialiste en son domaine, affirma, tout en sortant des ustensiles et en préparant un onguent ;

-C'est très grave, votre altesse. La blessure est presque invisible, mais elle est assez grande pour avoir fait passer du poison... Et pas n'importe lequel ! Une forme assez mortelle d'un fluide inhibiteur... une sorte de cyanure Thêta, si vous préférez.

-Elle... Elle va mourir ?

-Asclépios soit loué, j'ai de quoi faire un antidote à un tel poison. La dose qu'elle a reçue est assez faible, sinon elle serait déjà morte. Par contre, je ne saurai rien faire pour ses pouvoirs...

-Plus de magie ?

Le médecin acquiesça. Puis il approcha sa bouche de l'oreille du monarque tout en continuant de préparer :

-Au fait, j'ai détecté la vie en elle... Mais n'ayez pas trop d'espoir pour votre futur enfant.

Alan garda le silence et versa une larme.

Dès que le médecin eut appliqué le baume, les traits de l'impératrice se détendirent par soulagement. Des brancardiers emmenèrent la pauvre femme dans le lit impérial. L'empereur félicita vivement le manant qui avait ralenti la chute de son épouse, et offrit jovialement un bon paquet d'Ampériums au médecin qui lui tendait un pot plein de remède au poison, à appliquer toutes les heures pendant une demi-journée.

Lorsque ce fut fait, il partit en direction de leur chambre, le pot en céramique entre ses mains précautionneuses.

Il eut le temps de réfléchir à ce qui s'était passé... Alan voulait juste commencer la journée en beauté ; comme son épouse avait eu la preuve qu'elle était enceinte ce matin même, il avait voulu fêter ça en l'invitant faire une belle balade dans les bois. Alan adorait les forêts, et son épouse Cheryl aussi. C'est bizarre, pour un roi électrique, d'autant apprécier un matériau faible et inflammable, mais la majeure partie du palais était faite de planches, jusqu'à son trône. Si quelquefois il s'emportait, Cheryl, une mage de l'eau, venait éteindre le début d'incendie. "Hélas", pensa-t-il. "Maintenant, je ne peux plus que compter sur les extincteurs automatiques... Ma pauvre..."

Tout avait été préparé pour cette balade dans le bois ; il avait de quoi ouvrir un portail vers une dimension simulée juste à côté d'eux, d'où il pourrait sortir plein de bonnes choses pour pouvoir se faire un bon pique-nique si simpliste, mais tellement poétique...

Alors qu'ils arrivaient à destination, une forte odeur se fit sentir. Alan et Cheryl soupçonnèrent une carcasse dans les environs. Cette forêt était défendue ; seul l'Empereur et ses proches pouvaient y accéder, sinon les bûcherons chargés de récolter du bois spécifique pour le palais. Ni chasseur, ni garde-chasse. Il n'est pas rare que des bêtes meurent de quelconque façon, laissant une partie aux carnivores et charognards, le reste finissant par pourrir.

Seulement, ils commencèrent à entendre des voix... UNE voix, mais une voix qui semblait venir de partout à la fois. Tantôt plus par-ci, tantôt plus par-là... Impossible d'en détecter la source. Les chevaux ruèrent, et Cheryl tomba du sien. Une ombre venue de nulle part fondit sur l'empereur avec un rire sadique, et son équidé s'effondra sur le coup. Une cicatrice nécrosée barrait déjà le crâne du pauvre équidé. L'Ombre fondit une fois de plus sur eux, mais il n'y a pas plus vif qu'un mage de la foudre ; il riposta avec le tonnerre. Le corps affreux de N1-V01 Y. P. S. O. chuta sur la terre meuble, dévoilant son identité. L'Axo se fondit d'un coup dans la terre, et des racines louches se frayèrent un chemin vers le couple.

Cheryl dégobilla, sans doute à cause de l'odeur. Elle se nettoya directement la bouche d'un jet d'eau, mais semblait déjà avoir de la difficulté à s'asperger elle-même. Alan releva l'impératrice, puis l'aida à enfourcher le cheval restant, déjà sur ses pattes. L'abomination, derrière eux, sortit de terre et les poursuivirent. Le sang de l'homme ne fit qu'un tour ; dans le même temps que de tenir les rênes de leur monture d'une main, il projetait la foudre derrière eux de l'autre. Le monstre perdit du terrain, et le cheval atteignit sans plus d'encombre les portes du palais impérial.

