18 - le retour du cavalier

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Je dévalai les escaliers. Arrivée en bas de l’immeuble, j’eus le plaisir de constater que mon carrosse m’attendait. Je sautai sur le trottoir, attrapai le casque tendu par mon chevalier et m’installait à l’arrière de la bécane tout en enlaçant son propriétaire. La porte de mon immeuble s’ouvrit alors à nouveau ; Lorenzo apparut sous le porche, la jeune étudiante du 5ème à son bras. Sur son trente et un, la pauvre allait bientôt déchanter en découvrant le fameux « chez Mouloud, le meilleur kebab de la ville » avec vue sur une arrière-cours remplie de poubelles derrières lesquelles certains ne se cachaient même pas pour pisser. Ou comme l’avait très bien décrit un commentateur en verve sur trip advisor : « tous les ingrédients d’une expérience inoubliable, authentique, brute. »

Jules mit les gaz avant que Lorenzo n’ait eu le temps de jeter un regard vers nous, tout occupé qu’il était à couvrir sa conquête de promesses, de compliments et d’un chouia de pommade.

Trois quarts d’heure plus tard, nous fûmes de retour au camping. À ma grande surprise, tout avait changé. Depuis ma dernière visite, Jules n’avait pas chômé. Pris d’une frénésie de rénovation, il avait entièrement retapé la vieille caravane, changé les lampes, posé un nouveau parquet, lambrissé les murs... La bicoque avait pris un sacré coup de jeune ! Jules m’expliqua qu’il avait enfin eu le temps et l’énergie de s’approprier les lieux et d’entreprendre tous les travaux dont il rêvait depuis plusieurs années. Il avait surtout jeté les vieux meubles de sa grand-mère et emménagé avec les siens.

  • Avec mon job au Manoir d’Essex, je venais ici en espérant me ressourcer et je m’écroulais. Je n’avais plus envie de rien. Je ne sortais plus du tout, surtout la dernière année. Je venais me réfugier ici et je dormais. Il était temps que je lâche l’affaire pour pouvoir enfin remonter la pente.

Je voyais exactement de quoi il parlait. J’avais beau n’avoir eu qu’un emploi de bureau aux antipodes de son rôle d’organisateur de parties fines plus ou moins clandestines, j’avais moi aussi vécu un désamour graduel, imperceptible et sournois avec mon dernier emploi. Tout s’était détérioré si lentement que je n’avais rien vu venir. Les projets étaient devenus de moins en moins intéressants, tombant sur nos bureaux avec des délais de plus en plus courts. Dans l’urgence, on s’était mis à travailler sans prendre de pause, et l’exception des premières semaines devint la norme assez rapidement. Faire, faire, faire. L’ambiance au bureau était devenue celle d’une cellule de crise. Jusqu’au jour où, en prenant le métro, j’ai fondu en larme devant un graffiti qui demandait bêtement : « E’ questa la vita che sognavi ? » Non, clairement, ce n’était pas la vie dont je rêvais. Et je m’étonnais moi-même d’avoir atterri là. Comment diable cela avait-il pu m’arriver ?

Et Jules ! Comment est-ce que cela avait pu lui arriver à lui ? Lui que j’avais toujours vu si souriant, si rieur. Il avait l’air tellement épanoui et sûr de lui ! J’étais à mille lieues de me douter qu’il ait pu être en train de traverser la même sale période que moi. Je tombai des nues en l’écoutant me raconter son histoire :

  • Maintenant, ici, c’est chez moi. Je change de vie. Il y a des milieux dans lesquels on ne fait pas de vieux os et moi, j’ai fait mon temps. Il faut savoir passer à autre chose. Et puis, ça ne m’amusait plus du tout. Je n’arrivais plus à me lever le matin. Ce que je veux vraiment aujourd’hui, c’est écrire. J’en ai besoin plus que tout. J’ai besoin de me retrouver.

Sur un ton un peu plus rieur et enjoué, il ajouta :

  • J’ai « envie d’avoir envie ». Et justement ici, je vais pouvoir vivre tranquille en attendant de savoir où je vais et ce que je veux. J’ai le minimum, une gazinière avec deux brûleurs, un petit pécule pour voir venir et du calme. C’est parfait.

On en était donc là, tous les deux. De la rédaction de modes d’emploi au sauvetage de la planète à coups de paniers à vaisselle percés en passant par l’organisation de soirées « select », toutes nos carrières nous avaient conduits dans un cul-de-sac. Et par un heureux hasard, le destin nous avait réunis autour d’un délicieux risotto au citron, d’une salade et d’une bonne bouteille dégottée dans la cavité creusée sous la caravane par une grand-mère qui aimait les bonnes choses. Au bord de ce petit lac peu fréquenté en hiver, nous vivions la version luxe et cocooning de « into the wild » et on comptait bien en profiter. Comme d’un commun accord, le temps s’était ralenti et nous profitions de l’instant. Même le sauna n'était pas aux pièces. Il fut rapidement évident qu’à moins d’une irruption soudaine de deux tordus échappés d’un asile, on pourrait passer une soirée tranquille. Peut-être même un moment inoubliable, authentique, brut.

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