19 - Not whores

2 minutes de lecture

  • C’est à quel moment dans notre vie que notre ambition a été de devenir des putes ?

Jules a lancé ça comme ça. Pourtant, il n’avait jamais été une pute. En tant qu’orchestrateur, il était toujours resté clean de toute substance, entièrement sobre et il n’avait jamais touché un seul client ni une seule cliente. Selon lui, si on commençait à mélanger les rôles, on perdait tout contrôle et tout crédit. En plus, Jules savait que nombre d’hommes et de femmes fantasmaient sur lui. Il jouait d’ailleurs de son charme et faisait entrevoir des avancées possibles à qui sauraient le faire craquer. Cette perspective maintenait ses adeptes en haleine. Le doux mystère que cet homme charismatique et plutôt bien fait entretenait alimentait les fantasmes et électrisait les libidos des clients réguliers et de passage, augmentant ainsi la tension et l’engouement des participants, ce qui contribuait grandement au succès des réjouissances et à l’excellente réputation du Manoir d’Essex.

En plus d’être l’organisateur et le coordinateur, Jules était bien conscient d’être, en quelque sorte, le clou espéré du spectacle. Il faisait non pas office de produit d’appel, mais de Saint-Graal inabordable, attirant le client dans la boutique pour mieux le dévier vers les lots de consolation.

À l’objet design de collection qui m’accueillait chez lui, je répondis :

  • Vous, je ne sais pas. Mais nous, on nous a vendu la prostitution comme but ultime quand on a commencé à nous bercer de contes de fées et à nous bassiner avec nos devoirs de ménagère parfaite.
  • Possible. D’ailleurs, je pense que c’est aussi pour cela que certaines personnes venaient à mes soirées. Derrière les façades des couples modèles, la réalité n’est pas toujours idyllique et quand un des deux fait l’amour par « devoir » ou pour se donner l’illusion que tout va bien, les deux finissent par s’emmerder. Pour beaucoup, nos soirées étaient des soupapes de liberté.
  • L’alcool, c’est bien aussi. On se sert un petit verre pour masquer le fait de ne plus rien avoir à se dire.
  • Se parler ? Pas besoin. La télé s’occupe de tout. Les baby-booms ont d’ailleurs toujours lieu neuf mois après les pannes d’électricité.
  • En tout cas, je ne dirais jamais assez merci à Téléphone de nous avoir prévenues. Et à ma mère. Elle me répétait toujours de rester indépendante financièrement : « Ne fais jamais la même bêtise que nous ! »
  • Ah ! Téléphone ! Tant de vérités dans ces groupes de rock et de « variété » de notre jeunesse…

Il vit dans mes yeux et dans mon sourire que je captais le lien sonore qu’il venait de faire entre les mots « vérité » et « variété ». Il continua :

  • Mon truc, ce sont les calembours, les « Cales Hambourg »

Il dit cela en tapotant sur le clavier de son écran. À partir de ce moment-là, nous continuâmes la conversation sur Whats’app, assis côte à côte, épaule contre épaule, confortablement installés face au lac.

K : Genevois pas de qu’ouate huppe Arles

J : Moines ont plu.

K : Jo lissait la…

J : Géant vit de toits

K : Taon vit d’émois ?

J : Tu tends doux thé…

Dois-je vraiment vous raconter la suite ?

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