Alors qu'ils franchissaient le portail, des gardes montés sur motos de guerres sortirent de la forteresse en direction de la forêt, pour poursuivre le monstre. Là était toute l'efficacité de la garde impériale ; aucun ordre ni aucune information ne leur est parvenu, pourtant ils ont su que leur maître se ferait attaquer à la seconde où l'odeur s'est fait sentir, ils ont immédiatement pris les coordonnées précises de l'endroit et se sont préparés en vitesse pour sauver le couple. Jamais ils n'auraient pris autant de temps pour parvenir là-bas si la forêt ne fut pas défendue, des punitions sévères attendant les fautifs. Et puis, Alan avait demandé à être seul avec son épouse. La question serait plutôt : comment N1-V01 Y.P.S.O. a-t-elle pu pénétrer dans la forêt sans se faire détecter ? Question délicate...

Une petite heure après son évanouissement, Cheryl se réveilla. Son pouls était encore faible et sa fièvre empirait, mais elle était vivante.

-Salut... chéri.

-Mon amour ! Enfin !

-Qu'est-ce... Qui s'est passé ?

-On a subi une attaque, mon cœur...

Elle se releva subitement.

-PAR VINCIA ! Dis-moi que ce n'est pas vrai... N1-V01 ?

-Si...

Elle fit un geste rageur vers le vase fleuri à son chevet. Il ne se passa rien. Elle réitéra, puis regarda sa main, incrédule.

-Si tu essaies de casser ce vase, comme tu le fais lors de tes rares énervements, je dois t'informer que cette saloperie t'a fait absorber un poison d'inhibition.

-C'est pas vrai !

-Si... Et nous avons raté l'occasion d'avoir un vrai héritier...

-QUOI ?

-On peut toujours essayer, mais le poison est dans ses gênes, à présent.

Cheryl fut entièrement abattue.

-Peut-être qu'il survivra ! se consola-t-elle. J'y ai bien survécu, moi ! Et puis, si, comme moi, il est dénué de magie, il ne deviendra pas un de ces stupides monarques obsédés par leur propre puissance...

L'empereur n'était pas si optimiste. Ils ont déjà eu trois enfants ;
le premier, Sibband, est un crétin qui se moque des règles et qui ne pense qu'à montrer sa beauté au monde entier... cela fait maintenant plusieurs mois qu'il lui avait demandé d'aller sur Arcania en mission de reconnaissance, mais ce fainéant préférait se prélasser sur une plage, accompagnés de centaines de personnes pour l'admirer et de son garde du corps. Pour son récent anniversaire, il avait demandé un tank 1 place... La première chose qu'il fut lorsqu'il l'eut reçu, ce ne fut pas un quelconque remerciement, non... Il a fait appel à des esclaves peintres et a fait imprimer son blason dessus en grand.
Le second, Brandon, était tout l'inverse de sa mère. Généralement, Cheryl est calme et relax, comme la plupart des mages de l'eau, mais Brandon a hérité de l'ardeur fulgurante de son père. C'est un mage du feu qui n'a qu'une ambition : mener le peuple à la guerre pour exterminer une bonne fois pour toutes ces salopards d'Arcaniens. Bonne mentalité dans l'esprit Ampérien, s'il n'avait pas voulu mener TOUT le peuple à mourir pour cette cause, des seigneurs jusqu'aux fermiers, des soldats jusqu'aux ingénieurs civils. Avoir un empereur de ce cas-là signifierait la fin d'Ampéria, pas celle de leur ennemi.
Quant à la troisième, Élodie... Elle aurait pu faire une très bonne impératrice. A la fois douce comme sa mère et autoritaire comme son père. Hélas ! La pauvre petite, Elle n'était pas loin d'avoir quinze ans lorsque des Exanthropes l'ont capturée. Le but de ces connards était de demander une forte rançon, mais la petite, une mage de la foudre, leur avait donné du fil à retordre. Dans le combat, un bras et une jambe lui furent arrachés sans le vouloir, et elle a été gravement blessée à la tête. Pour profiter du kidnapping, leurs ingénieurs l'ont rafistolée ; ils lui ont replacé une prothèse de bras et une autre de jambes, et ils ont enlevé la partie défigurée de son visage pour le remplacer par une mécanique. Ils se rendirent compte que son cerveau avait aussi été touché ; craignant qu'il soit trop tard, ils ont remplacé une bonne partie de son cerveau lui-même par des systèmes cérébraux Exanthropes. Dès que ce fut fait, la petite se réveilla d'un coup et vit ce qu'elle était devenue. Ces amateurs de kidnapping ayant oublié de l'attacher en prévention de son éveil, la jeune fille, folle de rage, tua d'une seule onde de choc tous les Exanthropes qui l'ont enlevée. Maintenant, elle erre quelque part dans Ampéria, dotée d'un esprit corrompu dans un corps altéré, avec un unique but ; tuer chaque membre de cette race robotique qui a pourri sa vie. Depuis des semaines Alan et Cheryl essaient de la localiser afin de la ramener à la maison, mais cela semble impossible. Elodie semble refuser de revenir tant qu'elle n'aurait pas accompli sa funeste quête.
Trois enfants, trois échecs. Et à présent, le quatrième allait sans doute être tué dans l'œuf.

