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Cette petite retraite dans la montagne avec Etienne m’avait fait du bien, mais j’avais passé beaucoup de temps à chercher du réseau. Mon téléphone ne captait nulle part. Aucun wi-fi, pas de 5 G, rien, nada. J’étais coupée du monde. C’était vertigineux, insoutenable. Comment peut-on vivre dans ces conditions-là ?

Je décidai de retourner au monde réel, c’est-à-dire celui qui me permet de payer mon loyer et mes courses ; j’ai nommé : Instagram et mon e-banking.

Je me dois de continuer à façonner mon « brand », mes « valeurs », ma « mission », car si je ne m’en charge pas, quelqu’un le fera à ma place. La peur d’être « cancellée » me tiraille constamment. Il m’arrive d’envier le bon vieux temps des patrons qui montaient des sociétés, faisaient faillite et remontaient d’autres boîtes sans que personne ne fasse vraiment le lien. En tant qu’influenceuse, je ne peux pas faire ça. Je suis mariée avec mon compte Insta, pour le meilleur et pour le pire. Ma boîte, c’est moi.

Quand j’arrive dans mon immeuble, une ambiance inhabituelle m’attend. La cage d’escalier foisonne de gens qui se parlent à travers les étages.

  • Ça fait combien de temps qu’il est avec Delphine ?
  • Bientôt trois heures ! Mais qu’est-ce qu’ils font ?
  • D’après toi, qu’est-ce qu’ils font à couiner comme ça ?
  • Après Delphine, c’est mon tour. Il a promis de réparer ma machine à café !
  • Non ! Tu lui as déjà fait détartrer ton lave-linge. C’est à moi maintenant. Mon bœuf bourguignon est prêt. Il faut bien qu’il se nourrisse le pauvre petit.

À cet instant-là, j’ai peur de comprendre qui est ce « pauvre petit » pour lequel toutes mes voisines se battent. Soudain, une porte s’ouvre et des soupirs de soulagement entre autres « Ah ! Il était temps ! » ou « Quand même ! » se font entendre. La porte de Delphine, la stagiaire qui habite dans une chambre de bonne au 5ème, venait de s’ouvrir.

  • Lorenzo ! Maintenant, tu viens chez moi !
  • Non, passe chez moi Lorenzo ! Je t’ai préparé un bœuf bourguignon !
  • Moi, je t’ai fait des crêpes ! Tu m’as dit que tu adorais ça !
  • Tu as promis de réparer mon Dr Maboul !, dit la petite Julie en sanglotant.

Je n’en croyais pas mes yeux. Mes voisines se disputaient les faveurs de Lorenzo. Chacune luttait avec ses propres armes : l’une vantait une spécialité familiale à se damner, l’autre déambulait en guêpière à la recherche d’un plombier, même la gamine du 1er voulait que « tonton Lorenzo » vienne lui remettre ses jouets à neuf. De sept à septante-sept ans, toutes mes voisines avaient soudainement besoin d’avoir un Lorenzo à la maison. On se l’arrachait de manière aussi absurde que le dernier Stanley cup.

Le principal intéressé jouait les martyres, minaudant devant les bonnes odeurs de tajine, marchandant « de la purée maison avec un puits au milieu » pour accompagner son bœuf bourguignon, escaladant les escaliers « mais c’était la dernière fois ! » afin de venir en aide à une « pauvre vieille dame » pour ensuite mieux aller piquer un somme « en tout bien tout honneur » sur le même palier, et en ressortir le lendemain scandalisé par la manière dont il avait été traité, empêché de dormir par une dévergondée aux mœurs aussi légères que le string dans lequel elle lui avait ouvert la porte, usant et abusant de son corps comme d’un joujou dopé aux Duracell. « Ce n’est pas humain comme traitement !». Et non, il ne s’était pas méfié quand elle lui avait ouvert la porte si simplement vêtue. C’est un homme honnête, bon et avant tout innocent. Et, « oui, des crêpes maison avec de la confiture l’aideraient à se consoler ».

Cela faisait deux jours que j’observai ce cirque depuis mon appart quand il sonna à ma porte pour se réfugier. Le pauvre. Il faut le comprendre...

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