Alan se rendit dans la prison du palais, le seul lieu qui était entièrement fait de métal résistant. Il passa devant la cellule de C1-N37 Y.P.S.O., totalement immobilisée en position "X" par quinze lourdes chaînes ; deux pour chacun de ses membres, trois pour sa gorge et quatre pour sa taille. Il ne savait même pas si autant de précautions furent nécessaires à son emprisonnement, cependant d'aussi loin qu'il se souvienne jamais il n'avait vu ni entendu parler d'un Exanthrope cinétique doté de technologies Orc. Ses scientifiques ont essayé de disséquer C1-N37 pour en savoir plus... Elle refusait simplement de se faire enlever ses prothèses. Même si on l'endormait, elle se réveillait en sursaut avant même qu'on ait pu la toucher et foutait un bordel pas possible. Le moins qu'on ait pu faire, c'est l'attacher solidement.

-Comment on a réussi à l'avoir, celle-là ? s'interrogea-t-il à voix haute.

-Grâce à moi, votre honneur ! Répondit une voix bourrue plus loin dans le couloir.

Un Alterrien de la race des Ureegr -des véritables machines de combat- s'avança vers lui et gonflant simultanément les muscles de ses quatre bras. Ses écailles mauvâtres luirent à la lumière des lampes.

-Tiens donc ! Sergent Litz !

-En chair et en os, m'sieur. Le seul et unique qui a réussi un duel de force avec ce monstre.

-Racontez-moi en détail...

-Vous n'en avez pas entendu parler ?

-J'étais trop occupé à ce moment-là pour lire des rapports de ce genre.

-Comme vous voudrez, m'sieur. Je m'en souviens comme si c'était hier, pourtant ce fut le 6 du mois de février, année 5134.

Cheryl entra dans la prison, peinant à marcher. Alan oublia le sergent pour venir à la rencontre de son épouse pour l'assister.

-Qu'est-ce que tu fais là, ma chérie ?

-J'avais envie de me changer les idées... Je voulais venir te retrouver, et on m'a dit que tu étais descendu près des geôles.

-Te changer les idées ? Ici ?

-Pourquoi pas... cette sale Axo m'a pris mes pouvoirs et une bonne partie de mes espoirs futurs, je serais soulagée si je pouvais faire quoi que ce soit pour faire parler ces... choses, a-t-elle dit en désignant C1-N37 d'un air dégoûté. Bonjour, sergent !

-Bonjour, m'dame !

-Le sergent Litz allait m'expliquer comment il a fait pour capturer ces vermines. Tu veux entendre ?

-Bien sûr !

-C'était donc le 6 février 5134, reprit Litz. Vous nous aviez envoyés sur la piste de N1-V01, et au détour d'une forêt on a senti une odeur de putréfaction... Tous mes hommes se sont affairés d'un coup. Alors que certains dégainaient toujours leurs armes, les quatre Axos se matérialisèrent devant nous. N1-V01 se téléporta d'arbre en arbre en nous jetant des pointes empoisonnées, mais nos générateurs de boucliers les ont absorbées. M01-R4 disparut un moment alors que C1-N37 s'acharnait sur notre dôme énergétique avec puissance, et d'un coup il s'est désactivé. J'ai à peine eu le temps de voir derrière nous la conspiratrice relâchant des composants de la machine de protection, assistée par 7U-M1-N4... Cette dernière a disparu aussitôt, mais M01-R4 est restée pour balancer des ondes de choc à tout va. C1-N37 fonça d'un coup sur moi, un bras levé. J'ai paré son coup de poing et ai immobilisé son membre. De sa prothèse valide, elle retenta de me cogner, mais je parai derechef. Comme mes deux bras du dessous étaient occupés, j'utilisai mes deux bras du dessus pour l'assommer. Plus aucun signe de 7U-M1-N4, mais un de mes gars, armé d'un fusil à IEM, avait neutralisé M01-R4.

-C'est d'un vivant ! s'étonna l'impératrice. On s'y croirait !

-N'est-ce pas ? Se vanta l'Alterrien.

-Et N1-V01 ? s'enquit l'empereur. Elle s'est échappée, je présume ?

-Oui... Nous n'avions pas vraiment eu le choix. Le meilleur mage de la lumière de notre groupe tenait le monstre à distance. Nous avions réparé le générateur de bouclier ; je pris C1-N37 sur mon épaule et traînai l'autre par terre en reculant vers le palais. à ce moment-là, mes hommes regardaient tous 7U-M1-N4 et N1-V01 s'acharner sur le bouclier d'énergie sans l'entamer. Si le Fléau des Exanthropes s'approchait trop, le mage de lumière la repoussait, et nos fusil à IEM semblaient trop intimidants pour l'Axo de lumière. Nous avons bien essayé de relever le bouclier pour aller les chercher, seulement nous n'avons fait que subir de lourdes pertes supplémentaires. Après des heures de ce genre de poursuite, les murs du palais furent à portée de vue, et les deux essayèrent un dernier assaut. L'intrépide N1-V01 perdit sa réputation ce jour-là ; une décharge enflamma ses branches, dont elle se débarrassa au plus vite. Croyez-moi, de la même manière qu'un humain est horrible sans vêtements ni peau, je vous déconseille de la voir sans son enveloppe végétale. Et on a réussi à assommer l'autre ; on a tenté d'abaisser le bouclier pour aller la chercher, mais N1-V01 s'est enfuie en l'emportant.

-Superbe ! Avec combien d'hommes êtes-vous partis ?

-Mais, m'sieur... C'est vous qui avez choisi combien d'hommes venaient avec moi...

-Ah bon ? Vous savez, être empereur nécessite beaucoup de sacrifices. Il est possible d'oublier des choses, quand on s'occupe des affaires d'un Archontinent... Et je ne parle même pas des dizaines de planètes qu'on a conquises.

-Pas de problème, m'sieur. Nous étions une quarantaine, au départ. Vous aviez dit qu'elle réussissait à passer entre les mailles de votre armée entière mais qu'elle osait s'affronter à de petits groupes de ce genre. Nous étions six lorsque nous sommes revenus...

-Autant de pertes ! s'horrifia Cheryl. Mais vous... Vous êtes l'élite de notre armée ! Et vous dites que quatre criminelles peuvent vous décimer ?

-Je dirais, au contraire, que c'est un exploit de revenir avec autant de soldats, affirma Alan. Une fois, elle et ses consœurs se sont attaquées à soixante soldats de ce calibre. Aucun n'en est revenu. Les rapports envoyés pendant la mission décrivent que toute leur route fut parsemée de pièges dans lesquels la moitié périrent. à ce moment-là, N1-V01 les horrifia rien que par sa voix et son odeur. Certains ont fui. Le dernier rapport disait une chose du type "désert X qq ch invis, sol fiss, A désac, gre inh trouv cent, U déc, dem help !"

-Et... ça veut dire quoi ce charabia ? se demanda Cheryl, qui ne s'occupait en aucun cas du militaire.

-Cela veut dire "Les déserteurs sont tués par quelque chose d'invisible, le sol s'est fissuré, nos armes sont désactivées, une grenade inhibitrice a été trouvée au centre de la formation, les unités se font décimer, demande de renforts, C'EST URGENT", m'dame. C'est un langage vocal par acronymes qu'on utilise uniquement lorsqu'on n'a pas le temps de composer un rapport écrit classique.

-Et... Et tu leur as fourni de l'aide, chéri ?

-Comment aurai-je pu ? Le temps que les renforts arrivent, il n'y aurait plus eu en ce lieu que des cadavres. Les Y.P.S.O. avaient tout le temps de se casser... Bref ! Je reconnais, sergent Litz, que vous avez fait du bon boulot.

-Merci, m'sieur.

-Alors préparez-vous.

-Pour quoi, m'sieur ?

-Dès demain matin, on ne vous appellera plus "Sergent Litz", mais "Major Litz".

L'Alterrien écarquilla les yeux alors que Alan lui prit une de ses mains, un sourire aux lèvres. Cheryl tenta un rictus enjoué, cependant avec toutes ces histoires on ne lut sur son visage que de la crispation.

-Félicitation pour votre promotion, Litz.

L'alterrien s'agenouilla :

-J'en suis très honoré, votre altesse. Mais... N'est-ce pas une trop forte promotion ?

-Cela semble encore dérisoire pour ce que vous avez fait. Partez le cœur léger, major.

-Si cela ne vous gêne pas, je préférerais rester avec vous pour interroger ces enflures... Si tel est votre projet actuel, évidemment.

De la mémoire d'Alan, aucun Ureegr n'avait jamais parlé avec autant de courtoisie. Ces créatures étaient faites pour la bataille ; rien dans la caboche, tout dans le muscle. Litz fut apparemment une exception, mais de là à refuser une promotion et à parler de la sorte !

-Je voulais justement jeter un coup d'œil... Accepté ! Je vais d'abord analyser C1-N37.

l'Ureegr fut surpris. Puis il baissa la tête et répondit :

-Il en sera fait comme vos Altesses le désirent. Après vous.

Alan apposa sa main contre un écran près de la porte blindée de la prison. Trois microrobots flottants l'analysèrent tout en profondeur et rapidité, puis la porte s'ouvrit, silencieusement mais efficacement. Les trois personnages entrèrent dans la cellule. Au même moment, C1-N37 Y.P.S.O. s'agita ; son regard éternellement éveillé se riva sur l'empereur, l'impératrice et le garde. Sous son activité, la cellule trembla un petit peu. Alan craignit que les chaînes se brisent, néanmoins elles ont tenu bon.

-Solidement gardée ! affirma Litz. Il y a dix fois plus de tension dans une seule de ces chaînes qu'il n'y a eu de force dans mes bras lorsque je l'ai immobilisée. Tout le monde, ici, se demande comment ça se fait qu'elle résiste à l'écartèlement... Et pourquoi elle ne hurle pas de douleur en permanence.

-La douleur, ajouta l'empereur, elle vit constamment avec.

Il s'approcha et montra les prothèses.

-ça, Litz, c'est de la technologie Orc. Ses yeux aussi, et ce qui couvre sa bouche aussi. Même la technologie Ureegr, celle de ton peuple, ne peut égaler la force de ces mécaniques. Mais pour n'importe qui, porter une seule prothèse Orc est extrêmement douloureux.

-Douloureux... Comme quoi ? demanda Cheryl.

- Il n'est pas rare de voir des orcs-cyborg de la lave chialer de douleur sur le champ de bataille. Et les dieux seuls savent à quel point ils sont durs.

-Oh...

-Le pire, c'est que la douleur est encore plus forte pour les Exanthropes... Ces prothèses sont directement liées au système nerveux, en gros. D'un, les nerfs se font tirer à chaque mouvement à cause d'une mauvaise gestion nerveuse, de deux les alliages de ces machines sont comme des poisons pour l'organisme. Un poison qui ne tue pas mais qui est très dolent... Les orcs préfèrent avoir des matériaux éprouvants mais efficaces plutôt que moins puissants sans autre désavantage.

-Quelle belle mentalité ! S'émerveilla Litz. Pourquoi est-ce qu'on a pas fait pareil ?

-Ton peuple a déjà essayé... Après un mois et demi-mois à peine, plus personne n'en a voulu parmi les 4 milliards d'individus habitant ta planète d'origine.

Litz voulu riposter mais se ravisa. Au lieu de ça, il déclara :

-Vous ne pouvez rien obtenir de cette bête machine. Elle n'a pas d'émotions, elle ne ressent rien, tout ce qu'elle veut c'est taper. Enfin... Elle le veut plus que moi. Elle ne peut même pas parler, juste grogner ! Je ne sais même pas pourquoi on la garde.

-Vous avez raison... Je vais organiser son exécution.

-SURTOUT PAS ! s'écria Cheryl.

Ses deux compagnons sursautèrent.

-Cette chose... C'est la meilleure arme des Y.P.S.O., sans doute. Il ne faut pas la tuer !

-Je ne te suis pas, ma chérie...

Elle s'approcha de la prisonnière en lui touchant le ventre.

-On peut l'utiliser comme moyen de pression sur M01-R4. S'il y a bien une chose que j'ai comprise de notre dernier enfant, c'est la façon dont les prises d'otages fonctionnent. On peut faire la même chose ! Si on menace de tuer C1-N37, M01-R4 comprendra que leur groupe perdra un brillant argument et sera plus apte à parler !

C1-N37 s'agita, plus fort cette fois-ci, à un tel point qu'un petit morceau du plafond chuta sur la tête de Litz.

-RECULEZ, M'DAME ! TOUT DE SUITE !

Cheryl obtempéra sans se poser de question.

-C'est la première fois qu'elle fait un truc comme ça... C'est pas bon signe.

-N'y a-t-il personne qui l'a autant approché ? S'enquit Alan.

-Des dizaines de personnes s'approchent d'elle comme ça chaque semaine, m'sieur. Elle a l'air de vouloir quelque chose à votre épouse.

Alan s'approcha de la criminelle. Un nouveau tremblement, plus fort cette fois-ci. L'empereur recula sans tarder.

-C'est pas à elle qu'elle en veut... conclut-il. C'est à nous deux.

-Et si on s'en allait, mon chéri ? Cette cellule m'angoisse.

-c'est ça... Rendons visite à notre chère M01-R4.

La cellule de l'autre Y.P.S.O. jouxtait celle de la forcenée. Le protocole d'identification respecté, ils entrèrent dans la cellule. Litz alla chercher deux sièges sur lesquels s'assit le couple impérial, tandis que lui restait debout dans le coin près de la porte électriquement isolée.

-Très bien ! commença Alan. M01-R4. Que tu le veuilles ou non, un jour tu te mettras à table.

L'Axo ne fit que le regarder droit dans les yeux, indifférente.

-Il est étrange qu'une scientifique aussi renommée et respectée que vous soit partie dans une telle voie.

Toujours rien.

-Vous êtes coupable de beaucoup de choses, ma chère. Vous avez planifié la mort de vingtaines d'Exos et celle de beaucoup d'humains. Vous êtes coupable de vols de matériaux haut de gamme en tout genre, de conspiration contre des nations, mais, par-dessus tout... D'avoir rejoint la cause sans espoir de N1-V01 Y.P.S.O..

Le silence s'installa de nouveau dans la pièce.

-Il suffit de nous dévoiler comment trouver votre copine et je pourrai vous certifier qu'on vous rendra la liberté. Parole d'empereur.

cette absence de son dans cette cellule devenait angoissante.

-Vous ne dites rien ? Dommage, vous êtes en train de perdre toutes vos chances de survie. Ne fut-ce que pour le meurtre de votre mari. Je déplore la loi Exanthrope, pourtant je serai contraint d'y obéir ; vous avez tué votre mari, c'est passible de mort.

-Je plaide non-coupable.

Empereur, garde et impératrice sursautèrent en même temps. Pour la première fois depuis son arrestation, M01-R4 avait dit quelque chose.

-Non coupable ? s'offusqua Cheryl. Non coupable pour ces assassinats ? Non coupable pour ces vols ?

-Non. Pas pour ça. Pour mon mari.

-Vous savez, reprit Alan, pour ça il faut des preuves.

-Et elles sont bien enfuies dans mes circuits. Il suffirait de fouiller dans mon cerveau pour savoir ce que ce connard m'a fait. je suis d'accord que je mérite la mort pour avoir déclenché la bombe tesla, et je reconnais qu'il avait le droit de me faire ce qu'il voulait. Telle est la loi patriarcale Exanthrope ! L'Axo est un bête objet pour l'Exo auquel elle est mariée. Un objet dont on peut disposer de n'importe quelle façons. Néanmoins nulle part, dans notre loi, il n'est indiqué que l'adultère est légal, et c'est même un crime majeur. Il me trompait, et c'est pour ça que je me plaide non-coupable. C'était de la légitime défense.

-Il vous trompait vraiment ?

-Vous ne le saviez pas ? Pourtant il est mort avec sa salope préférée.

-Il n'y a pas de preuves qu'elle avait été sa maîtresse. Elle aurait pu être une amie qui lui rendait visite. Toutes les autres preuves potentielles ont brûlé à cause de la décharge de votre bombe.

-Ce fut le prix à payer.

-Vous savez, il y a un moyen de vous innocenter. De vous faire sortir d'ici.

-Vous savez que je refuse subconsciemment que quiconque n'accède à mes circuits, et aucun de vos scientifiques n'arrive à me pirater.

-Il suffit que vous donniez votre accord !

-Je ne vous le donnerai pas.

Alan gifla l'Axo.

-TU NOUS LE DONNERA, UN JOUR OU L'AUTRE !

-Vous savez, je me suis moi-même électrocutée, ai subi les pires humiliations et ai réussi à accoucher d'un cadavre. Vous n'arriverez jamais à me faire plier à votre volonté.

Cheryl vacilla un instant. Alan la rattrapa, puis prit le pot d'antidote pour lui appliquer une fois de plus cet onguent miraculeux.

-Empoisonnement ? Ah, cette brave N1-V01...

-Ce sera ma première question, enflure ! renchérit Alan. Qu'est-ce qu'elle fait dans les environs ? Quels sont ses plans ?

-Vous avez capturé ses deux meilleurs membres, il est normal qu'elle essaie de nous libérer.

-SALOPERIE ! Je demande si le peuple n'a pas raison... Je ferais mieux de vous buter tous les deux !

-Je ne ferais pas ça, à votre place.

-Et pourquoi donc ?

-Depuis que je suis chez les Y.P.S.O., je me doutais bien qu'un jour je me ferais capturer. N1-V01 et 7U-M1-N4 sont trop talentueuses pour ça, cependant j'ai installé des dispositifs spéciaux dans le corps de C1-N37 et le mien.

Litz fonça vers elle et l'agrippa par le cou :

-Et c'est quoi, alors, ces sales merdes ?

M01-R4 ne répondit pas. Alan comprit tout de suite :

-Litz, serrez moins fort je vous prie.

-Merci, empereur, lui gratifia la conspiratrice. Ces "sales merdes", ce sont... Comme... De tout petits détonateurs. Le genre d'appareil furtif et tout petit qui peut faire exploser des giga-bombes à des kilomètres de distance, vous savez ?

Litz lui mit deux droite simultanément. Cheryl et Alan, eux, avaient les yeux écarquillés, craignant la suite. M01-R4 resta silencieuse face aux frappes du futur major.

Alan partit pendant une dizaine de minutes, puis revint avec un homme en possession d'un appareil multifonctions électrique. Après quelques minutes d'analyse électro-localisatrice, le scientifique confirma les dires de la conspiratrice.

-OK ! s'alarma Alan. Il faut le désamorcer tout de suite !

-Je crains que ce ne soit pas possible, votre altesse... dit alors l'homme en blouse blanche, gêné.

-Et pourquoi, je vous prie ?

-Je... bégaya le scientifique.

-Ecoutez-le, le coupa M01-R4. Il y a des dispositifs autour du détonateur. Si vous me tuez, BOUM. Si vous tentez de désamorcer cette chose, BOUM. Même si vous me désintégrez, BOUM. Seul un code peut le désamorcer, un seul. Un unique échec, et des dizaines de giga-bombes quantiques exploseront dans le monde. Faites gaffe, il y en a aussi une en mon fort intérieur. Même résultat avec C1-N37.

Litz voulut la taper une fois de plus mais Alan l'arrêta.

-Et vous le connaissez, ce code ?

-Bien évidemment ! mais si vous croyez que je vais vous le dire...

-Est-ce que tu peux l'activer par toi-même ? demanda-t-il après avoir fait un signe au scientifique.

-Je serais bien tentée de dire oui, mais votre laborantin est actuellement en possession d'un détecteur de mensonge. Alors je vais être franche : Non. J'ai dû faire des sacrifices, un système de plus me gênait trop. C1-N37 se fiche de tout ça et aurait pu en avoir un, mais je craignais qu'avec sa connerie elle ne fasse péter ses bombes avant.

Alan regarda l'homme en blouse, qui arrêta de fixer son écran pour lui faire un signe de tête approbateur : test de détection de mensonge négatif.

-Avant quoi ? Demanda Litz, tentant de l'intimider.

-Avant qu'on ne décide de les activer. C'est tout. Nous ne les activerions qu'en cas de cause perdue, si on en avait.

-Bon... Je ne vois actuellement plus rien à te demander, affirma l'empereur.

-Deux secondes ! Se précipita Cheryl. C'est quoi, précisément, ce que ta saloperie de copine m'a injecté ?

-Un joli petit cocktail. Du fluide thêta que j'ai moi-même concocté, associé à un poison végétal très violent.

-Comment tu sais de quoi on parle ? interrogea le monarque. Tu n'as même pas vu une seule molécule du poison ni ses effets et tu nous en parle comme si c'était convenu.

-Oh mais ça l'est. Dès que j'ai vu son altesse vaciller, tout à l'heure, j'ai su de quoi il s'agissait. Les composants du fluide thêta étant très difficile à avoir, il fut convenu qu'il ne serait utilisé qu'en cas d'urgence, associé aux poisons de N1-V01.

Pendant que tout le monde, même Litz, gardaient le silence, M01-R4 divagua :

-Ah, le fluide thêta... De l'énergie anti-magie concentrée à l'état liquide. Quiconque en touche perd ses pouvoirs tant que des particules Thêta restent en contact avec l'individu. Tellement facile à utiliser pour les Exanthropes, nous qui y sommes immunisés, non pas par notre constitution, mais par notre magie issue même de ce Rayonnement.

-On sait, M01-R4, communiqua Alan. Mais soyons plus sérieux ! Une scientifique de ton calibre a beaucoup de connaissance. Les machines créées par ta main ont la réputation d'être des petites merveilles de technologie. Depuis que tu as rejoint les Y.P.S.O., personne ne sait comment tu utilises ce don. Alors, dis-moi... De quelles armes disposent N1-V01 et 7U-M1-N4 ?

L'Axo ne répondit pas. Elle détourna le regard droit devant elle, avec une allure passive. Ni les menaces de Litz, ni l'engin multifonction du scientifique, ni la douceur de Cheryl ne la sortirent de son mutisme.

Après cette entrevue, ils sortirent tous de la cellule, à l'exception de la conspiratrice évidemment. Le scientifique s'en alla rapidement après avoir salué le couple impérial, et Litz les raccompagna à la sortie de la prison.

L'empereur alla à la salle du trône et s'assis à sa place. Tous les valets se sont retirés pour le laisser tranquille, puis il a frappé violemment l'accoudoir de son noble siège. Il leva sa main en vitesse : le bois avait pris feu à cause de l'électricité qui s'était posée dessus. Cheryl, restée avec lui, leva sa main en direction des flammes avant de se rendre compte qu'elle ne pouvait pas invoquer de l'eau pour les éteindre. Un robot-extincteur vint en vitesse pour la remplacer, cependant l'empereur l'arrêta. Voyant que son siège fut foutu, il décida de se déchaîner. Il projeta sur le fauteuil un arc électrique si puissant qu'il s'en est fait désintégrer.

Le robot, ne détectant aucun risque d'incendie, s'en alla. Alan appela un serviteur, sous le regard inquiet de son épouse :

-Michaël !

Un gars malingre fit son entrée dans la pièce.

-Vous m'avez demandé, seigneur ?

-Oui. Comme tu vois, j'aurai encore besoin de tes talents d'ébéniste.

Le jeune homme regarda le tas de cendres puis quémanda :

-Vous avez une idée particulière pour le design, votre altesse ?

-Je ne te dirai qu'une chose : surprends-moi.

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